Côte d’Ivoire : André Degbeon, chasseur de préjugés

Télévision, politique, cet Ivoirien fait tout pour changer l’image des Africains auprès des Allemands. Un combat difficile dans un pays où les clichés ont la vie dure.

André Degbeon cultive l’afro-optimisme en Allemagne. © Maurice Weiss/Ostkreuz pour J.A.

André Degbeon cultive l’afro-optimisme en Allemagne. © Maurice Weiss/Ostkreuz pour J.A.

Publié le 16 septembre 2011 Lecture : 3 minutes.

Quand il évoque l’Afrique et le regard condescendant que les Européens portent parfois sur le continent, il s’emporte et sa voix monte soudain dans les aigus. C’est épidermique. Il faut dire qu’André Degbeon, Ivoirien de 53 ans, a fait de la lutte contre les clichés son cheval de bataille. Il veut changer l’image de l’Afrique, en particulier en Allemagne, terre où il a élu domicile voilà trente ans. Et la tâche est immense : ce pays connaît mal l’Afrique, et ses habitants restent perclus de préjugés. « L’image de l’Africain a peu changé depuis l’époque où on les parquait dans des zoos, analyse-t-il sans détour. Le continent est toujours associé aux animaux sauvages, à la savane. » Selon lui, rien n’est fait pour que cette vision change, surtout pas dans les médias. « La presse allemande ne relaie que des informations négatives, de misère, de maladie et de corruption. Comment voulez-vous qu’ensuite, lorsqu’un chef d’État africain vient rencontrer la chancelière, Angela Merkel, on lui parle d’égal à égal ? » Il aime à répéter ce proverbe africain qui dit que « la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit ».

D’où son idée, en 2003, de créer en Allemagne une chaîne de télévision qui donnerait une image positive de l’Afrique. « Dès que j’ai commencé à parler de ce projet, j’ai reçu de nombreuses réactions favorables, il y avait une vraie demande », se souvient Degbeon, ému. Afro TV n’aborde guère les sujets qui fâchent (« je laisse ce soin aux médias occidentaux »), et préfère évoquer des initiatives réussies, diffuser des documentaires, présenter des entrepreneurs… Des thèmes « que les Allemands n’ont pas l’habitude de voir ». À l’origine diffusés sur le canal régional berlinois Spree Kanal, les programmes sont aujourd’hui en phase de migration sur internet « pour augmenter la visibilité ». Internet a aussi l’avantage d’être « moins cher ». Car les financements, pour l’heure, sont durs à trouver, et la publicité n’abonde pas. Tout, ou presque, est payé avec les deniers personnels de Degbeon.

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Affable, l’homme au regard rieur n’abandonne pas. Dernièrement, il a eu l’idée de vendre les DVD de ses émissions en Afrique, afin d’augmenter les recettes d’Afro TV. La persévérance est un trait de son caractère, disent ceux qui le connaissent.

Pour les beaux yeux d’une Blanche

Né dans la région du Moyen-Comoé (à Agnibilékrou), Degbeon est arrivé à Berlin à l’âge de 23 ans. Pour les beaux yeux d’une Blanche, allemande, partie pour une mission de quatre ans en Afrique, avec qui il a un fils, également né en Côte d’Ivoire. En Allemagne, Degbeon apprend la langue, se forme au journalisme et à la télévision. En 1995, il fonde le premier jardin d’enfants germano-africain de Berlin. Dans cette ville, il sera souvent l’homme des premières fois. Comme en 2001, quand il est le premier Noir à se présenter à une élection municipale, dans le quartier très conservateur de Wilmersdorf-Charlottenburg. S’il n’obtient que 1,5 % des voix, ce geste symbolique lui permet de mettre en avant les Africains de Berlin, que beaucoup font semblant de ne pas voir. Après ce premier pas en politique, il en fait un second au sein du Parti social-démocrate (SPD), qui le contacte à la suite de sa candidature remarquée. L’expérience s’avère amère. Il déchante et se rend compte qu’à l’échelle d’un quartier on ne lui laisse pas sa chance. Il ne reçoit pas les invitations lors des décisions importantes, et se sent écarté du jeu. Il s’éloigne du parti, sans pour autant perdre le goût de l’action politique.

Depuis 2008, il est membre du Migrationsrat, le conseil consultatif des immigrés de Berlin, organe qui se charge d’aider les étrangers dans leurs démarches quotidiennes, intervient pour bloquer des demandes d’expulsion ou discute avec le Sénat des lois concernant les étrangers. Une forte responsabilité qu’il « assume avec plaisir ».

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Né sous le signe du caméléon – belle métaphore pour un Africain vivant en Allemagne -, Degbeon ne baisse jamais la garde. Son dernier combat : la représentation des Africains en Allemagne. À l’origine, un discours dans lequel le président de la République fédérale, Christian Wulff, évoque une rencontre avec les représentants de la diaspora africaine. Mais quand André Degbeon veut en savoir plus, connaître qui sont ces représentants et comment ils ont été choisis, pas de réponse. « On ne veut plus que l’on parle à notre place. Ce sont aux Africains de décider qui les représente », s’insurge-t-il, au risque de passer pour un gêneur.

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