ONU : mains sales et Casques bleus

Exploitation, abus sexuels et trafics en tout genre… En Côte d’Ivoire, comme avant au Liberia ou en RD Congo, les accusations contre les Casques bleus se suivent et se ressemblent.

En Côte d’Ivoire et en RDC, l’image des Casques bleus est ternie. © AFP

En Côte d’Ivoire et en RDC, l’image des Casques bleus est ternie. © AFP

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Publié le 22 septembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Une Jeep blanche frappée du logo « UN ». À son bord, deux soldats malawites, coiffés du casque bleu des United Nations, les Nations unies. Nous sommes à Guiglo, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Le véhicule se dirige vers la résidence saccagée de Maho Glofieï, ancien chef de milice patriotique, réputé impitoyable et aujourd’hui en fuite. Il y a moins de six mois, les Casques bleus osaient à peine mettre le nez dehors, de crainte de subir le courroux des miliciens et des mercenaires pro-Gbagbo, qui contrôlaient la ville. Depuis le 11 avril, jour de la chute de l’ancien président, ils se sentent libres de circuler à nouveau… Et à Guiglo, cela n’a pas eu que des avantages.

Courant juillet, l’ONG Save the Children a découvert que plusieurs filles de moins de seize ans avaient été victimes d’exploitation et d’abus sexuels. Informée, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a conduit en août une enquête préliminaire qui a conclu que de lourdes présomptions pesaient sur certains soldats de l’ONU. Si les allégations sont avérées, ce serait la troisième fois, en quatre ans, que des Casques bleus sont impliqués dans des scandales de ce genre en Côte d’Ivoire. La première fois, c’était à Bouaké, en juillet 2007. Des éléments du contingent marocain avaient été accusés d’avoir abusé d’adolescentes âgées de 14 à 17 ans, avant d’être renvoyés chez eux. La deuxième, en avril 2010, à Toulépleu, dans l’Ouest : seize Casques bleus béninois coupables d’abus sur mineures avaient été rapatriés et exclus de l’armée.

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Les accusations qui salissent les Casques bleus portent beaucoup sur des crimes à caractère sexuel, mais pas seulement. En témoigne la diversité des scandales qui ont, à plusieurs reprises, terni l’image des 20 000 soldats déployés sous la bannière de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RD Congo (Monusco), l’une des plus anciennes et la plus coûteuse des missions de maintien de la paix en Afrique. En février 2005, l’ONU avait décidé d’interdire à ses militaires d’avoir des relations sexuelles avec des Congolaises, promettant d’appliquer le principe de tolérance zéro pour toute entorse à la règle.

En Afrique, mais pas seulement

La vidéo, largement diffusée sur internet, a contraint l’Uruguay à présenter ses excuses et à suspendre le chef de son contingent déployé en Haïti. Elle montre le viol d’un jeune Haïtien de Port-Salut par cinq Casques bleus uruguayens. La scène aurait été filmée par un téléphone portable et une enquête a été ouverte. En Haïti, les scandales collent aux basques des Casques bleus (par ailleurs accusés d’avoir propagé le choléra sur l’île après le tremblement de terre de 2010) depuis leur arrivée dans le pays, en 2004. Cela avait également été le cas au Cambodge, dans les années 1990, quand des soldats de maintien de la paix avaient été accusés d’avoir favorisé la prostitution et de s’être livrés à des pratiques criminelles. Même chose en Bosnie-Herzégovine, une dizaine d’années plus tard, quand des militaires allemands, jordaniens et pakistanais avaient fait l’objet d’une enquête pour trafic de jeunes femmes.

Mais quelques mois plus tard, en juin, elle reconnaissait avoir répertorié 150 accusations d’enlèvement et de viol de mineures portées contre son personnel. En avril 2008, nouvel esclandre – et nouvelle source d’embarras à New York – quand des Casques bleus indiens et pakistanais sont accusés d’avoir fourni des armes et des munitions contre de l’or aux rebelles de l’Ituri (Est). Un mois plus tard, une centaine de Casques bleus indiens sont soupçonnés d’avoir abusé de jeunes filles et garçons pendant plusieurs années dans le Nord-Kivu, toujours dans l’Est. Enfin, en juillet 2010, la Monusco annonce que deux de ses éléments (un Tunisien et un Indien) se sont rendus coupables d’agressions sexuelles.

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Impunité

On n’en saura pas plus. Décidée à faire toute la lumière sur ces affaires, l’ONU conduit des enquêtes sur les accusations portées contre ses troupes, mais se montre peu transparente sur leurs résultats. « L’ONU est embarrassée par ces scandales dont elle se serait bien passée. Elle envoie des Casques bleus pour apporter la paix dans des pays en guerre, pas pour être source d’insécurité pour les populations locales », commente un fonctionnaire de l’organisation à Abidjan. Difficile donc d’obtenir des statistiques exhaustives sur les allégations et les cas avérés.

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Il n’empêche : depuis 2003, l’ONU a décidé de faire face à ses démons. À l’initiative de Kofi Annan, son septième secrétaire général (remplacé depuis par Ban Ki-moon), elle se montre d’une grande sévérité envers ses soldats coupables d’abus. Sauf que la persistance de pratiques déshonorantes (abus sexuels, faux mariages, pornographie, prostitution, viols, trafics divers…) est en partie due à l’impunité dont jouissent souvent les coupables. L’obligation de répression ne s’impose pas à l’ONU, qui ne dispose pas de juridiction interne. « Il appartient aux États contributeurs d’engager des poursuites contre les auteurs de ces crimes », rappelle sans cesse l’organisation. Et c’est là que le bât blesse. Car très souvent, comme le relève Save the Children, les fautifs retrouvent le confort de leur foyer sans être inquiétés.

Cependant, tous ne s’en tirent pas à si bon compte. En septembre 2008, la cour d’assises de Paris a condamné un fonctionnaire français de l’ONU, accusé de pornographie en RD Congo, à neuf ans d’emprisonnement ferme. En 2009, l’organisation a déclaré que trente-trois Casques bleus impliqués dans divers incidents en Côte d’Ivoire, en Haïti, au Liberia et au Soudan avaient été sanctionnés dans leurs pays respectifs. Les justices militaires de l’Afrique du Sud, du Canada, du Nigeria ou de l’Inde (l’un des plus gros contributeurs de troupes avec le Pakistan) ont déjà puni certains de leurs soldats. De quelle façon ? « Il peut s’agir de renvois, de retraites forcées, de destitutions d’officiers, ainsi que de peines de prison plus ou moins lourdes », expliquait Michèle Montas, lorsqu’elle était la porte-parole de Ban Ki-moon.

Et il est un message que le secrétaire général de l’ONU tient à faire passer : « Les mauvais agissements de quelques-uns ne doivent pas diminuer l’énorme contribution et sacrifice du plus grand nombre des Casques bleus qui servent la cause de la paix. » Les faits en question ne concernent qu’une infime partie des 110 000 Casques bleus engagés dans dix-neuf opérations dans le monde. Mais en RD Congo, en Côte d’Ivoire ou en Haïti, leur image a été indubitablement ternie.

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