Nobel de la paix : chapeau, les femmes !
Trio gagnant : la présidente du Liberia ; une militante pacifiste, elle aussi libérienne ; et une journaliste yéménite ont obtenu le prix Nobel de la paix. Récompensées pour leur combat en faveur de l’égalité des sexes.
Alors que la plupart des commentateurs n’avaient d’yeux que pour les blogueurs des révolutions tunisienne et égyptienne, le prix Nobel de la paix 2011 a été attribué conjointement à Ellen Johnson-Sirleaf, la présidente du Liberia, à sa compatriote Leymah Gbowee, une militante pacifiste, et à Tawakkul Karman, une journaliste yéménite. Lors de son attribution, le 7 octobre, Thorbjorn Jagland, le président du comité Nobel, a expliqué que ce prix encourageait « la lutte pacifique des femmes pour la sauvegarde de leurs droits et leur participation à la résolution des conflits » – des combats dans lesquels les trois lauréates se sont engagées avec ardeur.
Comme pour la remise du Nobel à Barack Obama en 2009 et au dissident chinois Liu Xiaobo en 2010, la décision des « sages d’Oslo » prend une dimension très politique. Le premier tour de la présidentielle libérienne, dans laquelle Johnson-Sirleaf brigue un second mandat, a lieu le 11 octobre, soit quatre jours après l’attribution du Nobel. Au Yémen, la contestation monte depuis le retour au pays, le 23 septembre, du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis trente-trois ans, conspué par des milliers de manifestants sur la place du Changement, à Sanaa.
Ellen Johnson-Sirleaf, 72 ans, première femme élue présidente sur le continent, est la plus connue des trois lauréates. Pour celle que ses partisans surnomment Old Ma, ce Nobel couronne un parcours national et international où elle fait preuve d’une grande pugnacité. Ministre des Finances de 1979 à 1980, elle est l’un des quatre membres du cabinet du président William Tolbert à avoir survécu au coup d’État de Samuel Doe en 1980. Issue de la bourgeoisie métisse de Monrovia, formée à l’université Harvard, elle a alterné postes au pays et périodes d’exil, où, en tant que haut fonctionnaire international, elle s’est tissé un solide réseau de soutiens. Élue en 2005, au sortir de la guerre civile, avec 59,4 % des voix, la présidente a fait preuve d’un sens politique certain pour gouverner un pays divisé, s’appuyant sur des collaboratrices de confiance, comme Christiana Tah, sa ministre de la Justice, ou Mary Brown, la maire de Monrovia.
Après cinq ans et demi au pouvoir, Johnson-Sirleaf peut se prévaloir d’un bon bilan économique. Elle a su rééquilibrer les finances publiques, réhabiliter les infrastructures et faire affluer les investissements étrangers. Rigoureuse dans sa gestion des dossiers, la « dame de fer de l’Afrique de l’Ouest » est pourtant accessible. « Elle aime qu’on la sollicite et préfère qu’on lui dise franchement les choses », expliquait, en juin, Florence Chenoweth, sa ministre de l’Agriculture.
Mécontents
Mais pour cicatriser les blessures du passé, il reste au Liberia un long chemin à parcourir. Pour justifier sa seconde candidature, Johnson-Sirleaf confiait à J.A., au début de juin, qu’elle voulait « finir de remettre debout les institutions et l’économie jusqu’à ce que la reconstruction soit irréversible, et la paix durable ». Un argument qui a sans doute convaincu les membres du comité Nobel.
Reste qu’à Monrovia, le choix de cette lauréate est décrié par certains. « L’opposition, mais aussi de nombreux électeurs, sont mécontents, indique Mohammed Kpoghommu, professeur à l’Université du Liberia, à Monrovia. Ils y voient une intervention étrangère trop proche du scrutin, et contestent le passé de Johnson-Sirleaf, qui a soutenu financièrement Charles Taylor au début du conflit. » Pour l’universitaire, en revanche, le choix de Leymah Gbowee fait l’unanimité : « Tous les Libériens, et en particulier les femmes, se reconnaissent dans cette militante qui a joué un rôle majeur pour mettre fin à la guerre civile. »
Surnommée la « guerrière de la paix », Leymah Roberta Gbowee a la cinquantaine rayonnante. En 2002, alors que la guerre faisait rage, cette travailleuse sociale a été à l’origine du mouvement des femmes du Liberia pour la paix, qui a réussi à mobiliser massivement les Libériennes, poussant Charles Taylor à les associer aux négociations de paix. Ses moyens d’action préférés : des prières interreligieuses pour la paix mêlant chrétiens et musulmans, et même une « grève du sexe », les femmes se refusant à leur conjoint tant que les hostilités se poursuivaient. Aujourd’hui encore, ce mouvement reste actif. « Ces dernières semaines, raconte Kpoghommu, les adhérentes se réunissent tous les jours dans le quartier de Sinkor, à Monrovia. Elles prient pour la paix pendant la période de la présidentielle. »
Voile léger
Tawakkul Karman, une Yéménite de 32 ans, est d’une autre génération et d’une culture très différente, mais elle est aussi à la pointe du combat des femmes. Très médiatisée depuis qu’elle a pris la tête des manifestations de jeunes contre le président Saleh en janvier, cette militante des droits de l’homme se bat depuis longtemps. En 2005, elle fonde Femmes journalistes sans chaînes et lutte pour la liberté d’expression. Depuis 2007, elle ne cesse d’appeler à des manifestations pour libérer les prisonniers politiques. Elle dénonce la présence d’Al-Qaïda dans son pays, la pauvreté, le chômage et les discriminations faites aux femmes. Membre du parti islamiste d’opposition Al-Islah, elle n’en a pas moins abandonné le niqab pour un voile plus léger, compatible selon elle avec son engagement public. Cette mère de trois enfants a dédié son Nobel au Printemps arabe. « C’est un honneur pour tous les Arabes, les musulmans et les femmes », s’est-elle réjouie.
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