Burkina : Blaise ménage ses chefs

Depuis des années, les chefs coutumiers réclamaient une reconnaissance de leur rôle et de leur influence. Aujourd’hui, le président Compaoré envisage de leur donner salaire et statut.

Le Mogho Naba reçoit le nouveau Premier ministre du Burkina, Luc Adolphe Tiao. © gouvernement.gov.bf

Le Mogho Naba reçoit le nouveau Premier ministre du Burkina, Luc Adolphe Tiao. © gouvernement.gov.bf

Publié le 20 septembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Victor Tiendrébéogo est un personnage hétéroclite. Banquier de formation, il est devenu le chantre, ces dernières années, de la culture du jatropha. Mais au Burkina, c’est surtout pour sa double casquette d’homme politique et de chef coutumier qu’il est connu. « Normal. C’est le symbole de la frontière de plus en plus étroite qui sépare la chefferie traditionnelle de la politique », résume un journaliste.

Son emploi du temps d’homme public, Tiendrébéogo, 51 ans, le partage entre l’Assemblée nationale, où il représente de manière ininterrompue depuis 1992 la province de Kadiogo, et sa résidence coutumière, un véritable palais orné de gravures à la gloire de ses ancêtres situé à Larlin, un quartier de Ouagadougou. Des visiteurs d’un soir disent avoir été ébahis par les multiples objets rappelant les rites anciens et amusés par la vision d’un parasol aux couleurs du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir). Côté pile, Tiendrébéogo est un membre important du parti de Blaise Compaoré. Côté face, il est, depuis vingt ans, le Larlé Naba, un des plus hauts dignitaires du royaume mossi de Ouagadougou – et un proche collaborateur du Mogho Naba, le roi Naba Baongo II.

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Depuis des années, Tiendrébéogo militait pour que les « bonnets rouges » (surnom donné aux chefs coutumiers en raison du couvre-chef qu’ils arborent) obtiennent un statut officiel – en clair, une rémunération pour le rôle qu’ils jouent dans la communauté. Pendant trois semaines, en juin et juillet, le Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP, lire encadré) s’est penché sur la question et a tranché en faveur de cette proposition.

Du pain sur la planche

Les soixante-huit membres du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP), issus du parti au pouvoir, de l’opposition (dont une partie a boycotté les débats), de la société civile et des autorités religieuses et coutumières, se sont entendus sur plusieurs réformes : outre la constitutionnalisation des chefs coutumiers, ils prônent la création d’un Sénat, l’investiture du Premier ministre par le Parlement, qui pourra lui opposer une motion de défiance, le plafonnement des dépenses électorales… En revanche, aucun consensus n’a été trouvé sur l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels – et interdit pour l’heure à Compaoré de se représenter en 2015. Précision de taille : le gouvernement est libre de suivre ou de ne pas suivre les avis du CCRP.

Privilèges

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Augustin Loada a participé aux débats. Pour ce juriste, directeur du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), une ONG, il est temps d’agir. « Dès 1958, la question était posée, rappelle-t-il. Les Mossis souhaitaient que leur rôle soit clarifié dans le futur État en gestation. » Mise à mal par le régime de Maurice Yaméogo (1959-1966) et par la révolution sankariste (1983-1987), la chefferie traditionnelle a été remise au goût du jour par Blaise Compaoré, qui « l’a réhabilitée » en « rétablissant les privilèges de manière informelle », indique Augustin Loada.

Aujourd’hui, l’opposition a beau jeu de crier à l’instrumentalisation, Compaoré peut compter sur le soutien de nombreux rois et chefs de cantons mossis (dont les sujets représentent 52 % des Burkinabè), à commencer par le plus puissant d’entre eux, le Mogho Naba. Un de ses conseillers l’admet, et rappelle que ce soutien est loin d’être négligeable : « Au Burkina, surtout à la campagne, et surtout dans le royaume mossi, les chefs coutumiers conservent un vrai pouvoir. Ils peuvent donc faire gagner ou faire perdre une élection. » Selon un sondage réalisé en 2008 par le CGD auprès de 1 200 personnes, « il apparaît que la confiance de la population envers l’institution traditionnelle est plus grande qu’envers les institutions modernes ».

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Le problème, c’est que les « bonnets rouges » sont de plus en plus souvent au cœur de la bataille électorale. On ne compte plus les hommes qui jonglent avec leur statut de chef coutumier d’un côté et un mandat électif de l’autre. Certains sont de simples conseillers municipaux, d’autres sont des maires, et une minorité siègent à l’Assemblée nationale. On y trouve, outre le Larlé Naba, le roi du Gulmu, élu en 2007 sous la bannière de l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africaine (AFD/RDA), et le 31e roi de Boussouma, député aux couleurs du Parti pour la démocratie et le progrès/Parti socialiste (PDP/PS) de feu Joseph Ki-Zerbo.

Intrusions en politique

Au Burkina, ces intrusions des garants de la tradition dans la vie publique irritent. D’abord parce qu’elles faussent le jeu démocratique. « Un chef traditionnel qui se présente à une élection a forcément plus de chances de l’emporter, de par son aura », convient un proche du Mogho Naba. Ensuite parce qu’elles mettent à mal l’indépendance dont doivent faire preuve les chefs. « Ils ne sont plus perçus comme les chefs de tout le village ou de tout le canton, mais comme les représentants de tel parti », note un journaliste.

Selon Augustin Loada, conforté par le sondage de 2008 (une majorité des personnes interrogées estimaient que leurs chefs ne devaient pas s’affilier à un parti), il est urgent de leur interdire de se présenter et de leur accorder une contrepartie sonnante et trébuchante. « S’ils veulent faire de la politique, ils devront démissionner de leur chefferie », prône-t-il. Le CCRP a d’ailleurs tranché en ce sens. Mais sera-t-il entendu ?

Les principaux intéressés ne sont pas tous sur la même longueur d’onde. « La plupart réclament ce statut », affirme Titinga Frédéric Pacere, spécialiste du royaume mossi. D’autres, comme le roi de Boussouma, le rejettent au nom de l’indépendance. « À l’époque coloniale, on avait certains avantages et un certain prestige, mais on était à la merci du patron qui pouvait nous révoquer sous n’importe quel prétexte », expliquait-il en 2008.

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