Cedeao : Zizanie au sommet
Réunis à Abuja, les chefs d’État de la Cedeao n’ont pas réussi à s’entendre pour nommer les dirigeants des institutions régionales. Pendant que les luttes d’influence font rage, les chantiers végètent.
Quinze pays aux richesses très différentes regroupés au sein d’un marché de près de 300 millions d’habitants : c’est la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Mais les institutions chargées de l’administrer, qui affichent plus de vingt ans de moyenne d’âge, peinent à remplir leurs principales missions, œuvrer au renforcement de l’intégration régionale et au développement économique de la zone.
Une mécanique en panne, neutralisée par la bataille de leadership qui oppose trop souvent certains poids lourds économiques et politiques de la sous-région. Cette compétition focalise l’attention des dirigeants, au détriment des performances économiques – moyennes. Le 18 octobre, à Abuja, au Nigeria, un sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cedeao, qui devait aboutir à la nomination d’un nouveau président de la Commission, a échoué, une nouvelle fois – la décision est attendue depuis début 2010. Si les postes de commissaires ont été répartis entre les différents pays, aucun consensus n’a pu être dégagé pour nommer un successeur aux Ghanéens Mohamed Ibn Chambas et James Victor Gbeho.
Un comité composé des présidents de Guinée-Bissau, du Liberia, du Mali, du Togo et de la Sierra Leone a proposé de revenir au principe de rotation. Projet rejeté par le Burkina Faso. En compétition depuis plus d’un an et demi avec le Sénégal pour la présidence de la Commission, Ouagadougou a fait échouer la nomination annoncée du Béninois Jean-Marie Ehouzou, ancien ministre des Affaires étrangères, à ce poste. Si Dakar s’est finalement désisté, la compétition se poursuivra jusqu’au prochain sommet de l’organisation, en décembre, entre le Burkina Faso et le Bénin, avec Goodluck Jonathan, le chef de l’État nigérian et président en exercice de la Cedeao, dans le rôle d’arbitre.
En force
Quant à la désignation à la tête de la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (BIDC) du Nigérian Bashir Ifo, une semaine plus tôt, elle ne résulte pas non plus d’un choix consensuel. « Il s’agit d’un passage en force du Nigeria, qui voulait à tout prix obtenir ce poste », indique un ancien cadre de la banque. En fait, en 2010, la BIDC avait chargé, sur appel d’offres, un cabinet international de recruter le successeur de Christian Adovèlandé. Dans un rapport remis au conseil d’administration de la banque en avril, le cabinet a proposé, après étude du dossier et audition des candidats (dix-sept, proposés par huit pays), trois noms, ceux de deux Guinéens et d’un Bissau-Guinéen.
D’après nos informations, Bashir Ifo, alors vice-président de la BIDC, n’est arrivé qu’en sixième position sur la liste des prétendants. Mais le Nigeria, qui contribue à hauteur d’environ 40 % au financement de la banque (dotée d’un capital de 1,1 milliard d’euros), a rejeté les propositions, prétextant des liens privilégiés entre le cabinet en question et un des trois candidats retenus. Soutenu par le Ghana et le Liberia, il a réclamé la mise en place d’un comité composé des membres du conseil d’administration et fait désigner son ressortissant au poste de président de la BIDC.
Cette lutte d’influence entre États a gagné une autre institution : l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui regroupe les huit pays de la sous-région ayant en commun le franc CFA. Les États membres peinent à désigner un successeur au président de la Commission, le Malien Soumaïla Cissé, dont le mandat est arrivé à terme en mars. Le Niger et le Sénégal se disputent le poste, bien que ce dernier l’ait occupé entre 1994 et fin 2003 et qu’un principe de rotation soit inscrit dans les textes. Conséquence : las d’attendre la désignation de son successeur, Soumaïla Cissé s’est lancé dans la course à la présidentielle au Mali. « D’un point de vue éthique, cette situation porte un sérieux coup à la crédibilité de l’Uemoa », se désole un fonctionnaire de l’institution.
Mais au-delà même des questions d’image, ce sont les projets de développement de la zone qui tournent au ralenti. Parmi eux, l’Initiative régionale pour l’énergie durable (Ired). Le fonctionnement du comité de pilotage de ce projet, alimenté par un fonds concessionnel de 500 milliards de F CFA (plus de 762 millions d’euros, dont la moitié fournie par une dotation initiale signée en janvier), est suspendu en attendant la nomination d’un nouveau président de la Commission. De fait, le projet, qui doit permettre de faire baisser le prix du kilowattheure jusqu’à 30 F CFA en 2030, attend toujours son démarrage effectif.
Avec des institutions au point mort, la croissance moyenne peine à décoller, même si certains pays réalisent de bonnes performances (une croissance attendue à 13,5 % pour le Ghana en 2011, à 5 % pour la Sierra Leone avec une prévision à 51,4 % pour 2012). En 2011, la hausse du PIB de l’Afrique de l’Ouest devrait se situer au-dessus de 5,5 %, alors qu’elle dépassera 6 % pour l’Afrique de l’Est. Le commerce intracommunautaire, un facteur clé de développement, stagne également. Alors qu’il représentait 8 % à 10 % des échanges des pays membres dans les années 1980, aujourd’hui, plus d’une vingtaine d’années plus tard, les données les plus favorables ne le situent qu’à environ 15 % des échanges. Maigre progression.
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