Crise de la dette Grecque : visite guidée aux enfers

En Grèce, ce pays jadis béni des dieux, tout le monde, dirigeants comme contribuables, triche depuis trop longtemps. La facture a fini par arriver. Et elle est terrifiante.

Femme de ménage à la bourse d’Athènes, en juillet. © Yannis Behrakis/Reuters

Femme de ménage à la bourse d’Athènes, en juillet. © Yannis Behrakis/Reuters

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 3 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

Afin de lui éviter la faillite et lui permettre de payer ses 730 000 fonctionnaires, 8 milliards d’euros devraient être accordés à la Grèce, vers le 3 octobre, par la « troïka » composée de l’Union européenne (UE), de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI). Ce sauvetage est assorti d’un plan d’économies d’une rare dureté. Baisses de salaires, augmentations d’impôts, licenciements « provisoires » de fonctionnaires… Les Grecs vont souffrir.

Toute la semaine dernière, les grèves se sont succédé dans les transports et les services publics. Les manifestations pour empêcher, le 27 septembre, le Parlement de voter la création d’une taxe immobilière ont exprimé le ras-le-bol général. Les Grecs vivent une descente aux enfers dont ils ne se sentent pas responsables. Même Angela Merkel, la chancelière allemande, leur a témoigné son « absolu respect » pour les efforts entrepris pour éviter la catastrophe. C’était bien le moins.

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Pour comprendre l’origine de ce drame, il faut remonter au début des années 2000. Pour réussir à se faire admettre dans la zone euro, le gouvernement conservateur a maquillé ses déficits. Alors que le déficit budgétaire représentait, en 2000, 4,1 % du PIB, il a froidement annoncé à Bruxelles le chiffre hautement fantaisiste de 2 %. Même chose en 2001 (1,4 % au lieu de 3,7 %) et les années suivantes. Cette faute n’a pas été sanctionnée lorsqu’elle a été rendue publique en 2004, et pour cause : tous les États de l’eurozone ont peu ou prou triché. L’Allemagne et la France, par exemple, ont obtenu de leurs opérateurs téléphoniques des contributions exceptionnelles qui leur ont permis de respecter, en apparence, les normes de Maastricht.

Par la suite, la Grèce a poursuivi dans la voie catastrophique où sa culture du clientélisme l’avait fait s’aventurer. Son appartenance à la zone euro lui permettant d’emprunter à bon marché, les gouvernements conservateurs ont laissé enfler le nombre des fonctionnaires : + 10 % entre 2004 et 2009. Un quart de la population active appartient aujourd’hui à l’administration – à la fois pléthorique et inefficace.

Le problème est que, tandis que les dépenses explosent, les impôts ne rentrent pas. Les Grecs sont les champions incontestés de la fraude. Par exemple, ils prennent soin de ne jamais achever la construction de leur maison pour ne pas être soumis à l’impôt foncier. Chez le commerçant du coin comme chez le dentiste, on paie de la main à la main pour échapper à la TVA. Au mois de mai, Georges Papaconstantinou, l’ancien ministre des Finances socialiste, déplorait que, « sur 8 500 contribuables déclarant des revenus, 5 500 ne paient aucun impôt ». Ces exemptions amputent les recettes budgétaires de quelque 15 milliards d’euros par an.

Mascarade

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À l’automne 2009, Georges Papandréou, le nouveau Premier ministre socialiste, décide d’arrêter la mascarade. Il annonce que le déficit budgétaire ne sera pas de 6 %, comme annoncé, mais de plus de 12 %. Panique immédiate sur les marchés, qui découvrent le montant vertigineux de la dette grecque : 300 milliards d’euros, soit 140 % du PIB. Chacun prend conscience que ce pays vit au-dessus de ses moyens, que son économie n’est pas du tout compétitive. Elle n’exporte pas grand-chose et, comme elle est membre de la zone euro, elle ne peut dévaluer sa monnaie pour regagner en compétitivité et relancer ses exportations.

UE, BCE et FMI comprennent qu’il faut sauver la Grèce, qui risque de provoquer l’effondrement de la zone euro en faisant douter de sa solidarité. Mais les chamailleries entre Européens vont retarder le sauvetage et alourdir son coût, qui passe de 30 milliards d’euros au printemps 2010 à plus de 200 milliards aujourd’hui.

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Deux camps s’opposent. Les « moralistes » d’un côté ; les « pragmatiques » de l’autre. Les premiers (l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord) jugent qu’il faut punir la Grèce pour ses dérives et ne l’aider qu’au compte-goutte. Les seconds (Belgique, France et BCE) estiment que l’aide à ce pays doit être massive pour dissuader les spéculateurs de miser sur sa faillite. On finira par s’entendre pour mettre Athènes sous tutelle et lui imposer des économies drastiques.

Gare à la contagion

Ce tour de vis produit des effets spectaculaires. Le déficit budgétaire passe de 15,4 % du PIB en 2009 à 9,4 % en 2010. Mais la dette continue de croître, et l’objectif de 1,1 % en 2015 semble hors de portée. Le chômage culmine en effet à 17 %, et la demande domestique s’effondre sous l’effet de la suppression du treizième mois dans la fonction publique et du rabotage de 10 % des retraites. L’activité s’étouffe : – 4,5 % en 2010, – 3 % cette année. Les marchés sont de plus en plus persuadés que la Grèce ne parviendra jamais à rembourser ses dettes. À chaque hésitation de la « troïka », ils redoutent sa faillite et la contagion qui mettrait en péril les banques européennes qui ont acheté de la dette grecque. Les Bourses mondiales et l’euro plongent. Et l’inquiétude gagne du terrain concernant le Portugal, l’Espagne et, depuis deux mois, l’Italie.

Après le déblocage des 8 milliards d’euros salvateurs, la Grèce ayant accepté de se serrer la ceinture d’un nouveau cran (création d’un impôt immobilier, diminution de 20 % de la masse salariale des fonctionnaires, nouvelle réduction des retraites), l’Europe devrait se doter à la mi-octobre d’un Fonds européen de stabilité financière doté de 450 milliards d’euros et capable de racheter la dette des pays en difficulté. Le peuple grec supportera-t-il ce traitement de cheval ? Plus que de la confiance des spéculateurs, c’est de son stoïcisme que dépendent le redressement du pays, la survie de l’euro et la croissance de l’économie mondiale. 

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