Réconciliation en Côte d’Ivoire : Konan Banny, à quitte ou double

La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation pourrait être pour son président Charles Konan Banny un vrai tremplin politique. Ou un plongeoir.

Konan banny avec Drogba, à Londres, le 20 septembre. © Toby Melville/Reuters

Konan banny avec Drogba, à Londres, le 20 septembre. © Toby Melville/Reuters

Publié le 5 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

Ne surtout pas suggérer à Charles Konan Banny que sa nomination à la tête de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) pourrait être un piège destiné à le neutraliser politiquement. L’ancien Premier ministre ivoirien, baron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), entre alors dans une colère qu’il peine à contenir. « Connaissez-vous la nature de mes rapports avec le président Ouattara ? s’emporte-t-il. C’est quelqu’un avec qui j’entretiens des relations profondes, un itinéraire parallèle [de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest – BCEAO – à la primature, NDLR]. Nous partageons la même vision. » Et d’invoquer avec emphase les valeurs houphouétistes de paix, d’harmonie sociale et d’unité africaine.

En privé, l’ancien gouverneur de la BCEAO confie néanmoins qu’il n’est pas dupe et qu’il sait que certains cherchent à l’écarter de la guerre de succession à la tête du PDCI, mais il affirme n’avoir pas hésité une seule seconde quand le chef de l’État lui a proposé le poste, en avril. « C’est un défi national, explique-t-il. Personne ne pourra m’enlever mon droit de parole. Je fais la politique que j’aime en demandant à tous les Ivoiriens d’y mettre du leur pour panser les plaies du passé. » En fait, la durée de son mandat (deux ans) lui permettra de participer, s’il le souhaite, à la prochaine présidentielle. À condition, bien sûr, qu’il réussisse sa mission. « Il a son destin entre les mains, résume l’un de ses proches. Cette commission, ce sera son tremplin ou son plongeoir. »

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"Pas le droit de renier Laurent Gbagbo"

À la tête d’une autorité administrative dotée d’une autonomie juridique et financière, Banny devrait donc jeter toutes ses forces dans la bataille et montrer son indépendance à l’égard du pouvoir. Ses premiers actes semblent, en tout cas, l’attester. Peu après l’annonce de sa nomination, le 1er mai, il a consulté tous les partis politiques, les représentants de la société civile, les autorités coutumières et même Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies. Il a rencontré aussi bien les habitants du quartier d’Abobo, où de féroces combats se sont déroulés pendant la crise électorale, que les leaders du Front populaire ivoirien (FPI), soutiens inconditionnels du président déchu, et les chefs traditionnels de Gagnoa. « Nous n’avons pas le droit de renier Laurent Gbagbo, a déclaré leur porte-parole. Le chimpanzé, quelle que soit la laideur de son fils, quelle que soit la faute commise, ne jette jamais son bébé par terre. »

Tous se sont montrés disponibles, à condition, ont-ils dit, que les pro-Gbagbo et les membres de son ethnie, les Bétés, ne soient pas systématiquement tenus pour responsables. Quant à Banny, il doit se rendre à Korhogo pour rencontrer l’ex-président. « Le concept de réconciliation ne lui est pas étranger, assure l’ancien Premier ministre. Il m’avait nommé, en 2006, à la tête d’un gouvernement portant ce nom. » Aujourd’hui, Banny plaide pour que Gbagbo soit jugé en Côte d’Ivoire et non pas devant la Cour pénale internationale (CPI).

Remonter le temps, mais jusqu’à quand ?

Quels sont les faits auxquels la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation va s’intéresser ? La question devrait être tranchée dans les prochaines semaines, mais, en Côte d’Ivoire, l’histoire postindépendance est riche en périodes douloureuses. Massacre des Guébiés (1970), putschs, conflits ethniques et fonciers, affrontements politiques, débat sur l’ivoirité… Les membres de la Commission ont l’embarras du choix. Toutefois, selon toute vraisemblance, ils ne devraient pas replonger dans les années de présidence de Félix Houphouët-Boigny. Ils pourraient partir de sa mort, en décembre 1993, ou commencer quelques années plus tard, avec le coup d’État qui a renversé Henri Konan Bédié, en décembre 1999.

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En attendant, il travaille à l’organisation de la commission, officiellement installée le 28 septembre, à Yamoussoukro. Dans son équipe : six hommes et quatre femmes aux expériences complémentaires. Trois occupent la fonction de vice-président. Il y a d’abord Cheikh Boikary Fofana, à la tête du Conseil supérieur des imams (Cosim), et Paul-Siméon Ahouanan Djro, archevêque de Bouaké. L’un est chrétien et l’autre musulman, un équilibre que souhaitait le chef de l’État. Banny leur a adjoint Désiré Amon Tanoé, roi des N’Zima-Kotoko. Ancien ambassadeur de Côte d’Ivoire au Nigeria, il a été l’un des inspirateurs de la gauche ivoirienne opposée à Houphouët-Boigny et saura faire jouer les alliances familiales pour régler les conflits. 

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Tribune médiatique

À leurs côtés, cinq représentants des principales régions (Nord, Sud, Est, Ouest et Centre) : Abdoulaye Koné, Marie-France Goffri, Françoise Kaudjhis-Offoumou, Zacharie Séry Bailly et Odette Kouamé N’Guessan. La Malienne Djégué Kané Diallo relaiera, quant à elle, les aspirations des résidents africains en Côte d’Ivoire – les fameux allogènes. Enfin, la diaspora ivoirienne est confiée à la star du football Didier Drogba. « Il fait preuve d’un réel engagement pour la paix, assure Konan Banny, et il nous offre une formidable tribune médiatique. »

Dans les prochaines semaines, les commissaires se rendront au Rwanda, au Maroc, en Afrique du Sud, au Togo, en Sierra Leone et au Liberia pour y étudier les instances qui y ont été mises en place. Ils devraient rapidement proposer une méthode et un agenda. Banny boucle actuellement son budget prévisionnel (environ 25 millions de dollars – 18 millions d’euros – par an).

Seront installés, sur toute l’étendue du territoire et dans quelques villes étrangères, des bureaux où seront recueillis les témoignages des victimes. Des sous-commissions se pencheront sur les questions du foncier, de la jeunesse ou des réparations. Cette phase devrait durer entre trois et six mois. Les Ivoiriens devraient par la suite assister, comme avant eux les Sud-Africains, à des audiences publiques où bourreaux et victimes pourront exorciser leurs maux. Entre vengeance et impunité, Banny souhaite mettre en œuvre une « justice de la réparation ». À défaut de pouvoir juger les coupables, la CDVR pourra recommander à l’État de dédommager les victimes : indemnités financières, prestations médicales ou reconstruction de bâtiments détruits.

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