Louis-Paul Motaze : « Il y a encore du travail pour être compétitifs »

Tirant les enseignements d’une trop longue crise de croissance, la « Vision 2035 » est lancée. Entretien avec le ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire.

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Publié le 30 septembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Le Cameroun au banc d’essai
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Le Cameroun au banc d’essai

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Jeune Afrique : Pourquoi les Camerounais devraient-ils voter pour Paul Biya le 9 octobre ?

Louis-Paul Motaze : Certaines raisons sont directement économiques, d’autres beaucoup plus générales. Parmi les raisons économiques, la première est que le président a quand même mis sur pied un programme volontariste de développement, « Cameroun, Vision 2035 ». Une vision qui a été modelée par toutes les forces vives de la nation et qui n’est contestée par personne. Même l’opposition l’a approuvée, ce qui est une prouesse, ainsi que les partenaires bilatéraux et multilatéraux au développement.

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C’est une raison valable pour reconduire le chef de l’État dans ses fonctions. Ce programme pourrait impulser la croissance et créer des emplois. Ce qui est l’ambition de tout gouvernement.

Justement, l’opposition brandit des programmes qui ont la même ambition…

Je ne pense pas que l’opposition ait un programme aussi convaincant. Je voudrais d’ailleurs insister sur le fait que l’opposition l’a validé. Ils devraient sur ce point nous rejoindre. Et même appeler à voter pour le président.

Et quelles sont les raisons plus générales que vous évoquiez ?

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Elles tiennent au fait que le président Biya est un homme de paix. Pourquoi est-ce que j’en parle alors que je suis ministre de l’Économie ? C’est parce que je suis très bien placé pour savoir qu’aucun développement économique ne peut être impulsé dans le désordre et l’instabilité.

Nous sommes en Afrique, et nous connaissons des pays qui sont au même niveau que le Cameroun, mais, entrés dans les affres de la guerre civile, ils sont retardés dans leur développement pour des années. Il ne faut pas que les Camerounais galvaudent cette notion de paix en pensant que c’est une chose acquise.

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Oui, mais la paix n’est pas quantifiable dans un bilan…

En tant que ministre de l’Économie, je sais ce qui arrive du côté des investisseurs lorsqu’ils sentent que la paix est menacée. Ils retardent leurs projets. Entre 2010 et 2011, notre pays a bénéficié de presque 1 300 milliards de F CFA [près de 2 milliards d’euros, NDLR] d’investissements étrangers. C’est de l’argent frais. Il faut aussi augmenter l’afflux des nouveaux partenaires, notamment des Vietnamiens, des Singapouriens ou des Coréens, qui n’iraient pas dans un pays en crise. Ils viennent au Cameroun parce qu’ils peuvent y investir en toute confiance et en toute sécurité.

Pourquoi le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) publié en août 2009 situe-t-il l’émergence du pays à l’horizon 2035 ?

Certes, 2035 peut sembler loin. Mais notre démarche est pragmatique et divisée en étapes de dix ans, avec l’élaboration de cadres de dépenses à moyen terme, à l’horizon de trois ans.

L’émergence est l’aboutissement de différentes étapes. Nous devons d’abord parvenir au stade de pays à revenu intermédiaire, ce sera déjà une très bonne chose. Ensuite, il nous faudra accéder au niveau des nouveaux pays industrialisés, encore une étape avant d’atteindre l’émergence. Bref, ce n’est pas parce que l’on aura construit un barrage ou un port en eau profonde dans trois ans que l’on deviendra un pays émergent. Cela améliorera significativement notre situation. Mais il faudra encore travailler pour améliorer la compétitivité de l’économie camerounaise, encore handicapée par un certain nombre de travers, dont le déficit énergétique. Quand des investisseurs viennent pour installer des usines ou agrandir celles qui existent déjà, comme pour Alucam, et constatent qu’il y a un problème d’énergie, ils vont voir ailleurs.

Comment expliquez-vous les retards dans l’exécution de nombreux projets, notamment miniers ?

On peut en effet penser que les choses ne vont pas assez vite. Cette perception est liée aux procédures. S’agissant de l’exploitation minière, il faut d’abord explorer et ensuite évaluer la teneur en minerai, parce qu’il ne faut pas non plus se lancer dans l’exploitation pour découvrir a posteriori que les ventes ne vont pas couvrir les charges de production. Lorsqu’un minerai est si abondant que ses cours se traînent et font perdre de l’argent, autant le laisser sous terre.

Quant au temps pris pour l’évaluation, nous sommes en train de négocier avec la Banque mondiale pour qu’elle nous aide à élaborer la cartographie minière du pays, où, Dieu merci, on continue de découvrir de nouveaux gisements. Je peux même vous révéler que nous venons d’identifier des gisements de fer qui sont peut-être plus importants que celui de Mbalam.

Parmi les priorités qui tardent à se concrétiser, qu’en est-il de l’autoroute Yaoundé-Douala ?

Elle coûte très cher. Le chef de l’État, qui était en Chine au mois de juillet, a présenté le projet à notre partenaire et, avec le ministère des Travaux publics, nous examinons toutes les formules, à savoir le financement direct par un partenaire, le partenariat public-privé et, pourquoi pas, le péage.

Les sociétés chinoises, qui décrochent nombre de grands chantiers, importent leur matériel, leur main-­d’œuvre… Cela ne limite-t-il pas l’impact des projets sur le PIB et l’emploi ?

Certains pays amis ont leur code de conduite. Quand ils vous prêtent de l’argent, ils veulent qu’une entreprise de leur pays réalise l’ouvrage. La Chine et l’Inde en font partie. Cela dit, lorsqu’ils acceptent de financer un projet, les partenaires multilatéraux, et certains bilatéraux, comme chacun des pays de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques, NDLR], exigent un appel d’offres international, qui peut être remporté par une société chinoise. C’est le cas du barrage hydroélectrique de Lom Pangar. Dans un cas comme dans l’autre, nous essayons d’encourager l’emploi de la main-d’œuvre locale, et les entreprises étrangères travaillent avec des Camerounais.

Par ailleurs, si le chef de l’État en valide le principe, nous envisageons d’élaborer un projet de loi sur la sous-traitance, dont on discutera au gouvernement et à l’Assemblée nationale. Constatant que les retombées de la construction du pipeline Tchad-Cameroun n’ont pas été satisfaisantes en termes d’emplois, nous réfléchissons en effet à l’opportunité de mettre sur pied une sorte de « bourse de la sous-traitance », une loi d’encadrement selon laquelle tout grand marché conclu avec un industriel devra intégrer 30 % ou 40 % de participation de PME locales.

Quels sont les besoins fondamentaux du Cameroun aujourd’hui ?

Nos besoins en infrastructures sont proportionnels au retard que nous avons dans ce domaine. Nous avons des besoins colossaux de financements.

Nous disons aux bailleurs de fonds, qui ont validé notre stratégie, que nous avons besoin de crédits plus importants. Mais si nous restons dans les guichets destinés aux pays pauvres, qui octroient des prêts concessionnels, nous n’y arriverons pas. C’est la raison pour laquelle nous diversifions les partenaires.

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Propos recueillis à Yaoundé par Georges Dougueli

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