États-Unis : les Noirs, parents pauvres d’Obama
L’élection historique de 2008 aux États-Unis semblait de bon augure pour les Africains-Américains. Or, non seulement leur sort ne s’est pas amélioré, mais ils sont les premières victimes de la crise.
Le triomphe, et puis… plus rien. S’il y a une communauté pour laquelle la « révolution Obama » a fait long feu, c’est bien celle des Africains-Américains. Depuis l’élection du premier président noir de l’histoire des États-Unis, rien n’a changé. Et les perdants sont toujours les mêmes.
Pas une journée qui n’apporte son lot de mauvaises nouvelles ou de faits navrants, comme cette initiative des étudiants républicains de Berkeley qui ont vendu des muffins à des prix variant en fonction de l’appartenance ethnique de l’acheteur. Là où un Blanc payait 1,25 dollar, un Noir ne payait que 75 cents…
Taux de pauvreté de 27 %, en hausse de deux points depuis 2009 (contre 10 % pour les Blancs), taux de chômage de 16 %, en augmentation constante (la moyenne nationale est de 9 %)… Obama ou pas, les voyants socioéconomiques des Noirs sont dans le rouge. À New York, la situation est si préoccupante que Michael Bloomberg, son richissime maire, a sorti 30 millions de dollars (22,3 millions d’euros) de sa poche pour financer un programme d’urgence de retour à l’emploi, destiné aux jeunes Noirs et Latinos.
À Washington, en revanche, ce n’est pas la priorité de l’administration Obama. L’heure de la politique d’Affirmative Action semble passée. Désormais jugée ringarde, elle se heurte de surcroît aux réticences de la Cour suprême.
Des faits divers récents ont également ramené l’Amérique à des heures bien sombres. En juin, dans le Mississippi, un quadragénaire noir agressé par une bande d’adolescents blancs aux cris de « white power! » est mort écrasé par la voiture de l’un d’eux. Le principal suspect, 19 ans, encourt la peine capitale. L’exécution de Troy Davis, le 21 septembre, a rappelé le racisme latent du système judiciaire américain, quand il n’est pas assumé, comme lors de cette condamnation à mort d’un Noir au Texas, en 1997, où un psychologue avait affirmé à la barre que « la race de l’accusé » était « un facteur de dangerosité ».
Menteur
Dénonçant la proportion record des Noirs parmi les 2,3 millions de détenus, l’historienne Michelle Alexander, dans un livre polémique*, n’hésite pas à y voir le résultat « de nouvelles lois Jim Crow » – du nom des lois ségrégationnistes en vigueur jusque dans les années 1960 – empêchant toujours l’accès des Noirs à la citoyenneté. Avec, à l’appui, ce constat qui fait froid dans le dos : il y a aujourd’hui davantage de Noirs sous contrôle judiciaire – avec un statut de quasi-parias, puisqu’ils sont notamment privés du droit de vote – qu’il n’y avait d’esclaves en 1850…
L’Amérique postraciale que promettait l’élection historique d’Obama apparaît comme un mirage. Certes, cette fiction a permis son accession à la Maison Blanche, mais aujourd’hui plus personne ne s’y trompe, la color line n’est pas près de s’effacer. Pour beaucoup d’observateurs, elle expliquerait la férocité de l’opposition au Congrès, nombre de républicains nourrissant une animosité viscérale, mâtinée de racisme, à l’égard d’Obama. Le parlementaire qui, en 2009, l’a interrompu en plein discours en le traitant de menteur aurait-il agi de même avec un président blanc ? Probablement pas.
Qu’en pense le principal intéressé ? Pas grand-chose, à vrai dire. Soucieux d’apparaître comme le président de tous les Américains, échaudé par la polémique qui avait précédé son élection – son amitié avec Jeremiah Wright, un révérend noir aux positions radicales –, Obama reste quasi muet sur la question. Il ne s’est départi de cette neutralité qu’une seule fois, lors de la polémique opposant Henry Louis Gates, un éminent professeur noir de Harvard, à un policier blanc qui l’avait arrêté sur le seuil de sa propre maison, le prenant pour un cambrioleur… Le président avait alors souligné la persistante surreprésentation des Noirs dans les arrestations (86 % des cas à New York), avant de réunir les deux hommes à la Maison Blanche pour clore l’incident autour d’une bière.
Bonne fille
Les rares fois où il s’est exprimé à ce sujet, Obama a exhorté la communauté noire à se prendre en charge. En juillet 2009, il incitait les parents « à ranger les consoles de jeu, à coucher les enfants à une heure raisonnable et à prendre leur destin en main ». Même discours le 24 septembre dernier devant le Black Caucus, l’association des élus noirs au Congrès : « Ôtez vos pantoufles, s’est-il exclamé, mettez vos chaussures de marche. Secouez-vous. Arrêtez de vous plaindre, de ronchonner, de pleurer. Nous allons faire avancer les choses… »
Jusque-là bonne fille, la communauté noire donne de sérieux signes de lassitude : selon un sondage ABC-Washington Post du 18 septembre, 58 % de ses membres disent avoir une opinion favorable du président, contre 83 % au mois d’avril dernier. À Bedford-Stuyvesant, le quartier noir historique de Brooklyn, les affiches de la campagne de 2008 trônent pourtant toujours dans les devantures des barber shops et des supermarchés, au côté des portraits de Malcolm X et de Martin Luther King. Peu expriment ouvertement de la déception. « Que pouvait faire Obama avec le fardeau dont il a hérité ? Moi, je suis toujours fier qu’il y ait un Noir à la Maison Blanche », explique un homme croisé dans une librairie communautaire.
Il n’empêche : des voix discordantes se font entendre. Comme celle de Cornel West, grande figure intellectuelle noire, qui dans un cinglant éditorial du New York Times écrit que Martin Luther King se retournerait dans sa tombe s’il voyait l’Amérique d’Obama.
Le président a tenté de répondre à ces attaques le 16 octobre, en prenant la parole lors de l’inauguration du mémorial Martin Luther King à Washington. « Notre travail, le travail du Dr King, n’est pas terminé (…) aujourd’hui, tirons notre force des combats passés », a-t-il clamé.
* The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Colorblindness, The New Press, 2010.
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