Amr Moussa : quand je serai président de l’Égypte…
Bien placé dans la course à la magistrature suprême égyptienne, l’ex-secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, appelle Israël à prendre la mesure du Printemps arabe. Et à en tirer les conséquences.
Amr Moussa, 74 ans, bien placé dans la course à la présidentielle égyptienne, appelle à une renégociation des clauses miliaires du traité de paix de 1979 entre Le Caire et Tel-Aviv. « Le traité de paix va continuer à exister, nous a-t-il expliqué lors d’une interview exclusive. Mais l’Égypte a besoin d’avoir des forces armées dans le Sinaï. Notre situation sécuritaire le commande. Israël doit comprendre que les restrictions imposées par les accords de paix doivent être révisées. » Nous avons rencontré Amr Moussa à Genève, où il avait prononcé la veille une allocution à la conférence annuelle de l’Institut international d’études stratégiques (IISS), un think-tank influent basé à Londres.
Aux termes du traité de paix signé le 26 mars 1979 à Washington par le président égyptien Anouar al-Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin en présence du président américain Jimmy Carter, le Sinaï, annexé par Israël lors de la guerre des Six-Jours, devait être restitué à l’Égypte. En échange, Le Caire s’engageait à le démilitariser.
En janvier dernier, quand les premières manifestations anti-Moubarak ont éclaté, Israël a autorisé l’Égypte à déployer des troupes dans le Sinaï. Une première depuis la signature du traité il y a trente-deux ans. Huit cents soldats ont ainsi pris position dans la région de Charm el-Cheikh, dans le sud du Sinaï, loin du voisin israélien. Insuffisant pour Amr Moussa, qui a tout autre chose en tête lorsqu’il appelle à revoir les clauses militaires du traité de paix. La révolution égyptienne a fait monter d’un cran la tension entre Le Caire et Tel-Aviv. Et suscité l’inquiétude des Américains et des Israéliens quant à l’avenir du traité de paix. En neutralisant l’Égypte, ce traité a scellé l’hégémonie militaire d’Israël dans la région pendant trente ans. Pour les Arabes, ce fut un désastre. Le traité les exposait aux agressions israéliennes. À preuve, les invasions répétées du Liban par Tsahal, le siège et l’occupation de Gaza, et la colonisation implacable des terres palestiniennes en Cisjordanie.
Bio express de Amr Moussa
3 octobre 1936 : Naissance au Caire
1957 : Licence de droit
1958-1974 : Attaché diplomatique
1974-1977 : Conseiller aux Affaires étrangères
1981-1983 puis 1986-1990 : Ambassadeur à l’ONU
1991-2001 : Ministre des Affaires étrangères
2001-2011 : Secrétaire général de la Ligue arabe
2011 : Candidat à la présidentielle égyptienne.
Au moment où Amr Moussa prononçait son discours à Genève, des Égyptiens prenaient d’assaut l’ambassade israélienne au Caire, contraignant l’ambassadeur et son staff à quitter le pays. Les manifestants étaient scandalisés par la mort de cinq policiers, abattus le 18 août par des soldats israéliens, quelque part au nord des stations balnéaires de Taba l’égyptienne et d’Eilat l’israélienne. Tsahal avait pénétré à l’intérieur du territoire égyptien à la poursuite d’activistes qui avaient tué huit Israéliens quelques heures plus tôt.
Erreur d’appréciation
« La grande erreur d’Israël a été de croire que la révolution égyptienne ne concernait pas la Palestine, poursuit Moussa. J’ai dit : “C’est ce qu’on va voir !” L’État hébreu menace la stabilité de la région en n’arrivant pas à apprécier à leur juste valeur les changements qui bouleversent le monde arabe. Les Israéliens croient pouvoir continuer de faire comme si de rien n’était. Or c’est impossible. Les Palestiniens ont eu raison de vouloir faire reconnaître leur État à l’ONU. Ils n’avaient pas d’autre option. Aucune alternative ne s’offrait à eux. Le processus de paix était au point mort. Le temps était venu pour les puissances européennes de reconnaître qu’elles avaient commis une erreur stratégique en occultant la question palestinienne pendant toutes ces années. »
Si l’opinion de cet ancien diplomate compte, c’est parce qu’il a de grandes chances de remporter la prochaine présidentielle égyptienne. Face à lui, seuls Mohamed el-Baradei, 70 ans, ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et Abdel Moneim Aboul Fotouh, 60 ans, issu de l’aile moderniste des Frères musulmans, font figure de concurrents sérieux. Baradei a la cote auprès des jeunes diplômés, mais il a passé pratiquement les trente-cinq dernières années hors du pays. Une absence qui laisse à penser qu’il aura du mal à appréhender les problèmes intérieurs de l’Égypte. Quant à Aboul Fotouh, on ignore si les Frères musulmans accepteront de voir un de leurs membres investi de la tâche colossale de trouver une solution aux nombreux problèmes socio-économiques du pays. En fonction des résultats qu’ils obtiendront aux prochaines législatives (les projections les créditent de 30 % à 40 % des voix), ils pourraient préférer se voir confier le poste de Premier ministre, voire se contenter de deux ou trois portefeuilles dans le prochain gouvernement.
Amr Moussa, qui a annoncé qu’il ne briguerait qu’un seul mandat de quatre ans à la tête de l’État, pourrait être un président fort et consensuel. On sait qu’il préfère le régime présidentiel au régime parlementaire, ce dernier pouvant conduire, selon lui, à une succession de coalitions gouvernementales impuissantes.
Amr Moussa n’a jamais été membre du Parti national démocrate (PND, ex-parti au pouvoir), ni fait partie de l’élite corrompue qui entourait l’ex-président et son fils. Il a une réputation de probité et une bonne connaissance des problèmes auxquels est confronté son pays. Comme il l’a rappelé lors de son discours à l’IISS, 50 % des Égyptiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté et 30 % sont analphabètes. Le pays a besoin d’une profonde reconstruction, qu’Amr Moussa juge tout à fait possible.
Expérience
Cet ancien diplomate a également une expérience non négligeable dans le domaine des relations internationales. Entre 1981 et 1983, puis de nouveau entre 1986 et 1990, il a représenté l’Égypte à l’ONU, avant de devenir ministre des Affaires étrangères pendant dix ans (1991-2001), puis secrétaire général de la Ligue arabe de 2001 à 2011. Il s’est opposé à l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et a toujours critiqué l’occupation israélienne et la politique de colonisation des terres palestiniennes. Sous sa direction, la Ligue arabe a approuvé les opérations de l’Otan contre le régime de Kadhafi en Libye.
En avril dernier, Amr Moussa a appelé à l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne sur la bande de Gaza afin de la protéger des bombardements israéliens. L’opération Plomb durci – menée entre décembre 2008 et janvier 2009 par l’armée israélienne, et qui fit 1 500 morts et de nombreux dégâts matériels – avait largement contribué à la dégradation des relations entre Israël et les deux puissances régionales avec lesquelles il entretient des relations étroites : l’Égypte et la Turquie. Beaucoup d’Égyptiens ont encore honte de la manière dont Moubarak a collaboré avec l’État hébreu pour maintenir le siège de Gaza.
Amr Moussa ne sera pas un président va-t-en-guerre. Il veut trouver une solution durable au conflit israélo-palestinien. Une solution qui convienne à toutes les parties, semblable à celle proposée par l’Initiative de paix arabe, en 2002. L’ancien secrétaire général de la Ligue arabe plaide pour la mise en place d’un dispositif sécuritaire régional associant Israël et l’Iran, l’idée étant de créer une zone d’où seraient exclues les armes de destruction massive. Il rêve d’un nouveau Moyen-Orient fort, stable et pacifique. « Les peuples ne supportent plus de voir leur avenir confisqué. »
Amr Moussa est un homme d’État profondément raisonnable et modéré. Tout comme Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Si Israël veut assurer sa sécurité sur le long terme et sa complète intégration dans la région, il doit réviser ses positions. Comme nous l’a affirmé Amr Moussa, il y a un consensus général dans le monde arabe autour de la question palestinienne, laquelle doit être résolue de manière équitable et durable. « Si tel n’est pas le cas, insiste-t-il, les choses vont très mal tourner. »
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