Côte d’Ivoire : Ouattara, cent jours après

À peine plus de trois mois qu’il a été investi, mais le temps presse pour Alassane Ouattara : épuisé par la crise postélectorale, la Côte d’ivoire est à reconstruire, la sécurité à ramener. Et les forces armées à remettre au pas.

Défilé lors de la cérémonie du 51ème anniversaire de l’indépendance, le 7 août, à Abidjan. © Issouf Sanogo/AFP

Défilé lors de la cérémonie du 51ème anniversaire de l’indépendance, le 7 août, à Abidjan. © Issouf Sanogo/AFP

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Publié le 13 septembre 2011 Lecture : 11 minutes.

Dans le quartier d’Adjamé, à Abidjan, les trottoirs du boulevard Nangui-Abrogoua ont été débarrassés de leurs immondices. Pistolet sur la hanche, un homme en treillis monte la garde devant un magasin d’électroménager du Forum des marchés. Un peu plus loin, des policiers, impeccables dans leur uniforme kaki, font la circulation pour éviter un engorgement du carrefour emprunté par des fonctionnaires pressés d’arriver avant 7 h 30 à leurs bureaux du Plateau. La scène paraît banale en Côte d’Ivoire, mais, quelques mois plus tôt, l’endroit était encore jonché de détritus et surveillé par des miliciens prompts à racketter les automobilistes. Bienvenue dans la capitale économique ivoirienne, cent jours après l’investiture du président Alassane Ouattara.

Le 21 mai dernier, alors que le nouveau chef de l’État prêtait serment à Yamoussoukro, personne ne doutait qu’il était face à une situation inédite. Cinq mois de crise postélectorale avaient profondément affecté le pays. Administration disloquée, système bancaire paralysé, graves problèmes de sécurité, infrastructures publiques saccagées, régies financières vides… La Côte d’Ivoire était à l’image du palais présidentiel : partiellement détruite et avec un besoin urgent de réhabilitation. Le maçon est aujourd’hui au pied du mur.

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Politique : main de fer, gant de velours

Alassane Ouattara voulait une équipe solide pour régler des problèmes aussi nombreux que difficiles, mais la répartition des portefeuilles ministériels, rendue publique le 1er juin, a fait des déçus jusque dans les rangs de la coalition qui l’a porté au pouvoir : le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). La presse proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié) s’est inquiétée du nombre de postes confiés à des membres du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Amer, le plus petit des partis du RHDP, le Mouvement des forces d’avenir (MFA) d’Innocent Anaky Kobena, a critiqué la domination des cadres du Nord dans le gouvernement, où le Front populaire ivoirien (FPI, ancien parti au pouvoir) n’a pas souhaité siéger. Début de crise désamorcé par le chef de l’État, qui s’est rendu, mi-juin, à Daoukro pour s’entretenir avec Bédié, qui est aussi le président de la conférence des présidents du RHDP.

En sous-main, ce qui se négocie depuis quelques semaines, ce sont bien les législatives.

Mais en sous-main, ce qui se négocie, ce sont bien les élections législatives, qui devraient avoir lieu avant la fin de l’année. Le FPI, occupé à se battre pour une hypothétique libération de Laurent Gbagbo, n’a pas commencé à préparer ses troupes, mais Liberté et démocratie pour la République (Lider), le parti de Mamadou Koulibaly, ex-FPI et président de l’Assemblée nationale, va présenter des candidats. Il y a par ailleurs fort à parier que le PDCI et le RDR, les deux poids lourds du RHDP, iront en rangs dispersés. Enfin, le sort de Guillaume Soro alimente, lui aussi, les spéculations. Certains de ses proches assurent qu’il s’apprête à quitter la primature pour laisser la place à un cadre du PDCI, comme convenu avant le second tour de la présidentielle. D’autres qu’il devrait être candidat à Ferkessédougou, sa ville natale, située dans le Nord, et qu’il vise le perchoir. Le plus probable étant tout de même qu’il conserve son poste encore quelques mois : il donne satisfaction et demeure indispensable pour « tenir » les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).

La Commission électorale indépendante (CEI) a besoin de 8 milliards de F CFA (12,2 millions d’euros) pour organiser les élections. Son président, Youssouf Bakayoko, doit rapidement proposer une nouvelle liste électorale intégrant les nouveaux majeurs et ceux qui figuraient sur la « liste grise » (les informations qu’ils avaient données n’ayant pas pu être vérifiées, ils n’avaient pas obtenu de carte d’électeur pour la présidentielle).

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Reste Alassane Ouattara. Depuis le premier Conseil des ministres, qui s’est tenu le 4 juin, le chef de l’État s’est montré ponctuel, soucieux du détail et ouvert aux observations. « On sent, chez Ouattara et son gouvernement, une volonté de travailler », affirme Doumbia Major, président du Congrès panafricain pour le renouveau démocratique (CPR, proche de Ouattara). Le chef de l’État se montre ferme avec ses collaborateurs. Le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, arrivé avec cinq minutes de retard en Conseil des ministres, en a pris pour son grade (même s’il reste très proche du président). Le message est passé. Certains ministres et directeurs généraux éprouvent presque de la crainte devant le nouvel homme fort du pays.

Voilà pour la méthode. Les ministres, eux, se sont attelés à reconstituer les mémoires saccagées de leur administration, tout en tenant à distance les anciens pro-Gbagbo, qui pourraient saper leur action. Bruno Koné, le porte-parole du gouvernement, chargé de la Poste, des Technologies de l’information et de la communication (TIC), dit avoir mis au moins un mois à retrouver une équipe opérationnelle. Gnamien Konan, à la tête de la Fonction publique, a joué de fermeté pour remettre les fonctionnaires au travail, et obtenu – à la surprise générale – qu’ils commencent leur journée à 7 h 30. « C’est un miracle, se réjouit un homme d’affaires ivoirien. Auparavant, pour trouver un fonctionnaire dans son bureau, il fallait attendre 10 heures. »

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Ouattara a dit vouloir des « institutions fortes et indépendantes ». Il a pris soin de remplacer les personnalités réputées proches de Gbagbo. Ainsi Marcel Zadi Kessy et Francis Wodié ont été nommés respectivement à la tête du Conseil économique et social et à celle du Conseil constitutionnel. Mais certains pouvoirs peinent à s’affranchir de la tutelle de l’exécutif. L’appareil judiciaire tarde ainsi à être réformé et est soupçonné d’appliquer une justice des vainqueurs : les 128 civils et militaires inculpés jusqu’à présent dans le cadre des enquêtes sur les violences postélectorales appartiennent tous au camp Gbagbo. De quoi compliquer la tâche de Charles Konan Banny, nommé début mai à la tête d’une Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation qui n’a toujours pas été officiellement installée.

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Sécurité : le casse-tête

Le dossier brûlant du moment. Avec son Premier ministre, Ouattara évoque régulièrement le cas de ces 10 000 anciens combattants qu’il faut démobiliser. Il s’est évertué, ces dernières semaines, à jeter les bases de la nouvelle armée et à ramener la sécurité en Côte d’Ivoire. Le général Soumaïla Bakayoko, jusque-là à la tête des FRCI, a été fait chef d’état-major, et Ouattara a su nommer à la tête des unités et des camps militaires à la fois des ex-FAFN (Forces armées des Forces nouvelles) et des ex-FDS (Forces de défense et de sécurité, sous Laurent Gbagbo).

À Abidjan, les commissariats et brigades de gendarmerie, occupés par les FRCI, ont été rétrocédés (non sans difficulté, il est vrai) aux policiers et aux gendarmes. Mais les mêmes FRCI font toujours la loi dans le reste du pays. Le processus se complique encore dans l’Ouest, terreau des milices favorables à l’ancien président, et la porosité de la frontière avec le Liberia n’arrange rien. L’Organisation des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) y a d’ailleurs installé huit nouvelles bases courant juillet. Pas de réelle amélioration dans le Nord non plus. « Ici, c’est le statu quo, résume un journaliste de Bouaké. Les dix comzones, qui ont acquis de nouvelles responsabilités dans le Sud, règnent en maîtres. Leurs hommes continuent de tout contrôler en dépit de la dissolution officielle de la centrale, la caisse noire des FN. » Récemment, des camionneurs ont observé un arrêt de travail à Bouna pour protester contre les taxes officiellement supprimées mais toujours prélevées par les hommes du commandant Morou Ouattara.

Rien qu’au mois de juillet, l’Onuci a dénombré 28 exécutions  sommaires.

D’une manière générale, la sécurité est loin d’être revenue sur l’ensemble du territoire ivoirien. « C’est véritablement le talon d’Achille de Ouattara, observe un responsable de l’Onuci. Le président est face à un dilemme : il ne doit pas se mettre à dos les ex-FAFN, dont les méthodes sont expéditives, mais il doit agir contre elles, et vite, pour ne pas subir le courroux de la population. » Rien qu’en juillet, l’Onuci a dénombré 28 exécutions sommaires, « la plupart commises par les FRCI », selon Guillaume Nguefa, responsable de la division des droits de l’homme de l’Onuci.

Et puis il y a la propre sécurité d’Alassane Ouattara. La résidence présidentielle de Cocody, détruite par les bombardements, n’est pas encore habitable. Le chef de l’État a donc entrepris quelques travaux pour sécuriser son domicile, installé non loin du Golf Hôtel : clôtures plus hautes, maison mitoyenne annexée, route bloquée, et des Casques bleus et des FRCI pour monter la garde.

Diplomatie : Côte d’Ivoire is back

« Alassane Ouattara a très vite opté pour la diplomatie de proximité, qui est en réalité la diplomatie sécuritaire », souligne Émile Kouassi, diplomate ivoirien, spécialiste de la coopération au développement. De fait, il a beaucoup voyagé. Le 12 mai, il était au Sénégal chez son « père spirituel », Abdoulaye Wade, qui l’a soutenu contre Laurent Gbagbo. Quatre jours plus tard, direction Ouagadougou chez son « frère », Blaise Compaoré, puis Monrovia, le 16 juillet, pour rencontrer Ellen Johnson-Sirleaf. Le 1er août, enfin, il était au Nigeria chez Goodluck Jonathan. Objectifs de ces voyages à répétition : rétablir les relations de confiance entre la Côte d’Ivoire et ses voisins, et remercier ceux qui ont pris fait et cause pour lui pendant la crise. Mission accomplie. Ouattara a même réussi à rallier à sa cause le Ghanéen John Atta-Mills, soutien traditionnel de Laurent Gbagbo, qui était lui aussi à Yamoussoukro le 21 mai. Atta-Mills a joué un rôle décisif dans le retour en Côte d’Ivoire d’officiers favorables au président déchu qui, comme le colonel-major Boniface Konan, avaient trouvé refuge à Accra. Ouattara lui a demandé de garder un œil sur les 3 000 soldats pro-Gbagbo qui, pour la plupart, sont au Ghana et que la presse ivoirienne accuse régulièrement de fomenter des coups d’État.

Le président ivoirien a pardonné à l’Union africaine (UA) ses hésitations à trancher en sa faveur. Fin juin, il a été l’une des « stars » du sommet organisé à Malabo (Guinée équatoriale). Les tractations en vue de la normalisation des relations avec le Sud-Africain Jacob Zuma et l’Angolais José Eduardo dos Santos, soutiens affichés de Laurent Gbagbo, sont en cours. Petit nuage dans le ciel bleu des succès diplomatiques : le malaise croissant entre l’Onuci et des organisations internationales de défense des droits de l’homme d’une part, et le gouvernement de l’autre. Au centre de la tourmente : les exactions répétées et le racket auquel se livrent encore des éléments des FRCI. Interrogé, le ministre des Droits de l’homme, Gnénéma Coulibaly, ne cache pas son agacement face aux accusations : « Nous ne sommes pas dans une situation normale ou totalement normalisée. Ceux qui portent des treillis ne sont pas tous des FRCI, tout comme tous les corps retrouvés ne sont pas des victimes des FRCI. Il faut traiter avec beaucoup plus de prudence ces accusations. »

Économie : du carburant pour relancer la machine

La fine pluie de 360 milliards de F CFA (près de 550 millions d’euros) tombée du ciel français et européen après la chute de Laurent Gbagbo a permis de financer des projets urgents : enlèvement des ordures ménagères, réhabilitation des routes, gratuité de certains soins médicaux, paiement d’une partie de la dette intérieure… Les fonctionnaires, qui cumulaient des arriérés de salaire, ont pu être payés ; l’électricité et l’eau courante ont été rétablies dans certains quartiers d’Abidjan. La levée des sanctions de l’Union européenne (UE) a permis d’oxygéner des entreprises au bord de l’asphyxie. Et puis une bonne surprise en matière de recettes fiscales : l’État, qui ne pensait pouvoir tabler que sur 213 milliards de F CFA, a finalement pu mobiliser 284 milliards de F CFA au deuxième trimestre de cette année. Une performance obtenue notamment grâce aux efforts de l’équipe emmenée par Charles Diby Koffi, ministre de l’Économie et des Finances.

Madani Tall, directeur des opérations à la Banque mondiale, estime que « les faits sont là pour rappeler à tous ceux qui ont foi en la Côte d’Ivoire que l’espoir n’est pas mort ». Pour sortir le pays de la récession (– 7 % au premier trimestre 2011), Ouattara a présenté sa feuille de route : exonération de 32 milliards de F CFA d’impôts au bénéfice du privé ; aide aux petites et moyennes entreprises à hauteur de 40 milliards de F CFA et création de un million d’emplois en cinq ans. Résultat : même si les investisseurs hésitent encore à s’engager, plusieurs entreprises occidentales ont mené des missions d’exploration dans le pays. Les grands bailleurs de fonds internationaux ont tous recommencé à aider la Côte d’Ivoire, et les efforts croisés devraient permettre au pays d’atteindre le point d’achèvement de l’Initiative des pays pauvres très endettés (PPTE) dès mi-2012.

Au chevet de la Côte d’Ivoire

Aides ou promesses d’aide :

Agence Française de développement : 262 milliards de F CFA

Union Européenne : 82 milliards de F CFA

Fonds monétaire international 67.5 milliards de F CFA

Banque Africaine de développement et Banque mondiale : 67.5

En attendant, certains projets emblématiques, comme la construction du troisième pont à Abidjan, devraient débuter avant la fin de l’année, tandis que ceux lancés par Laurent Gbagbo (comme la construction d’un Sénat, qui n’existe pourtant pas dans la Constitution ivoirienne, ou la construction d’un palais présidentiel à Yamoussoukro) ont été stoppés. Symbolique également, la fermeture pour réhabilitation des cités et campus universitaires, temples de la très gbagboïste Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), et l’interdiction des syndicats d’élèves.

Cinq mois après la chute de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire est au milieu du gué. L’administration est retournée au travail, l’activité économique a repris et la situation sécuritaire s’est, par endroits, améliorée. Mais dans le même temps, des nominations à la tête de l’État et des entreprises publiques ont été faites sur la base du remerciement partisan et hypothèquent pour l’instant les chances d’une réconciliation sincère. Au final, la Côte d’Ivoire espère la fin de l’impunité dont jouissent les FRCI mais redoute que, à l’approche des législatives, le climat politique dégénère de nouveau.

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André Silver Konan, à Abidjan

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