Le « malaise » islamiste
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 24 octobre 2011 Lecture : 2 minutes.
À Tunis, au Caire, à Tripoli, mais aussi à Paris, Bruxelles ou Washington, on ne parle que d’eux : les islamistes, grands vainqueurs annoncés des premières élections démocratiques, en cours ou à venir. Pour beaucoup, le péril vert est au bout du chemin des révoltes arabes. Les clichés, les amalgames et les procès d’intention se succèdent, dans un contexte propice à l’embrasement, où chaque écart de langage ou de comportement peut aboutir à d’inquiétants dérapages. Derniers avatars de cette crispation inédite en Tunisie, l’« affaire Persepolis » et les rodomontades de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha, qui menace de « faire tomber dix gouvernements s’il le faut » en cas de manipulation des résultats du scrutin du 23 octobre…
On peut s’interroger indéfiniment sur la sincérité des mouvements islamistes qui disent avoir choisi la voie de la modération, douter de leur adaptation au progrès ou à la modernité, nourrir une certaine inquiétude et vouloir les affronter sur le terrain politique. On peut aussi remettre en question le bien-fondé de leurs promesses de campagne et jeter un regard critique sur leur programme. Comme on le ferait avec n’importe quelle formation politique. Mais tout ce qui consiste, selon les théories développées par les « éradicateurs » de tout bord, à leur barrer la route par la force – quitte parfois à freiner volontairement la marche vers la démocratie au prétexte qu’elle pourrait leur profiter – serait une faute politique. Les ostraciser ne fait que les renforcer et revient, au fond, à considérer que les citoyens des pays arabes sont incapables de faire les bons choix et de lutter contre une dictature, qu’elle soit politique ou religieuse.
La laïcité, seul remède valable ? Chimère… En tout cas à court terme. La Tunisie, pays a priori le plus proche des modèles turc ou indonésien vantés pour leur capacité à concilier islam et démocratie, n’est pas un pays laïc ou en passe de le devenir, n’en déplaise à certains. La vérité, c’est que la Tunisie est plurielle : conservatrice mais aussi moderniste, religieuse mais aussi laïque. Elle a le regard tourné vers l’Europe comme vers le Moyen-Orient. Il y a deux Tunisie, pour simplifier au risque de caricaturer, mais personne pour faire la jonction entre ses deux visages. Écarter l’une ou l’autre de ces composantes serait suicidaire.
Que faire, alors ? Accepter la victoire des islamistes, si elle est régulière, lutter, défendre ses idées, s’organiser, nouer des alliances, travailler, dialoguer avec eux… Mais aussi, c’est une tâche complexe et de longue haleine, se pencher sérieusement sur le fond du problème. La lecture littérale du Coran est un argument commode pour tous ceux qui veulent préserver l’obscurantisme et les archaïsmes. L’ijtihad, l’effort d’interprétation moderne des textes religieux, tel que l’ont conduit des réformistes comme Méhémet Ali ou Jamal al-Din al-Afghani au cours de la Nahda (« renaissance »), en Égypte, au XIXe siècle, n’en est que plus impératif. Faute de quoi le monde arabe se heurtera toujours aux mêmes murs. Tolérants, démocrates et justes, consacrant l’égalité des sexes et la liberté religieuse, les islamistes feraient-ils alors toujours aussi peur ?
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