Belgique : l’accord qu’on n’attendait plus
Après cinq cents jours d’une crise politique aiguë, huit partis flamands et francophones se sont enfin entendus pour faire évoluer les institutions et éviter l’implosion de la Belgique. Elio Di Rupo devrait être nommé Premier ministre dès le mois prochain.
« Nous avons un accord institutionnel global. » Quand Elio Di Rupo prononce ces mots, le 11 octobre, la plupart des Belges se montrent soulagés et… incrédules. Cela fait tout de même près de cinq cents jours que la crise dure, cinq cents jours pendant lesquels les partis politiques n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la formation d’une coalition, au point que l’éclatement du pays devenait une option de plus en plus réelle. Le dernier espoir reposait sur Di Rupo, le « formateur » chargé par le roi des Belges de mettre d’accord huit partis politiques flamands et francophones « traditionnels » – c’est-à-dire sans les extrémistes flamands du NV-A, pourtant grands vainqueurs des élections mais dont l’attitude inflexible et jusqu’au-boutiste a fait capoter toutes les tentatives de constituer une coalition entre eux et les francophones au niveau fédéral.
Noeud pap
Di Rupo, dont le visage trahit l’épuisement mais qui n’en porte pas moins avec élégance son éternel nœud papillon, continue de lire devant les caméras et le crépitement des flashs un texte dont tous les mots semblent avoir été pesés au trébuchet d’or : « … un accord pour faire évoluer notre pays et le stabiliser… » Les deux verbes ne sont pas choisis au hasard : oui, il faut que la Belgique évolue car la sempiternelle querelle entre Wallons et Flamands menace de bloquer définitivement les choses, et on ne voit plus alors comment la Belgique pourrait continuer d’exister ; et oui, il faut la stabiliser en cette période de grande incertitude économique et financière.
Au jour le jour
La note de la dette souveraine avait déjà été abaissée en mai dernier par Fitch, logiquement inquiète de voir un pays endetté à plus de 100 % de son PIB n’avoir qu’un gouvernement de gestion des affaires courantes. Moody’s avait annoncé le 7 octobre qu’elle envisageait d’abaisser la note attribuée à la dette de long terme, actuellement Aa1. La Belgique est dans le collimateur de toutes les agences de notation en raison de la crise politique qui, selon elles, paralyse le pays.
Ce dernier point doit d’ailleurs être relativisé. Il est exact qu’après les élections du 13 juin… 2010 le gouvernement d’Yves Leterme était automatiquement devenu « démissionnaire » et se contentait de gérer au jour le jour en attendant la relève, c’est-à-dire un gouvernement de plein exercice. Cependant, les dures négociations qui ont précédé le démantèlement de Dexia au cours du week-end du 8-9 octobre ont montré que ce gouvernement de transition pouvait être efficace et déterminé en cas d’extrême urgence. Mais la pratique démocratique en prend un coup puisque Leterme ne jouit plus de la légitimité conférée par le suffrage populaire.
C’est aux Flamands que Di Rupo, chef du Parti socialiste francophone, s’est adressé en premier en précisant que l’accord répondait à leur « souhait de changement profond ». Mais la Belgique ne serait pas la Belgique si Di Rupo n’avait pas immédiatement assuré aux Wallons et aux Bruxellois que leur désir de « stabilité » était, lui aussi, écouté et respecté. L’accord doit encore être adopté dans les prochains mois à la majorité des deux tiers au Parlement, mais cela ne devrait pas poser de problème puisque les huit partis disposent d’une telle majorité. Elio Di Rupo pourrait prendre ses fonctions de Premier ministre dès le mois prochain.
Quel est cet accord qu’il n’hésite pas à qualifier de « mémorable » et d’« historique » ? On n’en connaît que les grandes lignes. La pierre d’achoppement qui a fait capoter jusqu’ici toutes les négociations était le sort futur de l’arrondissement électoral BHV, c’est-à-dire Bruxelles-Hal-Vilvorde, le seul de Belgique à être bilingue avec les dix-neuf communes de Bruxelles entourées par une grande couronne de trente-cinq communes flamandes… où habitent aussi beaucoup de francophones ! Assez logiquement, BHV cristallise toutes les tensions entre francophones et Flamands. Là, un consensus semble avoir été atteint : les Flamands obtiendraient la scission de l’arrondissement bilingue, qu’ils réclament depuis des lustres, en échange de fonds supplémentaires pour Bruxelles, ville francophone (mais officiellement bilingue) dont les finances sont exsangues. Quant aux francophones des communes flamandes (plus précisément, des six « communes à facilités »), ils auraient le droit de voter sur place, mais pour des candidats bruxellois. Ce serait en somme des habitants virtuels de Bruxelles. Le surréalisme, une spécialité belge, est peut-être la forme la plus intelligente du réalisme.
Vieilles lunes
Autres points de l’accord : le transfert de nouvelles compétences vers les régions, ce que réclament les Flamands, et une refonte du système de financement des régions et de l’État fédéral. On sait déjà que les allocations familiales, la lutte contre le chômage et l’allocation vieillesse seront gérées non plus au niveau fédéral mais au niveau régional : les extrémistes flamands ne pourront donc plus prétendre que la Flandre industrieuse travaille pour entretenir les Wallons paresseux – une vieille lune dont toutes les études sérieuses ont démontré l’inanité, mais le populisme ne s’encombre pas de vérité. Ce sont là les grandes lignes de l’accord. Il reste à les traduire en textes de loi. Le diable est dans les détails, mais il faut espérer qu’il se fera, pour une fois, aussi petit que le Manneken-Pis.
« De toute évidence, la Belgique de demain sera très différente de la Belgique d’hier », a conclu Elio Di Rupo. Certes, mais que la gestation et l’accouchement de cette nouvelle Belgique auront été longs !
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