Karim Ghellab : « La Koutla n’est pas morte »
Le ministre marocain des Transports, membre du comité exécutif de l’Istiqlal, évoque le TGV Tanger-Casablanca, mais aussi les élections législatives de novembre, les islamistes et le reste de l’échiquier politique.
Maroc : législatives anticipées 2011
Karim Ghellab, 45 ans, occupe une place à part dans la classe politique marocaine. Ingénieur des Ponts, il a dirigé différents départements du ministère des Transports avant d’en prendre la tête en 2002. Désigné au titre de l’Istiqlal, avec lequel il entretenait des relations surtout familiales, il a éprouvé le besoin de régulariser sa situation en se donnant une légitimité démocratique. Et c’est dans une circonscription populaire de Casablanca qu’il a arraché de haute lutte un mandat local, puis national. Depuis, à l’Istiqlal, il est chez lui. Au dernier congrès, il a été élu au comité exécutif. À la quatrième position, loin devant des dinosaures.
Après l’adoption de la Constitution, le roi a fait observer que le pays entrait dans une nouvelle période et que chaque période avait ses propres hommes. Une manière élégante d’inviter certains personnages brejnéviens à « dégager ». Karim Ghellab, lui, appartient à la génération qui, après les élections de novembre, va s’affirmer sur le devant de la scène. À Jeune Afrique, il a parlé bien entendu du TGV, mais aussi des islamistes et des alliances qui se nouent ou s’effilochent.
Jeune Afrique : Les travaux du TGV Tanger-Casablanca ont été lancés le 29 septembre. Est-ce que le Maroc a vraiment besoin d’un TGV ? N’y a-t-il pas d’autres priorités ? Les 3 milliards d’euros ne pourraient-ils pas être mieux utilisés en ces temps de crise ?
Karim Ghellab : Le TGV constitue une priorité dans le cadre de la politique des grands chantiers. Le Maroc en a besoin pour promouvoir l’emploi et développer les régions. L’évolution des transports nécessite aujourd’hui le développement du train à longue distance, laquelle impose la technologie du TGV. Mais les priorités sociales ne sont pas négligées pour autant. Au cours des trois dernières années, le budget de l’Éducation nationale a augmenté de 28 %, pour atteindre 50 milliards de dirhams par an (environ 4,5 milliards d’euros), et celui de la Santé, qui dépasse les 10 milliards de dirhams, a crû de 34 %.
Les 3 milliards d’euros que vous avez cités après d’autres ne constituent pas le budget du TGV. Il s’agit des investissements ferroviaires sur cinq ans de l’Office national des chemins de fer [ONCF], et ils portent aussi sur d’autres opérations. Le TGV, c’est 1,8 milliard d’euros et, dans cette somme, les trois quarts sont des crédits exclusivement mobilisés pour ce projet. La part qui peut être utilisée pour d’autres priorités et qui relève du budget de l’État représente 500 millions d’euros. Une part est financée par le Fonds Hassan-II et le reste par l’État, soit 75 millions d’euros par an sur six ans. Cela correspond à 1,4 % du budget général d’investissement de l’État, ce qui est tout à fait soutenable.
Comprenez-vous que ce projet ait pu choquer ?
Tous les grands programmes qui tirent le pays vers un avenir meilleur suscitent ce genre d’interrogations. C’était le cas des autoroutes, jugées trop en avance il y a vingt-cinq ans et plébiscitées aujourd’hui, ou le port de Tanger-Med, il y a dix ans. Mais nous avons le devoir de mieux expliquer.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’appel d’offres ? La France était-elle le meilleur partenaire ?
Les Français ont apporté des conditions de financement exceptionnelles. Ils financent la moitié [dont un crédit de 350 millions d’euros avec un taux d’intérêt de 1,2 %, sur quarante ans]. Et puis la France est l’un des deux pays, avec le Japon, qui maîtrisent le mieux cette technologie. On a mis en place un transfert de technologie et on va créer un institut ferroviaire spécialisé de la grande vitesse.
Le TGV ne sera-t-il pas réservé à une élite ?
Pas du tout, nous nous engageons à ce que les mêmes catégories socioprofessionnelles qui prennent le train aujourd’hui le prennent encore demain.
Pourriez-vous esquisser un bilan des grands travaux ?
Le réseau autoroutier est passé de 450 km en 2003 à 1 416 km aujourd’hui. Toutes les villes de plus de 400 000 habitants sont ou seront desservies d’ici à 2015 par une autoroute. Le Maroc est sur la carte mondiale des ports avec Tanger-Med. Nous sommes connectés au monde grâce à l’Open Sky avec un trafic aérien qui est passé de 5 millions à 15 millions de passagers. Tout cela a apporté des centaines de milliers d’emplois, en particulier dans le BTP. Désormais, plusieurs régions, comme l’Oriental ou le Sud, sont désenclavées et ont un avenir prometteur. Ce sont des messages forts pour attirer des investisseurs là où ils n’allaient plus.
La politique des grands travaux est-elle appelée à se poursuivre ?
Bien sûr, c’est une politique que Sa Majesté suit avec intérêt. Le programme TGV en est une étape majeure. Il reliera d’abord Tanger à Casablanca, puis à Marrakech et à Agadir, etc. Les tramways ? Ceux de Rabat et Casa sont en cours, mais d’autres villes moyennes de plus de 500 000 habitants devraient en être dotées. Cette politique contient aussi de gros investissements dans l’énergie et dans les programmes de développement urbain comme les villes nouvelles. C’est parce qu’il maîtrise sa dette que le Maroc peut se le permettre : son taux d’endettement est de 52 %, alors qu’en Europe presque aucun pays ne respecte le taux de 60 % édicté par Maastricht.
Avec la nouvelle Constitution, les élections ont un enjeu majeur. Comment votre parti va-t-il assurer une meilleure participation qu’en 2007 ?
Cette question se pose à tout le monde. De notre côté, nous allons mobiliser les jeunes à travers notre organisation de la jeunesse istiqlalienne en mettant à profit le réveil de la jeunesse arabe.
Si l’Istiqlal arrivait à nouveau en tête, verrait-on des visages plus jeunes sur le devant de la scène ? Serait-il concevable qu’un homme, ou une femme, de 40-50 ans accède au poste de chef de gouvernement ?
C’est tout à fait concevable. Même si la compétence compte plus que l’âge…
En cas de victoire du Parti de la justice et du développement (PJD), l’Istiqlal s’allierait-il avec lui ?
Les alliés naturels de l’Istiqlal, c’est la Koutla [Istiqlal, USFP, PPS]. Le projet de société du PJD n’est pas compatible avec le nôtre, ce n’est pas un bon message pour clarifier le champ politique. L’Istiqlal ne cherche pas à tout prix à être au gouvernement. Il n’y siégera que s’il peut mettre en œuvre son programme et son projet de société.
La Koutla existe-t-elle encore ?
Parfaitement ! Elle a même pris une décision importante : quels que soient les résultats des élections, ses membres agiront de concert. Ou ils seront ensemble dans la majorité ou ensemble dans l’opposition. La Koutla marche d’un seul pas !
Le PJD frappe à la porte de la Koutla. Faut-il la lui ouvrir ou prendre le risque de l’ostraciser ?
Déjà, il frappe de façon assez timide. On a affaire à des déclarations éparses et non pas à une position officielle du parti dans son ensemble. Or il convient pour la bonne perception de l’offre politique, inséparable du fonctionnement d’une démocratie, de ne pas mélanger les positions des uns et des autres.
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Propos recueillis par Hamid Barrada.
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