France : Maty Diouf, l’autre visage de Nice

Chargée de l’intégration à la mairie de Nice, cette Sénégalaise sarkozyste concentre les attaques de l’extrême droite, mais a su se faire accepter par une ville schizophrène.

Derrière un sourire coquet, Maty Diouf cache une grande détermination. © Yohanna Lamoulère/Transit/Picturetank pour J.A.

Derrière un sourire coquet, Maty Diouf cache une grande détermination. © Yohanna Lamoulère/Transit/Picturetank pour J.A.

Publié le 3 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

Nice, la Côte d’Azur, la promenade des Anglais… Et cette réputation de cité guindée, conservatrice, limite xénophobe, qu’elle n’a pas forcément volée. Voilà pour la façade. Mais dans l’arrière-cour, il y a ces quartiers populaires où se côtoient 117 nationalités qui n’ont pas grand-chose en commun avec les vieux Nissards, et qui s’entassent, pour certains, à sept ou huit dans des deux-pièces. Maty Diouf ressemble à Nice – c’est frappant. Son arrière-cour à elle, c’est son passé. Loin de l’image qu’elle renvoie d’une femme bavarde et coquette à qui la vie a toujours souri, il recèle des épreuves qui l’ont fait vaciller. Avec elle, plus qu’avec d’autres, il faut se méfier des apparences…

« Quand je l’ai vue arriver dans le quartier, je me suis dit : “Ils nous ont encore refourgué la bourgeoise de service.” En général, elles aiment bien le social », raconte, ironique, un éducateur qui arpente les quartiers difficiles de Nice. C’était il y a trois ans. Maty Diouf venait d’être élue sur la liste de Christian Estrosi, un sarkozyste de la première heure. Un événement en soi : elle restera la première conseillère municipale noire de la cité. Aujourd’hui, cet éducateur dit avoir revu son jugement. Parce qu’elle est subdéléguée à l’intégration et à la lutte contre les discriminations, il la côtoie régulièrement et reconnaît qu’« elle n’est pas celle que l’on croit ». Certes, elle peut se montrer maniérée, avec son sourire parfait, son tailleur BCBG et son châle bleu et violet – de ceux dont les femmes de bonne famille aiment se parer. Mais rien à voir avec l’archétype de la bourgeoise qui fait du social pendant que son mari fait des affaires. D’ailleurs, elle n’a pas de mari.

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L’histoire de Maty Diouf, c’est d’abord un conte de fées franco-sénégalais. Après la mort d’un père qu’elle n’aura jamais connu, la petite Maty file en France avec sa mère, Thérèse Dias, issue d’une famille cap-verdienne pauvre et catholique. Direction Neuilly-sur-Seine, la ville de Nicolas Sarkozy et de Liliane Bettencourt. Quelques mois auparavant, Thérèse a fait la connaissance de Robert Dufaut, un riche Français de passage à Dakar qui en fera sa quatrième (et dernière) épouse.

L’intégration n’est pas si simple. Dans l’immeuble cossu qu’elles habitent, on prend sa mère pour la femme de ménage. Mais, à l’époque, Maty et Thérèse peuvent compter sur Robert. Ce beau-père, c’est l’homme de sa vie. C’est un flambeur qui parcourt l’Afrique et – il l’affirme lui-même – « collectionne les belles voitures et les belles femmes », si possible plus jeunes que lui. C’est aussi un pur gaulliste qui fait découvrir à sa femme et à sa belle-fille la France qu’il aime, les emmène vivre à Nice, inculque à Maty « les valeurs de la République » et va jusqu’à l’inscrire au Rassemblement pour la République (RPR). « Ton premier mari doit être ton travail », lui rabâche-t-il.

Mais Robert est plus vieux que Thérèse. Lorsque Maty a 23 ans, il meurt d’une crise cardiaque. « On s’est retrouvées sans le sou. J’ai dû arrêter mes études pour travailler. » Des drames, elle en vivra d’autres : la perte de son premier enfant, âgé alors de 14 mois ; la séparation d’avec le père de sa fille Yelena. « Ces difficultés m’ont rendue plus forte. Je ne suis pas de ceux qui se lamentent sur leur sort », dit-elle fièrement. Elle rêvait de devenir avocate pour défendre la cause des enfants, la vie l’a poussée à enchaîner des petits boulots, puis à se lancer dans l’import-export avec des membres de sa famille, au Sénégal. « J’ai toujours gardé le lien avec mon pays », ­explique-t-elle. « Quand j’ai perdu mon fils, j’ai passé du temps en Casamance. Ça m’a fait renaître. » 

Indirectement, ça lui a également ouvert les portes de la politique. « À mon retour, j’ai créé une association pour venir en aide aux mères célibataires du Sénégal. Lors d’une soirée caritative, j’ai rencontré le directeur de cabinet d’Estrosi. » C’est ainsi qu’elle se fait remarquer. Quelques mois plus tard, on lui propose d’intégrer la liste des municipales. Elle n’hésite pas. « Je suis de droite. Aucun doute à ce sujet… »

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Ses détracteurs la qualifient de faire-valoir. Elle ne s’en émeut pas : elle-même s’est présentée ainsi lors de sa première rencontre avec Estrosi – « Il vous faut votre Rama Yade », lui a-t-elle glissé. Mais Maty Diouf se sent plus proche de Fadela Amara, une autre ex-ministre de Sarkozy venue de la banlieue. C’est qu’elle prend à cœur sa mission. « À Nice, il y a un vrai problème d’intégration. Tout est à faire », convient-elle. Dès le lendemain de son élection, elle parcourt les quartiers, s’adresse aux jeunes désœuvrés, propose au maire de commémorer l’abolition de l’esclavage et monte les « Journées du mieux vivre ensemble ».

Des initiatives qui lui ont valu bien des attaques. L’extrême droite niçoise en a fait sa tête de turc depuis qu’elle a déclaré être « une citoyenne du monde ». Elle assume : « Je sais d’où je viens. Je suis profondément sénégalaise et fondamentalement française – niçoise même », dit-elle dans son bureau, à deux pas de la promenade des Anglais, encadrée par les drapeaux français et européen. 

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