La mare aux poncifs

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  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 19 octobre 2011 Lecture : 2 minutes.

« Les gens n’écoutaient plus la radio que pour le bruit que ça faisait. » Ainsi parlait Sony Labou Tansi, qui dépeignait, dans l’un de ses romans, l’état d’esprit des habitants d’un pays dirigé par un guide providentiel. Aujourd’hui, il n’y a plus de guide providentiel. Mais les gens, toujours aussi désabusés, continuent à écouter la radio. Leurs motivations ? Écouter de la « bonne musique » ; suivre les avis et communiqués ou les prêches d’un vendeur de paradis ; d’autres, pour diverses raisons, tiennent encore à découvrir les dernières nouvelles du monde.

Un matin de septembre, mon poste récepteur est en marche. Sur la station que je capte, la présentatrice annonce une chronique intitulée « Pourquoi les Noirs n’aiment pas les Noirs ». Je dresse l’oreille, moi qui ai souvent entendu dire que « le Noir est l’ennemi du Noir ». Pour le chroniqueur – africain, je le souligne –, un Noir ne peut pas vouloir le bonheur d’un autre Noir. Sa seule préoccupation est d’écraser son semblable, le jalouser, le rendre malheureux. Toujours selon ce monsieur, pour toutes ces raisons, les Noirs ne peuvent pas s’entendre. Cela me rappelle ce que j’ai entendu en Guadeloupe, en 1998. Un habitant de Pointe-à-Pitre à qui je demandais pourquoi tous les commerces étaient détenus par des Libanais, sauf exception, me donna cette réponse renversante : « C’est parce que nous sommes incapables, nous, Guadeloupéens, de nous mettre d’accord pour monter une affaire ! » Un sociologue a osé écrire dans un ouvrage que « les Africains fraudent dans le métro » en France. Les Africains ! Certains Africains sont convaincus que « les Africains parlent fort ». Le bruit et la fureur, n’est-ce pas ? Ou encore, comme ces deux Ouest-Africaines papotant dans un train de banlieue, que « les Africains sont bêtes » ! Bravo, messieurs ! Bravo, mesdames ! Vous êtes de fins observateurs.

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Ainsi donc, les Noirs – je me demande bien de qui il s’agit – seraient les champions du monde de la haine, de la convoitise, de la division, de la conflictualité, de la méchanceté, de l’ambition démesurée, de la bêtise. Les autres, seraient, eux, les orfèvres de l’altruisme, de l’amour infini du prochain, de la paix sociale, etc. Ce qui revient à dire que les Noirs ne sont pas comme les autres hommes.

Doit-on, si l’on est noir, aimer ou haïr les autres Noirs même s’il n’y a aucune affinité, aucune animosité ? Doit-on, si l’on est noir, se laisser distancer par les autres Noirs au nom d’une fraternité de l’épiderme dans un monde où seule la compétition compte ? Les Noirs doivent-ils se jeter dans les bras les uns des autres en ne regardant que la couleur ? Je me demande pourquoi quelques personnes veulent transformer leur propre frustration, leurs propres échecs, leur aliénation et leur ignorance en « vérité scientifique ». Les Noirs n’ont pas le monopole de la danse ni du chant qui vous arrache des larmes. Encore moins celui de la course à pied. Quelques Noirs ne signifient pas tous les Noirs. Sony Labou Tansi, si tu nous lis, là où tu es, nous ne sommes pas sortis de l’auberge de l’essentialisme. Il n’y a plus de guide providentiel, mais nous continuons à écouter la radio pour le bruit qui en sort. 

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