11 Septembre : l’Amérique s’est trompée de guerre
Dix ans après les attentats de New York et de Washington, le terrorisme islamiste est, pour l’essentiel, vaincu. Mais les responsables américains n’ont pas vu que la bataille décisive n’avait pas lieu dans les montagnes d’Afghanistan ou le désert irakien, mais… dans les salles de marchés.
Au matin du 11 septembre 2001, les perspectives d’avenir des États-Unis apparaissent dégagées. Autant que le ciel au-dessus de Manhattan. Le baril de pétrole brut est à 28 dollars, le budget fédéral est en excédent, et l’économie se redresse, lentement mais sûrement, après le krach des sociétés en ligne. La nation la plus puissante du monde est en paix.
Dix ans après, le baril de pétrole brut avoisine les 115 dollars, le déficit budgétaire devrait atteindre 1 580 milliards de dollars à la fin de l’année (le plus élevé de l’histoire américaine), et l’économie n’a toujours pas surmonté les conséquences de la crise financière de 2008. De l’Afghanistan au Niger et du Pakistan au Yémen, les services secrets et les forces armées poursuivent une lutte sans fin contre le terrorisme islamiste. Le récent abaissement de la note américaine par l’agence de notation Standard & Poor’s semble confirmer le lent déclin de l’ex-superpuissance.
Al-Qaïda? Touchée, mais pas coulée. Juste avant sa mort, Ben Laden préparait un autre attentat.
Même s’il n’y a pas de rapport direct entre les attentats du 11 Septembre et la crise actuelle de l’économie américaine, le coût de la « guerre totale contre le terrorisme » s’élève à plus de 2 000 milliards de dollars. Deux fois plus que celui de la guerre au Vietnam. Le président George W. Bush a répliqué aux attaques en se lançant dans des aventures militaires en Afghanistan et en Irak, en pratiquant un unilatéralisme exalté, et en s’efforçant de promouvoir, de façon presque mystique, la démocratie libérale au Moyen-Orient. Les décisions politiques plus que discutables de son administration ont eu pour conséquences de mettre à mal l’alliance avec l’Europe et d’altérer durablement l’image des États-Unis dans le monde.
Al-Qaïda est touchée, mais pas entièrement coulée. Les dizaines de disques durs retrouvés dans la cache d’Oussama Ben Laden à Abbottabad, au Pakistan, laissent supposer que le défunt chef djihadiste préparait un nouvel attentat de grande envergure. Celui-ci était-il censé coïncider avec le dixième anniversaire du 11 Septembre ?
Idée fausse
Le Printemps arabe montre que l’idée selon laquelle le Moyen-Orient – à l’exception d’Israël – serait par nature incapable d’embrasser la démocratie est fausse. L’un après l’autre, les despotes de la région ont été renversés par des manifestants réclamant dignité, liberté et travail – même si la chute de Mouammar Kadhafi doit beaucoup à l’intervention de l’Otan. Le Syrien Bachar al-Assad pourrait être le prochain sur la liste.
Bush avait-il raison d’affirmer que le maintien au pouvoir des dictatures moyen-orientales favorisait le développement du terrorisme islamiste et mettait en danger la sécurité des États-Unis ? Si la réponse à cette question est oui, alors la faillite de son administration est moins imputable à une erreur d’analyse qu’à la manière dont il a procédé.
Question subsidiaire : le choix d’une réponse militaire aux attentats du 11 Septembre n’a-t-il pas conduit le pays à dilapider ses ressources et à détourner son attention du véritable danger : la montée en puissance de nouveaux acteurs, au premier rang desquels la Chine, sur la scène planétaire ? L’événement géopolitique majeur de ces dix dernières années n’a pas eu lieu sur les champs de bataille, mais sur les places boursières.
Comme l’on sait, la crise financière a été déclenchée par la propension malsaine des banques à accorder des crédits à des Américains incapables de les rembourser. Et, tout autant, par le poids démesuré des banques dans le système financier. Ces distorsions sont, au moins en partie, la conséquence d’un déséquilibre planétaire : d’un côté, des Américains vivant à crédit grâce à la faiblesse des taux d’intérêt pratiqués ; de l’autre, des exportateurs et des épargnants chinois contribuant à un énorme excédent de devises.
En hausse, en baisse
Jusqu’à la grande dépression de 2008, les nuages se sont accumulés dans l’indifférence générale. Grâce à une main-d’œuvre bon marché, la Chine exportait sa déflation au reste de la planète. Elle finançait l’endettement américain en recyclant ses propres excédents en bons du Trésor. Après trois années de crise, l’ordre économique mondial est bouleversé : les États-Unis sont affaiblis ; l’Europe, sur la touche ; et l’Asie, en pleine croissance – au moins jusqu’à présent.
Le poids de l’Asie dans l’économie mondiale est passé de 8 % en 1980 à 24 % l’année dernière. Les marchés asiatiques représentent globalement 31 % du marché boursier mondial, contre 32 % pour les États-Unis et 25 % pour l’Europe. L’an dernier, la Chine a ravi à l’Allemagne le titre de premier exportateur. En termes de capitalisation boursière, les banques chinoises sont désormais parmi les plus puissantes au monde.
D’un côté, les Américains multipliant les crédits. De l’autre, des Chinois accumulant les excédents de devises.
Les chiffres des importations sont tout aussi éloquents : les pays émergents sont devenus le moteur de l’économie mondiale. La Chine domine le monde et vient même de conquérir aux dépens des États-Unis la première place sur le marché de l’automobile. Son insatiable appétit pour les matières premières dessine de nouvelles voies commerciales, notamment vers les pays émergents comme le Brésil. Autrefois réputée pour son instabilité, l’Amérique latine est quant à elle sortie quasi indemne de la crise : la pauvreté recule, la classe moyenne se développe et le marché des capitaux bouillonne.
Condoleezza Rice, qui fut secrétaire d’État et conseillère à la sécurité de George W. Bush, évoquait naguère la multipolarité comme une théorie de la rivalité. Ou comme un mal nécessaire. En termes économiques, la multipolarité se traduit par la mise en place d’un nouvel ordre dans lequel l’interdépendance est la norme. Tout en demeurant très puissants, les États-Unis n’y jouent plus un rôle hégémonique.
Pour en revenir à l’héritage du 11 Septembre, l’économiste Gerard Lyons estime que les trois mots les plus importants de la décennie écoulée n’ont pas été « war against terrorism », mais « made in China ». Il ajoute que les trois mots les plus importants de la décennie en cours ont toutes chances d’être « owned by China ». Autrement dit : propriété de la Chine.
© Financial Times et Jeune Afrique 2011
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