Cinéma : Ismaël Ferroukhi rend hommage aux justes maghrébins
Le réalisateur Ismaël Ferroukhi salue les émigrés venus travailler en France à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Nous sommes en 1942, dans le Paris occupé. Pourtant, l’histoire que nous raconte le réalisateur marocain Ismaël Ferroukhi avec Les Hommes libres ne ressemble en rien à celle des nombreux films évoquant la Seconde Guerre mondiale. Younes (Tahar Rahim) est un immigré algérien, ouvrier sans emploi qui se livre au marché noir.
Capturé par la police, il doit accepter une bien sale besogne : espionner la Mosquée de Paris pour le compte des autorités allemandes et du régime de Vichy. Bien que dirigée par le recteur Si Kaddour Benghabrit, qui fréquente des dirigeants pétainistes et des officiers allemands, la Mosquée est soupçonnée de pratiquer le double jeu. Elle abriterait des antinazis fabriquant des faux papiers pour des résistants et, plus grave encore, pour des Juifs opportunément transformés en musulmans…
À vrai dire, on cache même certains de ces derniers dans les sous-sols de l’édifice. Younes, grâce à de salutaires rencontres – notamment celle du chanteur juif d’origine algérienne Salim Halali – trahit rapidement ses employeurs pour se mettre au service des résistants. Mieux : il acquiert une vraie conscience politique et devient un militant de la liberté. La liberté de tous ceux qu’il fréquente, celle des antinazis, celle d’une jeune femme comme Leïla (Lubna Azabal) qui entend populariser le combat pour l’indépendance de l’Algérie que mène depuis longtemps déjà le parti nationaliste de Messali Hadj.
Une solidarité peu connue
Leurs noms ne figurent pas sur le mémorial de Yad Vashem. Pourtant, de nombreux Maghrébins musulmans ont, pendant la Seconde Guerre mondiale, sauvé des Juifs. L’historien américain Robert Satloff est l’un des premiers à avoir raconté leur histoire dans Among the Righteous (« Parmi les justes », 2007). Qui se souvient que le Tunisien Khaled Abdelwahab sauva vingt-cinq Juifs en les cachant dans sa ferme ? Qui se rappelle que Mohammed V, au Maroc, refusa les lois vichystes ? Que les imams d’Algérie protégèrent leurs concitoyens israélites ? Aujourd’hui, les descendants des communautés juives maghrébines s’escriment à faire reconnaître auprès de Jérusalem ces justes parmi les nations.
Leïla Slimani
Faits réels
Le film, contant ainsi un épisode édifiant de l’histoire franco-maghrébine, évite le piège des bons sentiments et des figures exemplaires. Grâce à la complexité des personnages, notamment celui du recteur, interprété par un Michael Lonsdale… qui réussit plutôt bien à faire oublier qu’il est un catholique pratiquant, voire prosélyte, et que son dernier grand rôle fut celui d’un moine de Tibhirine dans Des hommes et des dieux ! Grâce, aussi, au scénario, qui s’appuie sur des faits réels. Benghabrit, fondateur et directeur de la Mosquée de Paris, a sauvé de nombreux Juifs, dont le fameux Salim Halali.
Mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Le premier mérite de Ferroukhi est d’avoir permis à des hommes jusque-là « invisibles », selon l’expression de l’historien français Benjamin Stora, de « crever l’écran ». Ces hommes, ce sont les quelque 100 000 émigrés maghrébins venus travailler, dès avant la Seconde Guerre mondiale, dans une métropole qui les exploitait et les méprisait autant qu’elle les ignorait. Ce film leur rend hommage de la plus belle des manières.
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