International : Adek, des tuiles et des toiles

Né à Aix-en-Provence, le jeune peintre qui se dit d’origine « nubienne et tunisienne » tente de se faire une place dans le monde de l’art avec des couleurs explosives et acidulées. Déçu par la France, il rêve d’Amérique.

Dans ses toiles, Adek détourne souvent les codes hollywoodiens. © Camille Millerans pour J.A.

Dans ses toiles, Adek détourne souvent les codes hollywoodiens. © Camille Millerans pour J.A.

Publié le 6 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

« Diriez-vous que vous êtes désabusé ?

– Je pense avoir perdu la foi en l’Homme. »

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Alors qu’un air de musique s’échappe de la radio, dans son atelier parisien, Adek livre ses désillusions. Plutôt en retrait au début de l’entretien – moins par timidité que par appréhension de l’exercice –, l’artiste de 35 ans se révèle, en fin de compte, peu avare de confessions et d’anecdotes. Installé sur une chaise, tout au fond de la petite pièce éclairée par des néons, il avait opté d’emblée pour la distance. Désormais, il fait face à ses toiles, sur lesquelles les couleurs acidulées se détachent des vastes fonds noirs.

Pour la plupart peuplées de super-héros ou de personnages hollywoodiens, on pourrait les penser naïves. Sur l’une d’elle, un Superman, visage et poing rose fuchsia, s’élance dans les airs. Mais, à force de la regarder, on remarque qu’il porte une cravate. « Je vois tous les jours des mecs se prendre trop au sérieux, explique-t-il. Ces Superman à cravate doivent redescendre sur terre. » Là réside toute la finesse de l’art d’Adek : grâce à des détails subtils, il transmet avec sympathie ce qui le chagrine ou lui semble illogique. Jamais de politique. « Lorsque j’ai peint deux femmes voilées, la toile ne s’est pas vendue, se justifie-t-il. Or une Minnie portant la burqa a très vite trouvé acheteur. Quand la forme est trop brusque, cela dérange les gens, comme si je leur imposais un point de vue. Pourtant, c’était davantage le regard que le voile qui m’intéressait. »

Cet atelier, Ramzi – Adek, abréviation d’« adéquat », est son nom d’artiste – le loue depuis un an, peu après avoir décidé de consacrer la majorité de son temps à la peinture, qu’il pratique depuis dix-huit ans (ses peintres de référence sont les pères de l’art optique, Yaacov Agam et Victor Vasarely). Un jour, l’un de ses ta­bleaux s’est bien vendu, alors il en a refait un deuxième, puis un troisième… « J’ai professionnalisé ma peinture sur toile, car elle me permet d’apporter mon propre regard, avec des sentiments et de la sincérité. Je ne pouvais pas développer cela dans la rue, là où le graff est davantage une performance. »

Ses débuts dans le graffiti, sur les murs du 8e arrondissement de Paris, coïncident avec son arrivée dans la capitale au début des années 1990. « Je suis parti d’une grande maison, pour me retrouver dans une chambre de bonne, comme dans le dessin animé Princesse Sarah, se souvient-il en souriant. Le graffiti s’est présenté à moi lorsqu’il a fallu que je trouve une échappatoire. » Il débarquait alors d’Aix-en-Provence, où il est né en 1976 – « Mon père est nubien, ma mère, tunisienne ». Il a deux frères, qui ont aujourd’hui 18 ans et 15 ans. Il n’est pas bavard sur son enfance, esquive parfois les questions. Adek pense s’être réfugié dans le dessin après son placement en famille d’accueil, suite aux soucis de santé de sa mère. Il se souvient aussi qu’on lui a trouvé du talent, après qu’il eut dessiné une fourmi à l’école maternelle.

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Pourtant, à Paris, il a commencé à chercher du travail dans la musique. Directeur artistique dans une discothèque, à 20 ans, il était à la tête de deux labels indépendants à succès. Figurent sur son CV : relations publiques pour David et Cathy Guetta ; physionomiste à Nanterre et Montparnasse. Au Gibus – un club branché –, il avait son DJ résident, Paul Johnson, qui venait de Chicago, comme les trois quarts des artistes qu’il produisait. Alors, au début des années 2000, il s’est installé là-bas pour un an et demi. Il y a été profondément marqué par le décalage avec la culture française. « Aux États-Unis, le travail parle pour soi, il suffit d’un peu de culot. Les mecs sont milliardaires à 20 ans ! En France ? On n’a rien sans piston. »

Revenu dans l’Hexagone en 2005 (il habite avec sa femme en banlieue parisienne), il tire un trait sur la musique parce qu’il ne retrouve pas de travail après un problème de santé. Loyer du local à payer, prix de revient des toiles, incertitudes sur les fins de mois… « Le métier de peintre est une souffrance, d’autant qu’en France il n’y a pas de place pour l’art. Pourtant, je travaille six jours sur sept, de 10 heures à 19 heures, et je continue chez moi, le soir. »

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En 2003, il est repéré par le présentateur télé Thierry Ardisson, alors qu’il graffe hors plateau. Tournant : chaque samedi soir, il peint en direct dans l’émission Tout le monde en parle. Il a depuis fait beaucoup d’apparitions à la télévision, dans des programmes consacrés à l’art ou à la décoration. Mais la médiatisation suscite les médisances, et il se fait désormais discret. « Tout cela, c’est de la poudre aux yeux, ce ne sont pas les plateaux TV qui me font vivre. En France, les gens sont jaloux. Si t’es riche, tu le caches, alors qu’aux États-Unis t’en es fier. Comme dit Oxmo Puccino, les gens sont jaloux de mon insuccès. »

Avec une cote à 2 000 euros et des collectionneurs qui lui achètent des tableaux par lots de dix, on pourrait le penser débarrassé des galères. Ses œuvres se vendent bien dans les ventes aux enchères consacrées au street art, et il a même été l’invité d’honneur de la biennale des jeunes artistes d’art contemporain de Moscou en juillet 2010. « Je ne m’en sors pas trop mal, mais il manque encore ce petit truc pour que je bascule et que la galère soit enfin derrière moi. » Avec sa femme, il projette d’aller s’installer définitivement aux États-Unis, à Miami. « J’ai envie de vivre, pas de survivre. Je ne remettrai plus les pieds ici. » 

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