Fouad Boussouf, danseur épicé
Né au Maroc, le chorégraphe pédagogue de la compagnie hip-hop Massala prêche le dialogue avec le public… et entre les deux rives de la Méditerranée.
Par la fenêtre de l’Hôtel du Nord, Fouad Boussouf regarde le ballet urbain qu’improvisent les Parisiens. Y puisera-t-il le suc de son prochain spectacle ? À condition, Zoom, Déviation : depuis une décennie, ce jeune homme de 35 ans, chorégraphe de la compagnie hip-hop Massala, jette un regard singulier sur le monde qui l’entoure : « Je pars du concret pour aller vers l’abstrait. Chaque création se nourrit de faits qui me questionnent. » Parmi ces faits : les émeutes des banlieues françaises, en novembre 2005, ou encore les questions liées à l’intégration.
La sienne se fit sans encombre. S’il garde de son enfance marocaine pléthore de souvenirs familiaux baignés de soleil et de senteurs, son arrivée à l’âge de 7 ans dans l’Hexagone se déroule dans la plus grande sérénité. À l’époque, un certain Michael J. terrorisait les téléspectateurs en dansant sur un Thriller d’anthologie pendant que, sur TF1, Sidney faisait « breaker » des jeunes découvrant une drôle de danse : le hip-hop.
Accompagné de deux potes, le jeune Fouad Boussouf se jette à corps perdu dans le street art. Un coin de bitume et un bout de carton font alors l’affaire. L’apprentissage est âpre mais payant ; très vite, le petit collectif remporte de nombreux concours. Le temps de la professionnalisation sonnant, c’est dans le Paris des centres de formation à la danse contemporaine que Boussouf se perfectionne. « La danse, les répétitions, les concours n’ont jamais été officiels, jusqu’au jour où un journal local a fait paraître un article sur mon travail avec ma photo. J’y ai gagné une certaine forme d’estime », se souvient le jeune chorégraphe, qui, pour rassurer un entourage inquiet de le voir embrasser une carrière « atypique », décroche un DESS en ingénierie de la formation. Il soutient même un mémoire intitulé « La danse hip-hop : vecteur d’intégration sociale ou repli identitaire? »
Aujourd’hui, à l’heure où le hip-hop intègre des réseaux de diffusion toujours plus étatiques, Fouad Boussouf poursuit son objectif originel : le dialogue avec le public. « C’est un devoir. Être d’accord ou pas n’est pas grave, il faut discuter avec son prochain, produire sainement de la pensée », dit-il. Depuis 2001, année de la création de sa compagnie, qui porte le nom d’un mélange d’épices indiennes, le chorégraphe-pédagogue diffuse son hip-hop hybride dans toute l’Île-de-France, cherchant coûte que coûte à sensibiliser les publics à ce parent pauvre des arts vivants : « Je me suis toujours demandé pourquoi les spectacles de danse contemporaine sont boudés dans certaines banlieues. Pour contrecarrer ce constat, Déviation s’est déplacé, in situ et gratuitement. » Ce spectacle met en scène quatre danseurs autour d’une voiture, symbole d’évasion trop souvent cramé dans les cités. Un acte pyromane qui interpelle le chorégraphe : « Pourquoi les jeunes brûlent-ils cet outil qui leur permet de s’extraire de la cité ? J’apparente cela à un suicide collectif…»
Après un été à écumer les festivals, la compagnie s’affaire aujourd’hui sur une nouvelle création, avec pour point de mire la culture arabe. « L’histoire mouvementée de cette région du monde m’interpelle. Teintée de nostalgie, la musique de mon enfance me renvoie à cet imaginaire arabe, construit de souvenirs aussi doux qu’innocents, en contraste avec mon adolescence, rythmée par la musique américaine et la danse hip-hop. Cette dualité reflète une apparente contradiction culturelle : l’une perçue comme traditionaliste mais passéiste et l’autre considérée comme progressiste mais décadente. Je souhaite tirer le meilleur de ces deux cultures qui m’habitent. » Comme de nombreux chorégraphes d’origine maghrébine, Fouad Boussouf veut créer des liens entre la France et cette Afrique bousculée par un Printemps arabe salvateur pour la liberté d’expression.
Intarissable et bienveillant quand il évoque son pays d’origine, Fouad Boussouf analyse ainsi la tourmente actuelle : « C’est une réelle avancée pour le monde arabe. Le peuple mérite qu’on s’intéresse à sa richesse culturelle, souvent éclipsée par le religieux et le politique dans les médias occidentaux… Le Maroc, c’est un pays qui, à mon sens, évolue très vite pour une certaine catégorie de personnes et beaucoup moins pour d’autres. Il va s’agir de trouver un équilibre. »
Pour le jeune artiste, le moment est venu de « faire danser, ensemble, entre musique électronique et instrumentale, sonorités arabo-andalouses et break beat », les deux côtés de la Méditerranée. Contemplant le ballet impromptu des Parisiens, l’insatiable voyageur songe déjà à son prochain spectacle. Épicé, métissé… forcément.
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