Cameroun : la stratégie du soubresaut
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Alain Faujas
Alain Faujas est spécialisé en macro-économie.
Publié le 1 octobre 2011 Lecture : 3 minutes.
Le Cameroun au banc d’essai
S’il fallait une preuve de l’immobilisme dont pâtit l’économie camerounaise, le zéro que ce banquier international indique avec son pouce et son index mis en boucle quand on le questionne sur le nombre d’investissements réalisés en 2010 au pays des Lions indomptables en constituerait une belle… D’autant qu’il a placé l’an dernier 2,2 milliards de dollars (soit près de 1,7 milliard d’euros) dans trente et un pays d’Afrique subsaharienne !
On pourrait continuer dans ce persiflage et souligner qu’il y a surtout, en cette année électorale, des cérémonies de pose de la première pierre, mais peu d’achèvements annonçant que le Cameroun se réveille sans attendre que se tarisse le pétrole, qui représente 60 % de ses recettes d’exportation.
Comme le constate à regret Mathias Caro, coordonnateur régional Cameroun à l’Agence française de développement (AFD), « un nouveau modèle de développement tarde à apparaître dans ce pays où il y a tout ce qu’il faut pour le réussir ». Manquent toujours le secteur privé, les infrastructures, l’électricité et un service de santé fiable.
Pourtant, l’économie n’est pas mauvaise. Au sortir de la crise mondiale de 2008, elle a progressé au rythme de 2 % en 2009, puis 3,2 % en 2010. Les prévisionnistes du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque mondiale annoncent 3 % à 3,5 % pour cette année et 4 % à 4,5 % pour 2012… à condition que les dettes et les déficits n’étouffent pas les économies riches. Le PIB par habitant et les investissements sont repartis de l’avant, à petite vitesse. L’inflation de 2,5 % tout comme la dette (qui représente 14,3 % du PIB) sont plutôt sages, ce qui permettra au gouvernement d’emprunter prudemment aux conditions du marché.
Il semblerait donc que les Camerounais mettent un peu plus de coeur à l’ouvrage. Les grands projets quittent lentement les bureaux des ministères pour s’inscrire enfin dans le paysage. La construction du grand barrage de Lom-Pangar a été attribuée aux Chinois après vingt années de tergiversations. Les grues signalent que, partout, on bâtit des maisons, des ponts, des routes et des ports. Toutes les régions du pays en profitent, grâce aux élections, qui obligent à caresser les populations dans le sens du poil.
Le Cameroun a toujours une piètre réputation parmi les investisseurs étrangers pour son climat des affaires médiocre. Mais ceux-ci semblent surmonter leurs réticences, et des missions viennent voir si des projets de belle taille auraient des chances de réussir dans les mines (capitaux britanniques ou canadiens) ou dans l’huile de palme (capitaux singapouriens). Rien n’est signé, mais l’intérêt manifesté par ces grandes entreprises est un bon signe.
Hélas, l’analyse des budgets de l’État continue de montrer une faible appétence pour le futur. Le dépassement traditionnel des crédits de fonctionnement est compensé par une réduction des crédits d’investissement. Ajoutons que le tiers et parfois la moitié des projets ne voient jamais le jour, et l’on comprend pourquoi avec un taux d’investissement rapporté au PIB de 18,5 % en 2011, le Cameroun est à la traîne de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), où ce ratio s’élève, dans l’ensemble, à 25 % du PIB.
Tout le monde ne croit pas au rebond préélectoral ou à la bonne santé du secteur immobilier. Ainsi, Olivier Behlé, président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), ne voit-il « aucune évolution significative » dans son pays. La multiplication des chantiers lui semble le signe « d’une économie souterraine qui ressurgit ». Autrement dit, affirme-t-il, « ceux qui ont perçu d’importantes sommes d’argent de manière indélicate ne peuvent plus aujourd’hui les déposer sur un compte bancaire. Il ne leur reste plus qu’à construire sur un foncier hors de prix pour profiter de l’inflation des loyers, mais pas dans les zones où il existe une demande de logements ! » Ce blanchiment et cette léthargie lui inspirent cette réflexion désabusée : « Peut-être que notre pays ne peut évoluer que par soubresauts… »
Ce n’est pas la revendication maximaliste de la confédération syndicale Entente des travailleurs du Cameroun de tripler le salaire minimum – 28 217 à 97 000 F CFA (de 43 à 1748 euros) – pour l’aligner sur celui de la Guinée équatoriale qui semble annoncer un tel « soubresaut ».
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