Maroc : une élection nommée désir
Au terme d’âpres négociations, un consensus a été trouvé sur la loi devant régir la nouvelle organisation des pouvoirs après les élections législatives marocaines du 25 novembre. Mais des pommes de discorde demeurent.
Dans le sillage du Printemps arabe, qui a soulevé dans tout le Maghreb une immense vague d’espoir, les législatives marocaines, prévues le 25 novembre, suscitent de grandes attentes. Souhaitées par Mohammed VI, ces élections anticipées doivent permettre d’adopter au plus vite les réformes constitutionnelles et de donner un nouvel élan à la vie politique. « Tout le monde – gouvernement, Parlement, partis, citoyens, acteurs associatifs et médias – se trouve face à un véritable test qui impose à chacun de prendre ses responsabilités historiques », a rappelé Mohammed VI dans son discours du 20 août. Mais, pour l’instant, rien n’est prêt, et des pommes de discorde demeurent.
La négociation entre le ministère de l’Intérieur et les partis – qui a permis d’aboutir, le 2 septembre, à un consensus sur la loi organique – a été pour le moins laborieuse. Le ministre, Taïeb Cherkaoui, a même menacé d’abandonner le débat et de laisser le Parlement décider. « On a assisté à des négociations de marchands de tapis où chaque parti cherchait d’abord à faire valoir ses intérêts particuliers, déplore le politologue Mohamed Tozy. Ils ne sont pas à la hauteur du moment historique que nous vivons. »
Calendrier serré
Dans ces conditions, difficile de croire que les partis seront capables, en moins de trois mois, de présenter une offre politique crédible, de faire émerger une nouvelle élite et de mener une campagne moderne débarrassée du clientélisme et de la corruption. Car le calendrier est serré. Salaheddine Mezouar, ministre des Finances et patron du Rassemblement national des indépendants (RNI), en sait quelque chose : « Je ne peux pas étudier la loi de finances, dont l’adoption est prévue le 20 octobre, dans un contexte électoral, avec toutes les surenchères politiques possibles et des députés absents pour cause de candidature. » Le gouvernement cherche actuellement une solution pour satisfaire le ministre et repousser le vote d’une loi de finances dont héritera le futur gouvernement.
Pour le Mouvement du 20 février, cette précipitation est d’abord un moyen de faire taire la rue et d’éviter la contagion du Printemps arabe. « Le pouvoir cherche à étouffer notre mouvement. Les élections ne sont qu’une pièce de théâtre, mise en scène par le Makhzen, pour donner au monde occidental l’impression que nous sommes un pays démocratique », proteste Youssef Raissouni, membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH). Au sein du Mouvement, la tendance générale est au boycott. « Ces législatives s’inscrivent dans le cadre d’une Constitution que nous avons rejetée, parce qu’elle entérine l’existence d’un régime despotique, rappelle Youssef Raissouni. Notre domaine, c’est la rue ; et notre objectif, c’est de mobiliser les masses. »
« Le Mouvement est un conglomérat dont les membres ont des agendas et des intérêts divergents, tempère Mohamed Tozy. Mais il pourrait avoir un rôle de veille et prendre le pouvoir au mot en le mettant face à ses promesses. » D’autant que certains activistes sont prêts à jouer le jeu et envisagent d’être candidats, au risque de se voir accusés d’opportunisme. « À Rabat et à Tanger notamment, des militants nous ont contactés, car ils considèrent que la rue n’est pas le seul moyen d’agir », assure Ali El Yazghi, membre du bureau national des jeunesses de l’Union socialiste des forces populaires (USFP).
Après les révolutions en Tunisie et en Égypte, les jeunes Marocains semblent s’intéresser de nouveau à la politique. Le roi lui-même a consacré une grande partie de son discours du 20 août à la question du renouvellement générationnel. Adeptes du refrain « tous pourris », les jeunes fuient des rendez-vous électoraux où les candidats ne leur ressemblent pas. Car si 70 % des Marocains ont moins de 40 ans, seuls 10 % des députés sont trentenaires, mais ils sont, pour l’essentiel, des fils de notables ou d’hommes d’affaires. D’après une enquête du ministère de la Jeunesse, 69 % des jeunes pensent que « les partis ne font rien » pour eux et 48 % estiment que voter n’est pas une priorité. Face à l’immobilisme des caciques de la classe politique, qui refusent de céder leurs sièges, un mouvement de jeunes, composé de vingt-neuf organisations, a demandé au gouvernement la mise en place d’une liste nationale conjointe réservée aux jeunes et aux femmes.
Pari réussi, puisqu’un projet de loi prévoit la mise en place d’une telle liste, avec 60 femmes et 30 candidats de moins de 40 ans. Une victoire qui laisse un goût amer à certaines féministes, qui avaient obtenu, en 2002, au bout de trente ans de combat, la mise en place d’une liste nationale. « C’est un coup de Trafalgar contre les femmes. Nous n’avons rien contre les jeunes, mais on ne va pas faire des quotas pour compenser les carences des partis. C’est à eux de se prendre en main et de présenter de jeunes candidats », s’insurge Fatiha Layadi, députée du Parti Authenticité et Modernité (PAM). « C’est malheureux, mais absolument nécessaire, assure Ali El Yazghi. Et pour que ce soit un succès, les candidats devront faire leurs preuves en tant que députés et parvenir à changer l’image du Parlement. »
Polémique
Mais le sujet le plus brûlant reste la question de la transparence du scrutin. Les membres du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) s’en sont ouvertement inquiétés, insinuant qu’on pourrait leur barrer la route de la victoire. « Je suis semi-optimiste. Les débats avec l’Intérieur ont été plutôt positifs et constructifs, mais nous voulons la garantie que ces élections seront totalement libres », déclare Mustapha Khalfi, membre du bureau politique. Des doutes qui ont provoqué l’ire du gouvernement et contribué à installer un climat délétère. Dans une tribune, le socialiste Ali Bouabid appelle les autorités à assumer leurs responsabilités. « La révision constitutionnelle […] ne suffira à l’évidence pas à produire la confiance nécessaire. Et ce n’est ni la date du scrutin, ni les textes électoraux préparés en vase clos et dans la précipitation qui vont y œuvrer. »
Certains, cependant, se réjouissent de l’institutionnalisation de la pratique de l’observation, le Conseil de gouvernement ayant adopté, le 2 août, un projet de loi permettant à des instances indépendantes, ONG locales et internationales, de superviser les scrutins. L’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH) devrait d’ailleurs mobiliser une quarantaine de personnes pour l’observation des élections et une centaine pour celle de la campagne dans son ensemble.
Depuis plusieurs semaines, les Marocains assistent à des débats techniques, bien loin de leurs préoccupations quotidiennes, et se demandent quand aura lieu le vrai débat politique. « Pour l’instant, le débat d’idées est très pauvre », s’inquiète le politologue Mohamed Darif, pour qui ces élections seront un succès si et seulement si chaque acteur joue pleinement son rôle. « Les partis politiques, souligne-t-il, doivent faire des propositions concrètes, et les citoyens se responsabiliser et exercer une pression sur les candidats. Quant à l’administration, elle devra adopter une neutralité positive et faire appliquer la loi. » Et ça, ce sera déjà une révolution…
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