Palestine : Mahmoud Abbas, l’anti-Arafat

En défendant le projet d’adhésion de la Palestine à l’ONU, Mahmoud Abbas, ce fedayin en col blanc, est définitivement sorti de l’ombre de Yasser Arafat.

Mahmoud Abbas saluant la foule, le 8 octobre, à Ramallah. © SIPA PRESSE

Mahmoud Abbas saluant la foule, le 8 octobre, à Ramallah. © SIPA PRESSE

Publié le 25 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

Au cœur de la cité cisjordanienne de Ramallah, des ouvriers palestiniens mettent la dernière main au nouveau palais présidentiel. La pelouse, impeccable, est plantée d’oliviers. Le bâtiment de pierre blanche inspire l’assurance et la solidité. Il a été construit pour envoyer un message clair : ici réside le président d’un État souverain et indépendant.

En réalité, l’homme qui devrait bientôt y emménager n’a pas d’État à gouverner. À l’heure actuelle, Mahmoud Abbas, 76 ans, n’est que le chef de l’Autorité nationale palestinienne de transition, un organisme faible, financièrement handicapé et dont les pouvoirs sont limités. À chaque fois qu’il souhaite quitter la ville, Abbas doit traverser un check-point israélien et longer un cordon de colonies juives.

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Cependant, malgré toutes les frustrations passées, l’automne apporte aux Palestiniens un nouvel espoir dans leur longue quête d’un État et de l’indépendance. Le 23 septembre, en appelant l’ONU à soutenir sa cause et à admettre enfin la Palestine comme État membre à part entière, Abbas savait qu’il faisait un pari diplomatique audacieux. Ce jour-là, l’homme tranquille de la scène politique palestinienne est définitivement sorti de l’ombre de Yasser Arafat, le leader qui a si longtemps incarné le rêve palestinien.

"L’homme des détails"

Sa vie, comme celle de tant de Palestiniens, a été ponctuée par les événements tragiques qui ont bouleversé l’histoire régionale. Emportée par le flot de réfugiés palestiniens durant la guerre de 1948, sa famille a dû quitter Safed, une antique ville de Galilée. « Il aspire de tout son cœur à y retourner », témoigne Marwane Abdelhamid, ancien conseiller et ami de toujours, avec qui il a partagé son enfance et son exil. « Mais il est désormais convaincu que, pour le bien de nos enfants et de nos petits-enfants, Safed doit désormais revenir à Israël. Nous devons l’accepter. »

Après avoir fui la Palestine, la famille Abbas s’établit à Damas, où le futur dirigeant étudie le droit. Puis il s’installe dans le Golfe, où il rencontre Arafat, fondateur du mouvement Fatah et futur président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). La relation qu’ils nouent va forger son avenir et celui de la Palestine.

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Abbas s’est d’abord affirmé comme le conseiller, le négociateur et « l’homme des détails » d’Arafat. Ce dernier, charismatique leader paradant en treillis sur la scène internationale, formait avec Abbas, l’homme calme en costume-cravate, un duo disparate mais efficace.

Leur collaboration a été fructueuse durant les années d’espoirs qui ont précédé et suivi les accords d’Oslo, en 1993. Mais leurs relations se sont détériorées quand le processus de paix a commencé à s’enliser, Abbas exprimant ouvertement ses réserves face aux violences de la seconde Intifada. Irrité par le comportement erratique du leader, Abbas finit par démissionner de son poste de Premier ministre en 2003. À la mort d’Arafat, l’année suivante, il lui succède, prenant simultanément le contrôle de l’OLP, de l’Autorité palestinienne et du Fatah.

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Bienveillante façade

Reconnu comme l’architecte des accords de paix d’Oslo, Abbas a prêché la voie de la diplomatie et de la non-violence, plus tôt et avec plus de ferveur que n’importe qui. En 1974, Arafat avait déclaré à la tribune de l’ONU qu’il venait « avec un rameau d’olivier dans une main et le fusil du combattant dans l’autre ». En septembre dernier, Abbas a annoncé haut et fort qu’il se rendait à New York muni du seul rameau d’olivier.

Architecte des accords d’Oslo, il a été le premier leader de l’OLP à prêcher la voie de la diplomatie.

Même au plus fort de la sanglante seconde Intifada, son engagement pour une solution négociée a fait d’Abbas le représentant acceptable du mouvement national palestinien, tout en entretenant l’image d’un dirigeant faible parmi les Palestiniens et ses interlocuteurs israéliens.

Dans plusieurs circonstances, il s’est révélé hésitant et impuissant. Il a été, par exemple, incapable d’empêcher la prise de pouvoir par les islamistes du Hamas dans la bande de Gaza, un échec qui a contribué à la persistante division territoriale et politique de la Palestine. Prenant sa défense, Mohammed Mustapha, son conseiller économique, avance que beaucoup de ses détracteurs prennent, à tort, sa prudence pour de la faiblesse : « C’est un homme très patient : il écoute, assimile, analyse, et, quand cela est nécessaire, il réagit. »

Ces deux dernières années, Abbas a dû se mesurer à des rivaux politiques coriaces, et nombreux sont les dirigeants palestiniens qui ont découvert à leurs dépens le cœur d’acier caché derrière cette bienveillante façade. Même Salam Fayyad, son Premier ministre admiré, fait ces jours-ci profil bas, manifestement affaibli par une série de querelles avec le président.

Loyauté

Dans l’univers perfide de la politique palestinienne, on dit qu’Abbas place au-dessus de tout la loyauté de son entourage proche. Ses assistants le conseillent, préparent ses discours et agissent comme ses émissaires. Au cours d’une réunion récente, Saeb Erekat, le négociateur en chef, lui chuchotait ses recommandations et se tenait également prêt à lui allumer cigarette sur cigarette : malgré une santé déclinante, le président de l’Autorité palestinienne continue de fumer jusqu’à deux paquets par jour.

Marié et père de deux fils, Tarek et Yasser (son troisième fils est mort d’une crise cardiaque), Abbas déclare qu’il ne souhaite pas rester au pouvoir, ce que beaucoup sont disposés à croire. Contrairement à Arafat, qui clamait être « marié à la révolution », il a toujours nourri des intérêts extérieurs à la politique. C’est un lecteur avide qui apprécie également les vieux films arabes et les chanteurs traditionnels. Il a aussi la réputation d’être un fervent musulman, lisant quotidiennement le Coran et priant régulièrement.

Pourtant, une retraite paisible ne semble pas imminente. Selon certains diplomates, il apprécie davantage le décorum du pouvoir et les privilèges de ses fonctions que ne le suggère son attitude modeste. Mais des admirateurs comme Abdelhamid ont une autre explication : « Il continuera de se battre, dit-il, jusqu’à ce que nous obtenions une Palestine libre. » 

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Tobias Buck, Financial Times et Jeune Afrique 2011

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