Les cavaliers de l’Apocalypse

Professeur émérite de sociologie à l’université de Genève et ancien rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation

Publié le 24 octobre 2011 Lecture : 3 minutes.

Les trois cavaliers de l’Apocalypse de la faim organisée sont l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) et, dans une moindre mesure, la Banque mondiale. La Banque mondiale est actuellement dirigée par l’ancien délégué aux accords commerciaux du président George W. Bush, Robert Zoellick, le FMI par Christine Lagarde et l’OMC par Pascal Lamy. Les trois personnes ont en commun une compétence professionnelle exceptionnelle, une intelligence brillante et la foi libérale chevillée au corps. […]

Depuis plus de deux décennies, les privatisations, la libéralisation des mouvements de marchandises, de services, de capitaux et de brevets ont progressé de façon stupéfiante. Les États pauvres du Sud, du coup, se sont retrouvés largement dépouillés de leurs prérogatives en termes de souveraineté. Les frontières ont disparu, les ­secteurs publics – jusqu’aux hôpitaux et aux écoles – ont été privatisés. Et partout dans le monde, les victimes de la sous-alimentation et de la faim augmentent. Une étude d’Oxfam devenue célèbre a démontré que partout où le FMI a appliqué, au cours de la décennie 1990-2000, un plan d’ajustement structurel, de nouveaux millions d’êtres humains ont été précipités dans l’abîme de la faim.

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Là où sévit le FMI, l’agriculture vivrière meurt. Le libre-échange porte le masque hideux de la famine et de la mort.

La raison en est simple : le FMI est précisément en charge de l’administration de la dette extérieure des 122 pays dits du Tiers Monde. Or, celle-ci s’élevait, au 31 décembre 2010, à 2 100 milliards de dollars. Pour servir les intérêts et les tranches d’amortissement de sa dette auprès des banques créancières ou du FMI, le pays débiteur a besoin de devises. Les grandes banques créancières refusent évidemment d’être payées en gourdes haïtiennes, en bolivianos boliviens ou en tugriks mongols. Comment un pays pauvre d’Asie du Sud, des Andes ou d’Afrique noire peut-il s’assurer des devises nécessaires ? En exportant des biens manufacturés ou des matières premières qui lui seront payés en devises. Sur les 54 pays que compte l’Afrique, 37 sont presque entièrement agricoles. […]

Là où sévit le FMI, les champs de manioc, de riz, de mil se rétrécissent. L’agriculture vivrière meurt. Le FMI exige l’extension des champs de culture coloniale, dont les produits – coton, arachide, café, thé, cacao, etc. – pourront être exportés sur le marché mondial et rapporter des devises, à leur tour affectées au service de la dette.

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La deuxième tâche du FMI est d’ouvrir les marchés des pays du Sud aux sociétés ­transcontinentales privées de l’alimentation. C’est ­pourquoi, dans l’hémisphère Sud, le libre-échange porte le masque hideux de la famine et de la mort. […]

En 1970, quelque 800 000 producteurs locaux fournissaient la totalité du riz consommé au Ghana. En 1980, le FMI a frappé une première fois : le tarif douanier, protecteur du riz, fut ramené à 20 %, puis encore réduit. Le FMI exigea alors que l’État supprimât tous les subsides versés aux paysans pour faciliter l’achat de pesticides, d’engrais minéraux et de semences. Aujourd’hui, le Ghana importe plus de 70 % du riz consommé dans le pays. Le Marketing Board, l’office national de commercialisation des produits agricoles (cacao, etc.), a été aboli. Des sociétés privées s’occupent désormais des exportations. […]

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Le Ghana est une démocratie vivante, les députés sont animés d’un fort sentiment de fierté nationale. Afin de faire renaître la riziculture nationale, le Parlement d’Accra a décidé, en 2003, d’introduire un tarif douanier de 25 % pour le riz importé. Le FMI a réagi avec vigueur. Il a contraint le gouvernement ghanéen à annuler la loi. En 2010, le Ghana a payé plus de 400 millions de dollars pour ses importations alimentaires.

L’Afrique entière a dépensé, en 2010, 24 milliards de dollars pour financer sa nourriture importée. Au moment où j’écris ces lignes, en 2011, la spéculation boursière fait exploser les prix ­mondiaux des aliments de base. Selon toute vraisemblance, l’Afrique ne pourra, cette année, importer qu’une quantité très insuffisante de nourriture. Partout et toujours, la violence et l’arbitraire du marché libre de toute contrainte normative, de tout contrôle social, tue. Par la misère et par la faim. 

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Extraits du dernier livre de Jean Ziegler : Destruction massive, géopolitique de la faim, aux éditions du Seuil (352 pages, 20 euros).

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