Russie : Poutine ou la politique de l’éternel retour

En 2008, Dmitri Medvedev avait succédé à la présidence à Vladimir Poutine, nommé Premier ministre. En 2012, les rôles seront inversés. Un scénario impeccablement réglé. Et une parodie de démocratie.

En réalité, il n’y a jamais eu de duel politique entre Medvedev et Poutine. © AFP

En réalité, il n’y a jamais eu de duel politique entre Medvedev et Poutine. © AFP

Publié le 6 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

« Personne ne doute que Poutine sera réélu président pour les quatre ans à venir. Certains soupçonnent qu’il le restera éternellement. » En 2004, la journaliste Tatiana Chtcherbina écrivait (dans La Revue) ce qu’intellectuels et opposants russes pensaient tout bas. Vladimir Poutine président, Dmitri Medvedev Premier ministre : la redistribution des rôles entre les deux hommes forts du pays, lors du congrès de Russie unie, le parti au pouvoir, le 24 septembre, n’a donc surpris personne. Avec le sourire, le second a accepté de s’effacer devant le premier lors de l’élection présidentielle de mars 2012. Et de conduire la liste de Russie unie aux législatives du 4 décembre.

« Nous avons tout prévu il y a déjà plusieurs années, a confirmé Poutine au début de son discours devant onze mille partisans, à Moscou. Nous sommes habitués à ce que tout soit écrit à l’avance, mais nous avons tout de même l’ambition de la démocratie », a répliqué, sur un ton grinçant, Mikhaïl Gorbatchev, le dernier numéro un soviétique. Novaïa Gazeta, le journal d’opposition dont il est actionnaire, a par ailleurs publié, à la une, une caricature évoquant la Russie de demain – ou d’après-demain. On y voit Medvedev et Poutine, vieillis, des médailles rappelant l’époque soviétique épinglées sur la poitrine…

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Arrivé au pouvoir en 1999, à titre intérimaire après la démission surprise de Boris Eltsine, Poutine a été élu l’année suivante, puis de nouveau en 2004. La Constitution russe limite à deux le nombre des mandats ? Qu’importe, l’ingénieux Poutine trouve la solution : en 2008, il fait élire à sa place le très consensuel Medvedev, et devient lui-même Premier ministre. Très vite, le mandat présidentiel est porté de quatre à six ans.

Jusqu’en 2024 ?

En 2012, Poutine, 58 ans aujourd’hui, pourra donc reprendre la tête du Kremlin et la conserver, si tout va bien, jusqu’en 2024. Il dispose pour cela de deux atouts maîtres : une popularité stratosphérique (70 % d’opinions favorables dans les sondages) et une vraie crédibilité auprès de l’appareil d’État. Au cours de ses deux mandats, il a de surcroît pris soin de laminer l’opposition. Au mois de juin dernier, par exemple, les autorités ont refusé d’enregistrer le nouveau parti de Boris Nemtsov, qui fut vice-Premier ministre à l’époque d’Eltsine.

« Même si les élections étaient honnêtes, Poutine serait élu, commente une intellectuelle russe. Medvedev sait qu’il n’avait aucune chance en 2012, car il est moins populaire. Durant la présidence du premier, on était dans une période d’essor économique, alors que le second a dû affronter la crise. Medvedev a essayé, mais il a échoué. »

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Un temps, l’éventualité d’une candidature Medvedev a pu, de l’extérieur, paraître plausible. Dès son arrivée au pouvoir, il s’est efforcé de marquer sa différence. Juriste de formation, il incarne une nouvelle génération de dirigeants, alors que Poutine, ex-lieutenant-colonel du KGB, est un nostalgique de l’époque soviétique. Medvedev a mis l’accent sur la nécessité de moderniser le pays, de redorer son image auprès des Occidentaux et de le remettre sur les rails de la démocratie.

Il n’est pas certain que Medvedev reste très longtemps Premier ministre. Au mois de juin, il se montrait très intéressé par la création d’un think-tank sur l’avenir de la Russie.

Jacques Sapir, économiste et historien

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Alors que l’essentiel des revenus de l’État provient du pétrole, et non de la production industrielle, il s’est engagé dans une lutte acharnée contre la corruption – avec un succès, il est vrai, très relatif. Mais, excepté sur la question du soutien à l’intervention de l’Otan en Libye, qu’il n’a pas désapprouvée, il ne s’est jamais opposé de front à son mentor. Poutine et lui n’ont d’ailleurs jamais cessé de s’afficher comme les meilleurs amis du monde. On les a vus dévaler de conserve des pistes de ski, disputer une partie de billard, boire une bière devant un match de foot, pêcher sur les rives de la Volga ou dîner en tête-à-tête dans un restaurant de Saint-Pétersbourg.

Objet de désir

En réalité, il n’y a jamais eu de duel politique. Tout au plus une différence d’images. Pendant que le lisse Medvedev, avec ses allures de comptable compassé, feignait d’incarner une Russie plus libérale afin de rassurer les investisseurs occidentaux, Poutine cultivait son image d’homme fort, sportif, amoureux de la nature et proche des gens simples. Aussi à l’aise sur une moto que sur un tatami (il est ceinture noire de judo). Aux commandes d’un mini-sous-marin que derrière un piano. Posant torse nu devant les objectifs, il n’a rien négligé pour s’imposer en objet de désir. Pour son ­cinquante-huitième anniversaire, il s’est vu offrir un calendrier érotique par douze étudiantes moscovites. Quelques mois plus tard, une « soirée Poutine » lui a été consacrée dans une discothèque de la capitale.

Seule fausse note à cette belle unanimité, la démission d’Alexeï Koudrine, le populaire ministre des Finances, qui, au lendemain du congrès de Russie unie, a déclaré qu’il refusait de travailler dans un gouvernement dirigé par Medvedev. « Tant que je suis président, c’est moi qui prends ces décisions ; libre à vous de démissionner », lui a publiquement répliqué ce dernier.

Proche de Poutine, Koudrine plaide pour la rigueur budgétaire et désapprouve la récente annonce d’une augmentation des dépenses militaires. Mais nombre d’opposants ne prennent pas ce clash très au sérieux. Sergueï Mitrokhine, le chef du parti Iabloko, estime ainsi que tout cela n’est qu’« une manœuvre de Poutine pour faire de Koudrine son Premier ministre ». Alors que la Russie fait face à d’immenses défis (infrastructures vieillissantes, crise démographique, forte corruption, chute du rouble), la mise à l’écart du ministre des Finances, plutôt bien vu en Occident, risquerait en effet d’effaroucher les investisseurs étrangers…

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