Printemps arabe : les médias font leur révolution
Télévisions, radios, journaux… Les bouleversements politiques en cours accélèrent une mutation qui était déjà engagée dans les salles de rédaction. À la clé : plus de liberté, mais aussi plus de responsabilités.
Printemps arabe : les médias font leur révolution
Au-delà des images d’Épinal d’une presse aux ordres des tout-puissants zaïm, ces chefs jadis indétrônables couverts d’éloges à longueur de colonnes, l’univers médiatique du monde arabe, plus divers et plus dynamique qu’on ne le pense, est un écheveau complexe de périodiques, de chaînes et de sites qui travaillent dans plusieurs langues (arabe, anglais, français), s’adressent à des populations hétérogènes qui expriment des demandes différentes et parfois antagonistes.
Information, analyses, divertissement, débats de société, impertinence, religion, influence, pédagogie, contre-pouvoir, vie pratique : autant d’attentes et de besoins exprimés par des consommateurs qui cultivent leurs différences vis-à-vis de leurs soi-disant « frères » et ne représentent en rien cette masse réputée uniforme, naguère avide de feuilletons égyptiens à l’eau de rose et de documentaires animaliers. Les clichés ont la vie dure…
Pourtant, à des degrés divers, les médias arabes ont un point commun : ils n’ont pas attendu 2011 et son cortège de manifestations ou de révoltes pour faire leur aggiornamento. Depuis les années 1990, les chaînes satellitaires – dont la plus emblématique est la qatarie Al-Jazira – et la révolution internet ont contraint les organes de presse écrite, y compris les plus rétifs au changement, à s’adapter. Petit à petit, en Algérie et au Maroc, par exemple, les quotidiens se sont mis à repousser, la plupart du temps à tâtons, faute de définition claire et précise des limites à ne pas dépasser, les fameuses lignes rouges. Les rapports qu’entretenait la population avec l’information et ceux qui la délivraient en ont été bouleversés, de même que ceux existant entre les pouvoirs, peu habitués à être remis en question ou à devoir s’expliquer, et les journalistes, oscillant entre le conflit, l’allégeance ou l’ambiguïté, mais aussi, hélas, la défense d’intérêts partisans.
Catalyseur
Le Printemps arabe n’a donc pas été le déclencheur d’une mutation profonde, mais un catalyseur. Un formidable accélérateur de particules qui n’est cependant pas sans danger dès lors que ce soudain emballement est propice à la perte de contrôle et à la surenchère (pour obtenir audience et, donc, influence) qui autorisent la mise au rebut de principes élémentaires, notamment celui du respect des règles déontologiques d’une profession dont la démocratisation est somme toute récente.
Ainsi de la Tunisie, cas symbolique s’il en est, qui est passée en quelques semaines d’un paysage médiatique très « Pravda » à une explosion libertaire impossible à juguler, toute tentative d’imposition de règles ou de limites étant immédiatement assimilée à une volonté de retour à l’ancien régime. Dans un contexte éminemment explosif, nourri par l’angoisse, la rumeur ou l’incertitude latente, le moindre dérapage – réel ou supposé – peut avoir des conséquences inouïes. L’« affaire Persepolis », quels que soient les points de vue (provocation déplacée de Nessma TV ou réaction « moyenâgeuse », car violente, de certains citoyens pour le moins conservateurs), en est la parfaite illustration…
Une chose est pourtant sûre : les médias arabes sont plus que jamais des acteurs politiques à part entière. Ils ont donc un rôle évident à jouer, pour le meilleur mais aussi pour le pire, dans cette période trouble d’apprentissage démocratique. Certains oublient parfois leur mission essentielle : transmettre. Et aiment à se substituer à des dirigeants en panne de légitimité ou jugés incompétents pour mener les réformes exigées.
La plupart entretiennent « la flamme » chez les consommateurs : leur dynamisme, leur effronterie et le vent de nouveauté qu’ils insufflent exacerbent les attentes d’une population ancrée au sein de sociétés ankylosées, privées de perspectives et frustrées, qui, souvent, voudraient les voir jouer un rôle – diriger, décider – qui n’est pas le leur.
D’autres, enfin, peinent à s’affranchir du carcan des règles et des mentalités en vigueur sous les régimes autoritaires précédents et à se mettre au niveau des nouveaux concurrents qui émergent chaque jour, notamment sur internet. Pour tous, c’est un champ d’action nouveau qui s’ouvre devant eux. Une formidable aventure, au cœur d’un tournant historique, celui de la renaissance d’un monde qui a besoin de rattraper un retard criant et d’étancher sa soif de changement. C’est aussi, et surtout, une très lourde responsabilité dont ils héritent.
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