À nouvelle Tunisie, nouveau modèle économique

Ancien secrétaire général du Conseil ­économique et social tunisien, consultant international.

Publié le 14 octobre 2011 Lecture : 3 minutes.

Le modèle économique tunisien d’avant la révolution du 14 janvier était loin d’assurer un développement rapide, équilibré et soutenu du pays. Quand on compare, sur le long terme, l’évolution économique de la Tunisie avec celle de quelques pays asiatiques comme la Corée du Sud, Taiwan, la Malaisie et Singapour qui, au milieu du siècle dernier, étaient à son niveau, on s’aperçoit du gouffre qui les sépare. D’après les statistiques du Fonds monétaire international (FMI), le produit intérieur brut (PIB) de la Corée du Sud en 2010 était de 1 007 milliards de dollars, celui de Taiwan de 430 milliards, celui de la Malaisie et de Singapour, respectivement de 237 milliards et 223 milliards, contre seulement 44 milliards pour la Tunisie. Singapour a réalisé un taux de croissance de 14,5 % en 2010, alors que celui de la Tunisie n’était que de 3,5 %. Le PIB par tête de Singapour était de 43 117 dollars, soit dix fois plus que celui de la Tunisie. Voilà ce que cinquante ans de dictature ont engendré !

Les raisons de cet énorme retard sont claires : un faible taux d’investissement, l’accent mis sur la sous-traitance et les secteurs à basse valeur ajoutée, le déséquilibre entre la frange côtière et l’hinterland, l’exode rural massif, aggravé par une négligence totale du développement agricole, les écarts de revenus accentués par une politique libérale outrancière, la corruption rampante qui a gangrené le système politico-économique, un enseignement de bas niveau, un chômage croissant, surtout celui des jeunes diplômés…

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Un autre modèle économique est possible, capable d’assurer un développement rapide, équilibré et soutenu. Tout d’abord, le taux d’investissement doit grimper à 26 % du PIB dès 2012, 31 % en 2013, 35 % en 2014, 41 % en 2015 et 42 % en 2016. Cela entraînera des taux de croissance s’échelonnant entre plus de 6 % en 2012 et plus de 10 % en 2015 et 2016. Le taux de chômage, estimé à 20 % pour le début de 2012, baisserait de 4 points en moyenne annuelle entre 2012 et 2016, ce qui conduira au plein-emploi au terme de cette période.

Les investissements doivent être orientés en priorité vers les secteurs à haute valeur ajoutée, ce qui aurait le double avantage de fournir des emplois aux jeunes diplômés et d’accroître la valeur de la production et des exportations. En outre, une formation adéquate de la main-d’œuvre permettrait d’assurer un gain de productivité et d’améliorer la compétitivité. Les produits pourraient être écoulés dans le monde entier, surtout en Afrique et en Amérique (avec laquelle un accord commercial doit rapidement être négocié et conclu). Mais une meilleure qualification de la main-d’œuvre nécessite une réforme profonde de l’enseignement pour l’orienter vers les sciences, la technologie et la recherche. Les jeunes Tunisiens devraient être capables d’absorber les nouvelles technologies, puis d’innover à leur tour en créant leurs siennes propres, comme l’ont fait avant eux les Japonais, les Sud-Coréens, les Chinois et les Indiens. Un rôle plus important devrait être accordé à la langue anglaise, langue de la technologie et du commerce international.

Autre poste d’investissement prioritaire : les régions défavorisées, où il faut créer les infra­structures nécessaires au déploiement des activités génératrices d’emploi. À ce titre, il conviendrait de mettre en place des zones franches dans lesquelles les investisseurs jouiraient d’avantages fiscaux et financiers. Le développement rural doit être une priorité dans toutes les régions, ­garantissant au moins cent vingt jours de travail par an à tout demandeur d’emploi en zone rurale.

Il est nécessaire par ailleurs d’opérer une réforme fiscale permettant d’encourager l’épargne, l’investissement et l’exportation. Une telle réforme devra contribuer à favoriser les classes moyennes et s’accompagner d’un programme de transferts conditionnels dans lequel, à l’image du Bolsa Família (programme brésilien de lutte contre la pauvreté), les familles modestes obtiendraient des aides en espèces contre des engagements en matière d’éducation et de santé de leurs enfants.

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Enfin, une lutte implacable doit être engagée contre la corruption, dont le coût économique est extrêmement élevé. La justice mérite une attention toute particulière. La protection de l’État de droit par un système judiciaire intègre et indépendant est la condition sine qua non d’un développement rapide, équilibré et soutenu. 

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