Cameroun : le pays peut-il changer ?

Les chantiers ne manquent pas pour conduire la locomotive de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) vers un vrai décollage économique. À trois semaines de la présidentielle camerounaise, le point sur ses atouts et ses faiblesses.

Objectif pour le Cameroun : atteindre le statut de pays émergent d’ici à 2035. © AFP

Objectif pour le Cameroun : atteindre le statut de pays émergent d’ici à 2035. © AFP

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Publié le 30 septembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Le Cameroun au banc d’essai
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Le Cameroun au banc d’essai

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Les Camerounais s’apprêtent à élire, le 9 octobre prochain, leur président de la République (en un seul tour). Bien mené, le processus électoral donnera un coup d’accélérateur au redressement économique en cours, en dépit d’un taux de croissance à la traîne. Mal négocié, il pourrait précipiter la locomotive de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) dans le chaos de la contestation postélectorale.

Pour l’instant, rien ne laisse présager un dérapage. Mais qui peut garantir une tranquillité absolue dans un pays où les équilibres ethniques sont fragiles, les disparités sociales importantes et le chômage élevé ?

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Vingt et un candidats

Comme un signe d’apaisement, l’ensemble de la classe politique a accepté de participer au scrutin, surmontant les querelles relatives à la composition et aux prérogatives d’Elections Cameroon (Elecam), l’organe chargé d’organiser le scrutin. Même s’il a un temps prôné le boycott, estimant que « le système électoral tel qu’il se présente jusqu’ici n’est pas fiable », l’éternel challengeur John Fru Ndi, du Social Democratic Front (SDF), a changé d’avis et sera bien candidat, parmi une opposition dispersée et loin d’être portée par une lame de fond.

Au soir du 9 septembre, le conseil électoral d’Elecam a annoncé qu’il retenait vingt autres candidatures – sur 52 déposées –, dont celle du président Paul Biya, 78 ans, au gouvernail depuis novembre 1982, et dont on connaît déjà le projet de société. Parmi les dossiers invalidés figure notamment celui d’Augustin Frédéric Kodock, de l’Union des populations du Cameroun (UPC), habitué des scrutins présidentiels. On ne verra pas non plus de bulletins à l’effigie de Bello Bouba Maïgari, de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) – qui a annoncé son soutien à Paul Biya –, ni à celle de Dakolé Daïssala, du Mouvement pour la défense de la République (MDR).

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Posture postcrise

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Le chef d’État sortant se propose de remédier à la faible productivité, au déficit énergétique, aux effets de la crise financière, à l’insécurité alimentaire, à la pauvreté et au taux de chômage élevé, pour hisser le Cameroun au rang de pays émergent d’ici à 2035. Dans cet objectif, le gouvernement a élaboré en 2009 un Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) pour la période 2010-2020.

Tirant les leçons de deux décennies de crise, les dirigeants ont choisi de miser sur les points forts de l’économie nationale. Il s’agit d’aider les secteurs à fort potentiel, qui apportent le plus de points de croissance – notamment les industries agroalimentaires (lire pp. 88-89), extractives et les services –, à décoller.

Sur le front du chômage, les résultats sont mitigés, avec un taux d’emploi de 59 % (parmi les 15-64 ans), selon le rapport 2010 du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) ; seuls 21 % de la population active sont employés dans le secteur formel. Les perspectives sont cependant prometteuses compte tenu de la mise en œuvre des grands projets structurants dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures routières, socioéconomiques et culturelles. La construction des complexes hydroélectriques de Lom-Pangar, de Memve’ele et de Mekin, et de la centrale à gaz de Mpolongwé (près de Kribi), celle du port en eau profonde de Kribi, le bitumage d’axes routiers majeurs (comme Ebolowa-Kribi ou Bamenda-Kumbo) ou encore la construction de logements sociaux… Pour ses partisans, ces projets, dont la réalisation est en cours ou imminente, devraient raisonnablement pousser les électeurs à reconduire le bail du président sortant.

"un pays hypercentralisé"

La bataille n’est pas gagnée pour autant. Ses opposants lui reprochent sa longévité au pouvoir – vingt-neuf ans – et critiquent son bilan. Pour Jean-Jacques Ekindi, député de Douala sous les couleurs du Mouvement progressiste (MP), il s’agit de moraliser la vie publique et de réformer les institutions pour revenir au fédéralisme car, dans « un pays hypercentralisé, un État où l’exécutif est hypertrophié, les capacités de résistance des autres pouvoirs sont limitées […] dès lors qu’un parti assure son hégémonie sur les deux pouvoirs de base que sont l’exécutif et le législatif ».

Le magistrat et député anglophone Paul Ayah Abine estime, lui, que « l’émergence du Cameroun en 2035 n’est qu’un rêve dans le contexte des gaspillages actuels. Mais, avec une gestion saine de nos ressources naturelles, cela peut se réaliser en 2020 ». Quant à Esther Dang, ex-directrice générale de la Société nationale d’investissement (SNI) et candidate à la présidentielle du 9 octobre, elle déplorait notamment, lors de sa démission du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti présidentiel) en janvier 2010, « une dégradation économique, financière et sociale sans précédent […] malgré les importants allègements des dettes internationales ».

Progrès et misère

Pour la plupart des patrons, le président élu devra impérativement améliorer l’environnement des affaires. Trop de formalités administratives, trop de corruption et d’insécurité judiciaire continuent de freiner l’enthousiasme des investisseurs. Pourtant, des efforts ont été consentis, tels que l’institution d’un guichet unique pour la création d’entreprises, la mise en place de centres de gestion agréés, la facilitation des procédures d’octroi des permis de bâtir à Douala et à Yaoundé, qui ont permis au pays quelques progrès en la matière. Une fois n’est pas coutume, il gagne d’ailleurs cinq places dans le dernier rapport « Doing Business » de la Banque mondiale, passant du 173e rang en 2010 au 168e en 2011 (sur 183 pays classés).

« J’attends de voir la stratégie de chacun des candidats pour me décider. En particulier, comment ils envisagent de combattre l’insécurité alimentaire et de réduire la pauvreté », promet Adolphe, employé de banque à Douala.

Malgré un frémissement de la croissance et l’émergence d’une classe moyenne urbaine qui tire la consommation vers le haut, le quotidien des Camerounais est encore loin d’être aisé. L’indice de développement humain (IDH), de 0,46, qui place le pays au 131e rang sur 169 dans le rapport 2010 du Pnud, semble bien en deçà de ce qu’il pourrait être. Si la réduction de la pauvreté est l’un des objectifs centraux du DSCE 2010-2020, pour le moment, un tiers de la population – soit plus de 6,5 millions de personnes – vit avec moins de 1,25 dollar (0,9 euro) par jour, 53 % des Camerounais n’ont pas encore accès à des services d’assainissement, et la couverture médicale reste indigente : 2 médecins et 15 lits d’hôpital pour 10 000 habitants.

L’approvisionnement en denrées reste également précaire. La hausse de l’indice des prix à la consommation des ménages et la forte reprise des importations alimentaires depuis une quinzaine d’années confirment les performances mitigées de la production agricole concernant les denrées de base (céréales, poissons, produits d’élevage). Une situation qui empêche de réduire durablement la pauvreté et sur laquelle les Camerounais, comme la communauté internationale, seront de plus en plus intransigeants.

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