Sénégal : la résurrection d’Ablaye Ndiaye Thiossane

Star incontournable de la musique sénégalaise des années 1950 et 1960, le chanteur sort un album lumineux et se produit à nouveau en tournée. Le baobab de la rumba afro-cubaine est toujours vert !

Pochette du nouvel album d’Ablaye Ndiaye Thiossane. © Discograph

Pochette du nouvel album d’Ablaye Ndiaye Thiossane. © Discograph

Publié le 17 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

« Tino Rossi, BB King, Chuck Berry, James Brown… » Quand on lui demande qui sont ses idoles, Ablaye Ndiaye Thiossane égrène des icônes d’autrefois et vous parle de Marinella comme s’il s’agissait du tube du moment. À 75 ans, avec sa barbe soignée, couleur de neige, le chanteur, qui sort son tout premier disque et part en tournée en France, n’est pas vraiment un débutant.

Le vieil homme au français hésitant est originaire de Thiès, à 70 km de Dakar, dans la région du Cayor, qui s’illustra pour sa résistance farouche aux velléités colonisatrices de l’Hexagone. Né dans une famille de griots, il se souvient d’une jeunesse bercée par les airs traditionnels que lui chantait sa mère, mais aussi par des musiques que lui faisait découvrir son père mélomane, entre standards américains (Harry Belafonte, Duke Ellington), chanson arabe (Farid El Atrache), orchestre cubain (le Septeto Habanero) ou rumba africaine (le Grand Kallé)… C’est en métissant ces influences qu’Ablaye modernise la musique traditionnelle sénégalaise. Il entame sa carrière en 1952, jouant au sein de nombreux groupes : la troupe théâtrale de l’Union artistique de Thiès, le Cayor Rythme et le Thiossane Club, dont il est le fondateur (thiossane signifiant « racines », allusion aux « roots » de la musique africaine). Il est l’un des premiers à donner de la place aux guitares électriques dans ses chansons, enregistrées directement à la radio, et qui deviennent souvent des succès populaires. Entre le milieu des années 1950 et le milieu des années 1960, l’artiste est indétrônable au Sénégal. À tel point qu’en 1966 l’un de ses titres, Talene Lampe Yi, est retenu comme hymne radiophonique du premier Festival mondial des arts nègres, organisé par Léopold Sédar Senghor, à Dakar. À cette occasion, Ablaye, au firmament de sa carrière, rencontre même le grand Duke Ellington, qui l’invite à donner de la voix dans son orchestre… Rendez-vous manqué : le chanteur doit se produire au même moment à l’autre bout de la ville.

la suite après cette publicité

Et puis ? Et puis plus rien. Ablaye disparaît subitement de la scène. Les raisons de cette éclipse sont obscures, mais certains évoquent une crise mystique. On le retrouve, quelques années plus tard, peintre-cartonnier à la manufacture de tapisserie de Thiès ! L’artiste multicarte, qui s’est fait la main en copiant des affiches de films, s’est inscrit entre-temps à l’École nationale des arts. Ses créations, étonnantes, sont à mi-chemin entre les toiles multicolores de Robert Delaunay et les tableaux mouvementés des futuristes italiens… à la différence près qu’il représente des Africains (à voir sur myspace.com/thiossaneablaye). C’est d’ailleurs plutôt comme plasticien qu’il est connu aujourd’hui dans sa région natale.

L’histoire de ce retour tardif sur scène est donc celle d’un « repêchage ». Le célèbre producteur Ibrahima Sylla, qui a contribué à faire connaître Salif Keita, Ismaël Lo ou encore Alpha Blondy, le rencontre par hasard dans un hôtel de Dakar. « Je n’en revenais pas, raconte-t-il, pour moi, c’était une légende… et tout le milieu de la musique l’avait lâché, personne ne lui avait tendu la main. Pourquoi laisser une bibliothèque brûler ? Ablaye a dû créer plus d’un millier de titres, il fallait les faire redécouvrir. »

Légende

Le chanteur se laisse aisément convaincre, mais la production de l’album prend du temps, ne serait-ce que pour déterminer les chansons à enregistrer. « Lors de notre première séance de travail, se souvient Ibrahima Sylla, Ablaye est venu me voir avec quatre cassettes audio, soit quarante-­quatre chansons ! Et dans le lot, beaucoup de tubes potentiels… On ne savait plus quoi sélectionner. » Seconde étape, réunir les musiciens autour du chanteur. Le choix a été plutôt serré : ont été retenues beaucoup d’anciennes gloires de la musique africaine. Entre autres grands noms : Papa Noël (guitariste et fondateur de l’orchestre Bamboula, à Kinshasa), Cheikhna Ndiaye (guitariste de l’orchestre national du Sénégal), Thierno Kouyaté (saxophoniste de l’orchestre Baobab), Khar Mbaye Madiaga (doyenne des cantatrices traditionnelles sénégalaises) et Doudou Seck (spécialiste des chansons de lutte aux arènes sénégalaises). Beaucoup de ces anciens, justement, suivent Ablaye dans sa tournée française. Ce grand come-back teinté de nostalgie en évoque immanquablement un autre qui a enchanté l’Occident, celui du Buena Vista Social Club. Et d’ailleurs, leur revival emprunte beaucoup aux rythmes latino-américains : sur les neuf pistes que comprend le CD, on compte six titres de rumba africaine.

la suite après cette publicité

Redécouverte

Dans l’industrie musicale, l’heure est à la redécouverte, alors que le label londonien World Circuit Records entraîne à nouveau en studio l’orchestre Baobab, né dans les années 1970, et qu’Analog Africa, un autre label, basé à Francfort, sort des compilations de titres de soul et de funk africains datant également des seventies ! Mais, pour artificielle qu’elle paraisse, cette « fabrication » d’un groupe d’anciens délivre une musique d’une grande sincérité. Ablaye et son groupe se donnent avec générosité. Ibrahima Sylla souligne que, fait inhabituel, beaucoup de musiciens ayant participé à l’album ont renoncé à leur cachet, car ils se sentaient redevables vis-à-vis d’un artiste qui les a aidés à se construire. 

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires