Tunisie : des surfaces à redistribuer
Sous Ben Ali, quelque 10 000 ha ont été attribués à des proches de l’ancien président. Aujourd’hui, ces concessions doivent être réaffectées. Mais à qui et dans quelles conditions ?
Agriculture africaine : enjeux et perspectives
La révolution tunisienne s’immisce jusque dans l’agriculture. Premier concerné : le plus gros propriétaire foncier… c’est-à-dire l’État tunisien, héritier de plus de 550 000 ha provenant, entre autres, de la colonisation. L’administration, dans l’incapacité d’exploiter ces domaines, avait opté pour leur mise en location, sur une période de vingt-cinq, quarante ou quatre-vingt-dix ans, en dotant certains du statut de société de mise en valeur et de développement agricole (SMVDA). Aujourd’hui, ces entités sont la cible du mécontentement des agriculteurs.
Car l’exploitation de ces terres est définie par un cahier des charges spécifique à chaque projet, ce qui a pu conduire à certaines dérives, certains arrangements. Sur les 340 SMVDA créées, 270 étaient opérationnelles avant le 14 janvier 2011, jour de la chute de l’ancien régime ; s’étendant sur 138 000 ha, elles représentaient 28 % des superficies du patrimoine de l’État et 175,2 millions d’euros d’investissements, financés à 58 % sur fonds propres, à 32 % par des crédits bancaires et à 10 % par des primes d’encouragement aux investissements agricoles. Un système peu transparent, qui a permis à certains de s’enrichir sans réelle contrepartie.
Courtisans
Conséquence : depuis la chute de Ben Ali, de nombreuses SMVDA ont été dévastées par des paysans et ouvriers agricoles en colère contre la corruption et le népotisme, entraînant des dégâts à hauteur de 32,5 millions d’euros. Certaines, à ce jour, sont encore occupées sans que l’État, par crainte de représailles, puisse intervenir. Une impasse pour des terres qui dépérissent. « Des surfaces ont été confiées à des courtisans… Les paysans se sont élevés contre ces nouveaux colons qui exploitaient en cherchant le profit – ce qui peut s’expliquer –, mais en négligeant le patrimoine qui leur avait été confié – ce qui n’est pas admissible », affirme l’économiste et homme politique Mansour Moalla.
En outre, le modèle des SMVDA, viable dans les années 1980, a fait long feu. « La location, à la longue, comporte de nombreux inconvénients ; il ne fallait pas la maintenir indéfiniment, souligne Mansour Moalla. Les exploitants des SMVDA ne pouvaient ni obtenir des crédits ni offrir des garanties hypothécaires aux banques, n’étant pas propriétaires et n’ayant ni la possibilité de le devenir, ni celle de disposer pleinement des terres. »
Plusieurs exploitations avaient été directement attribuées aux proches de l’ancien président. Les 10 000 ha octroyés au sérail doivent être réaffectés… mais à qui et dans quelles conditions ? La question reste entière.
« Si certaines SMVDA ont pu atteindre les objectifs qui leur étaient assignés en matière de développement agricole, d’emploi et de gestion des ressources naturelles, la plupart laissent à désirer. Leur mode d’attribution qui n’a jamais été vraiment transparent, les subventions colossales qui leur ont été accordées, ainsi que les problèmes chroniques de gestion et d’endettement excessif de la plupart d’entre elles devraient conduire à une remise à plat de ces concessions », résume Leïth Ben Becher, agriculteur et président de l’Association pour l’agriculture durable (Apad).
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