Sénégal : Dakar se rapproche de la Casamance
À quelques mois de la présidentielle sénégalaise, le gouvernement multiplie les projets pour désenclaver la région de la Casamance. Avec des premiers pas concrets.
C’est toujours la même chose à Ziguinchor. Deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, le brouhaha envahit les berges habituellement calmes du fleuve Casamance. Et la ville, tout à coup, revit… L’Aline Sitoé Diatta, le seul ferry qui la relie à Dakar, déverse son lot de commerçantes de retour de la capitale, de travailleurs ou d’étudiants venus rendre visite à la famille, ainsi que quelques touristes. Pour rien au monde Mamadou ne manquerait le rendez-vous. « C’est le seul moment où je peux gagner des clients », dit-il devant les deux tables de son minuscule restaurant, à deux pas de l’entrée du port. Les langoustes grillées qu’il propose ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Et les touristes sont bien trop rares.
Un espoir tout de même : bientôt, Mamadou pourra peut-être se permettre de ne pas être de chaque arrivée. Si tout se passe bien, dans un peu plus de un an, l’Aline Sitoé Diatta – un ferry moderne pouvant transporter cinq cents passagers, qui a pris la succession du Joola de sinistre mémoire – ne sera plus le seul lien maritime entre le chef-lieu casamançais et le reste du Sénégal. Le 29 septembre, la Corée du Sud a annoncé qu’elle allait financer la construction de deux navires qui assureront la desserte à partir de fin 2012.
« Un seul bateau ne suffit pas. Il ne permet pas aux commerçants de venir régulièrement à Dakar vendre leurs produits », explique un conseiller de Karim Wade, le ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Énergie, qui a signé la convention avec les Coréens. L’accord d’un montant de 27 milliards de F CFA (41 millions d’euros) devrait également permettre la construction, à Ziguinchor, d’un complexe frigorifique d’une capacité de 2 000 tonnes.
L’entrepreneur Pierre-Marie Coly se dit ravi. « C’était une attente de la population depuis longtemps. Avec le ferry actuel, le fret est quasi inexistant. Et puis, les prix sont inaccessibles. » Dans les locaux vétustes de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Ziguinchor, Jean-Pascal Ehemba, son président, est tout aussi enthousiaste. « C’est une excellente nouvelle pour l’économie de la Casamance », dit-il, notamment « parce qu’elle ne vient pas seule ». Depuis quelques jours, Sénégal Airlines propose en effet neuf rotations par semaine entre Dakar et Ziguinchor, avec un avion de quarante-huit places. Auparavant, un transporteur assurait bien des vols quotidiens, mais la place manquait dans son coucou capable d’embarquer tout au plus une dizaine de passagers.
Même Robert Sagna, l’ancien maire de Ziguinchor qui joue aujourd’hui un rôle central au sein de la coalition d’opposition, Benno Siggil Sénégal, applaudit : le désenclavement, rappelle-t-il, « c’est vital » pour la Casamance, sinistrée par trente ans de guerre larvée. Le taux de chômage y oscille entre 60 % et 80 % chez les jeunes, le tourisme est en état de mort clinique et l’agriculture a perdu son lustre d’antan. Or, sans développement économique, on ne viendra pas à bout de la rébellion, estime-t-on au gouvernement.
Promesses
Lors de l’inauguration de la nouvelle ligne aérienne, en août, Karim Wade a d’ailleurs multiplié les promesses : construction d’un aéroport international et d’une route digne de ce nom contournant la Gambie, réhabilitation du pont Émile-Badiane, véritable cordon ombilical qui relie Ziguinchor au nord de la Casamance, si vétuste que les autorités ont dû imposer des restrictions à la circulation des poids lourds… Il a également rappelé que le projet de pont sur le fleuve Gambie restait « une priorité », même si ce vieux rêve est entravé par les réticences de Banjul.
Autant d’annonces qui tombent à point nommé à cinq mois de la présidentielle, ironisent des opposants. Ils rappellent que la Casamance est certes un bastion du Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, mais un bastion menacé qui pourrait basculer dans les prochains mois. « Ce régime nous a habitués à des promesses. Cela fait onze ans qu’on nous parle du désenclavement de la Casamance et qu’on ne voit rien. J’espère que ce ne sont pas des effets d’annonce », alerte Robert Sagna.
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