Nadine Labaki : « Comment empêcher mon fils de prendre une arme ? »
Après le succès de Caramel, son premier film, l’actrice et réalisatrice libanaise Nadine Labaki signe un long-métrage pacifiste, entre drame et comédie. Rencontre.
Avec son premier film, Caramel (2007), l’actrice et réalisatrice libanaise Nadine Labaki a connu un triomphe public et critique. Acclamée au Festival de Cannes et dans le monde entier, cette comédie avait séduit autant par sa drôlerie que par sa façon d’évoquer, sans en avoir l’air, la condition des femmes dans le monde arabe. La sortie de son second long-métrage, le 14 septembre, était donc très attendue.
Le sujet, cette fois, est nettement plus grave. Dans un village du Moyen-Orient où un large tribut a déjà été payé à la guerre, des nouvelles extérieures font craindre la résurgence d’un conflit entre chrétiens et musulmans. Alors que les hommes, sans réfléchir, envisagent le recours aux armes, les femmes s’unissent pour tenter de calmer leurs ardeurs guerrières. Hommage au courage et à l’inventivité de ces « pacifistes », le film alterne scènes tendues et séquences amusantes, voire désopilantes. Le spectateur aura même droit à des bouts de comédie musicale !
Moins achevé que Caramel – le jeu des acteurs amateurs est très inégal – mais doté d’un scénario plus dense, Et maintenant on va où ? confirme le talent de la superbe Nadine Labaki, grand espoir du cinéma arabe.
Jeune Afrique : Le cap du second film, après le succès du premier, c’est difficile ?
Nadine Labaki : Pas forcément. Mais il y a plus de responsabilités. Surtout dans ce cas, où c’est un film plus ambitieux, plus cher, avec plus d’acteurs, qui se passe dans un village où il fallait gérer une centaine de personnes… Et évidemment j’ai peur de la comparaison. Car ce qui s’est passé avec Caramel, c’était un conte de fées, et je ne sais pas si cela peut se répéter.
Ce film contre la guerre, qui joue moins sur le ressort comique, ne ressemble pas beaucoup à Caramel. C’était une volonté ?
C’était important pour moi de ne pas me répéter. Et, plus encore que la première fois, je voulais faire réfléchir. Dans notre région, où le cinéma est très timide et où l’on tourne peu, chaque film doit compter et exprimer un point de vue. Je n’avais pas besoin d’être plus sérieuse, mais je voulais prendre en considération la souffrance des mères que j’ai vues subir la perte d’êtres chers. Cette rage, cette douleur devant l’injustice, l’absurdité de ce qui leur arrivait, méritent le respect.
C’est un film de fiction qui se passe dans un lieu non situé mais qui semble croiser la réalité au Liban. D’où vous est venue l’idée de ce scénario ?
Non pas d’une histoire réelle, mais d’un amas d’histoires que j’ai vécues ou qu’on m’a racontées et qui m’ont inspirée, consciemment ou non, pendant l’écriture du film. L’origine précise du scénario, cependant, ce sont les événements du 7 mai 2008 au Liban, à un moment où les gens sont descendus dans la rue et où on a pu craindre que la guerre interconfessionnelle recommence. J’étais enceinte et je me suis dit : si mon fils était déjà né et était devenu un jeune homme, qu’est-ce que j’aurais pu faire pour l’empêcher de prendre une arme ? C’est devenu un film.
Pensez-vous que les femmes sont plus pacifiques que les hommes ?
Je pense qu’il y a un instinct de protection qui fait qu’une femme, contrairement à un homme, y réfléchit à deux fois avant de se battre.
Avec une femme à sa tête, le Liban serait un pays plus pacifique ?
Je le crois. Il y a des femmes qui poussent leurs enfants à la guerre ou au martyre, mais je ne les comprends pas.
La sortie de votre film survient alors que se poursuit le Printemps arabe. Une coïncidence qui vous plaît ?
Je n’écris pas mes films en fonction de l’actualité. Mais ce qui se passe dans le monde arabe, notamment en Égypte, confirme d’une certaine manière ce que je raconte et lui donne du poids. Le Printemps arabe a surtout montré qu’il existait un ras-le-bol général, mais j’ai peur que les espoirs ne soient déçus.
Dans notre région, où le cinéma est timide et où l’on tourne peu, chaque film doit compter et exprimer un point de vue.
Outre les réaliser, vous jouez dans vos films. Est-ce un besoin ?
J’éprouve plus de plaisir à jouer sous la direction de quelqu’un d’autre. D’autant que je me confie des rôles proches de mon vrai personnage, ce qui n’est pas forcément ce que j’aime. Il est plus plaisant d’explorer des facettes inconnues de soi-même, de se permettre des folies qu’on n’oserait pas accomplir dans sa vie. Et il est difficile d’approfondir le travail d’actrice tout en gérant un tournage. Mais quand je joue, je crée avec les autres acteurs une atmosphère détendue qui leur permet de rester spontanés. Cela me permet aussi d’improviser plus facilement, de donner un rythme aux scènes.
Vous tournez beaucoup en famille : votre mari a composé la musique, votre sœur a fait les costumes…
C’est une nécessité pour moi. Ce sont des personnes douées, et puis un réalisateur est dans une position très fragile. Comme je ne suis pas sûre de moi, j’ai besoin d’un réconfort moral, de gens qui me donnent force et courage.
Votre film tient à la fois du néoréalisme italien et de la comédie égyptienne. Deux filiations que vous revendiquez ?
Je dirais volontiers que je fais du cinéma méditerranéen. Les femmes de mon film auraient certainement pu être égyptiennes, mais aussi italiennes ou espagnoles. Par leur manière de gesticuler et de parler à voix haute. Elles ont le sang chaud !
Si, comme actrice, vous pouviez choisir un réalisateur, à qui penseriez-vous ?
Je ne me suis jamais posé une telle question ! Je choisirais un réalisateur un peu provocateur. J’ai envie de me lancer des défis, alors je penserais peut-être à Lars von Trier. Mais j’aimerais aussi jouer pour des réalisateurs qui savent sublimer la féminité. Comme Godard, Téchiné, Lelouch, ces réalisateurs qui ont aimé la femme et ont voulu la comprendre.
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