Il n’est jamais trop tard pour apprendre
L’écrivain franco-congolais livre son sentiment sur le roman de Laurence Cossé, « Les Amandes Amères », paru chez Gallimard.
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Alain Mabanckou
Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.
Publié le 7 octobre 2011 Lecture : 2 minutes.
Édith et Gilles vivent dans un quartier bourgeois de Paris avec leurs trois garçons. Le couple – plutôt bobo, diraient certains – aurait très bien pu mener une existence loin des préoccupations des « misérables ». Et Gilles se contenter de s’impliquer dans une association qui aide les chômeurs jusqu’à ce qu’ils retrouvent du travail. Quand il le faut, il donne un peu d’argent. Édith, elle, se consacre à son activité de traductrice littéraire. Elle n’a pas à quitter l’appartement pour aller dans un bureau. Elle travaillait d’ailleurs sur la table à manger lorsque quelqu’un est venu sonner. C’était Aïcha, la gardienne d’un immeuble du quartier, accompagnée de Fadila, « impassible et tendue ». Cette dernière avait perdu son boulot dans une teinturerie quelques mois plus tôt. Les temps sont durs, elle pourrait aussi perdre la petite chambre qu’elle loue dans un quartier où « y a que les gens riches ». Aïcha dévoile à Édith l’objet de cette visite inattendue : « Vous connaissez peut-être ma mère ? […] Elle repasse à la perfection, elle coud aussi, et j’ai une idée. Si quinze ou vingt familles du quartier la prenaient deux, trois heures par semaine, elle serait tirée d’affaire. Elle pourrait garder sa chambre. »
Gilles est partant, et le couple devient l’employeur de la vieille Marocaine. Lorsque Édith découvre plus tard qu’elle ne sait ni lire ni écrire, elle décide de l’aider. Il n’est jamais trop tard pour apprendre. Mais Fadila n’est plus toute jeune. Mariée pendant son adolescence, elle est même arrière-grand-mère. La Marocaine se renferme de plus en plus devant les vertiges de l’alphabet. Pour se protéger, et peut-être éviter le face-à-face avec l’alphabet, « elle invoque la fatigue, l’insomnie, les soucis ». Son passé est un grand fossé. D’où son amertume vis-à-vis du pays natal. Son présent, une vie de galère dans cette pièce de « deux mètres de large sur deux mètres de hauteur ». Édith s’attache pourtant à sa Fadila. De fil en aiguille, le lecteur est pris dans la chaleur de cette complicité encore plus chargée d’émotion lorsque Édith se rend à l’hôpital pour voir Fadila victime d’un accident de la circulation.
En littérature, nous avions connu l’amitié de Manolin et Santiago dans Le Vieil Homme et la Mer ; celle de George Milton et Lennie Small dans Des souris et des hommes ; ou encore celle de Madame Rosa et Momo dans La Vie devant soi. Nous avons désormais celle d’Édith et Fadila dans Les Amandes amères, récit porté par une écriture dont la maîtrise, jamais, ne s’appuie sur la surenchère.
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