Libye : les nouvelles autorités au pied du mur

La victoire acquise, le Conseil national de transition (CNT) s’efforce d’asseoir son pouvoir sur les différents groupes d’insurgés libyens. Sa feuille de route : réconciliation, stabilité et démocratie.

A Tripoli, la place verte est devenue celle des « martyrs ». © SIPA

A Tripoli, la place verte est devenue celle des « martyrs ». © SIPA

Publié le 7 septembre 2011 Lecture : 6 minutes.

Ils sont le nouveau visage de la Libye. Et ont tout à prouver en très peu de temps. La quarantaine de membres du Conseil national de transition (CNT) ne s’est donné que huit mois pour remettre le pays sur les rails selon la feuille de route présentée mi-août depuis Benghazi. Les 7 000 frappes aériennes de l’Otan ont été essentielles à la victoire, la coalition internationale est au chevet de la transition, mais les rebelles sont à présent face à leurs responsabilités.

Mustapha Abdeljalil, le "libérateur"

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Cette structure constituée, voire improvisée, fin février pour offrir au plus vite un débouché politique à l’insurrection est au pied du mur. « Nous savons très bien que nous manquons d’institutions et que nous partons de zéro, mais grâce à l’aide de tout le monde, nous ferons de notre mieux », assure Mahmoud Chamman, l’un des porte-parole du CNT. À la manœuvre, Mustapha Abdeljalil, le président du CNT. Il représente la quintessence d’une Libye majoritairement conservatrice et pieuse.

Ministre de la Justice sous Kadhafi à partir de 2007, cet ancien président de la cour d’appel a eu le courage, à plusieurs reprises, de critiquer les abus du régime. Il a notamment dénoncé le maintien en détention de centaines de prisonniers politiques embastillés dans la sinistre prison d’Abou Salim, le cachot de la Jamahiriya. Bref, cet homme, bien qu’aux affaires durant la parodie de justice sur le dossier des infirmières bulgares, était un modéré. Kadhafi, qui a refusé sa démission en janvier 2010, le savait. Et c’est lui qu’il envoie, à Benghazi, quatre jours après les premières manifestations du 15 février. Mais au lieu de convaincre les insurgés de rentrer à la maison, ce natif de Beida (dans l’est du pays), qui retrouve ses frères de la Cyrénaïque, fait défection et rejoint la « révolution du 17 février ». Benghazi devient le bastion de la résistance. Objectif : libérer le pays. Mission réussie.

Éviter la somalisation du pays

À 59 ans, Abdeljalil est donc un « libérateur », mais aussi le « sage » capable de se placer au-dessus de la mêlée. Conservateur, il rassure les composantes islamistes de la rébellion. Transfuge du régime déchu, il est à même d’assurer une certaine forme de continuité pour éviter le pire : la somalisation du pays. Il fait ainsi figure de garantie pour encadrer une transition à haut risque et mener les Libyens vers la liberté. « Nous voulons un gouvernement démocratique, une Constitution honnête, et nous voulons être ouverts au monde et non plus isolés comme c’était le cas », promet-il.

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À ses côtés, Mahmoud Djibril, lui aussi de l’Est, est le président du Conseil exécutif du CNT. Une sorte de Premier ministre à qui on a ajouté le portefeuille des Affaires étrangères. Cinquante-neuf ans, diplômé en sciences politiques, ancien enseignant à l’université américaine de Pittsburgh, Djibril gère les affaires courantes dans les zones libérées et voyage à l’étranger. Beaucoup. Sa mission : obtenir la reconnaissance des capitales étrangères et des soutiens financiers, notamment le dégel des avoirs libyens bloqués à l’étranger depuis février et mars (voir p. 31). « Il est très apprécié par la coalition, qui l’appuie et fait tout pour qu’il monte en puissance », reconnaît un haut fonctionnaire français. Ce technocrate libéral a été adoubé par l’Otan. À Abdeljalil la synthèse nationale, à Djibril la communauté internationale. Ces deux-là sont complémentaires. Avec eux : Ali Tarhouni, ex-professeur d’économie à l’université de Seattle (États-Unis), est le Monsieur Pétrole ; après vingt-quatre années d’exil aux États-Unis, Khalifa Hifter fait office de chef d’état-major de la nébuleuse militaire rebelle ; et l’avocat de formation qui a notamment défendu les familles de détenus d’Abou Salim, Abdel Hafiz Ghoga, vice-président et porte-parole du CNT, doit jeter les bases démocratiques de la future Libye.

Abdelhakim Belhadj, du Djihad à la révolution

Il a été le premier avec sa brigade à entrer dans Tripoli puis dans Bab el-Azizia, la citadelle de Kadhafi, entre le 21 et le 23 août. Abdelhakim Belhadj, 44 ans, est devenu le président du conseil militaire des révolutionnaires de Tripoli. Un héros. Cet ingénieur civil a émigré en Afghanistan en 1988, où il rejoint les moudjahidine en lutte contre les Soviétiques. La guerre finie, on le retrouve ensuite au Pakistan, en Turquie, puis au Soudan. Il est l’un des fondateurs du Groupe islamique libyen pour le combat (GILC) en 1995. Emprisonné en Malaisie en 2004, il est transféré en Thaïlande pour y être interrogé par la CIA, qui le livre, la même année, à Kadhafi. Après des négociations avec Seif el-Islam Kadhafi, les djihadistes emprisonnés, estimés à 1 800, révisent leurs conceptions idéologiques et sont libérés en 2009, sauf une dizaine de leurs chefs, dont Belhadj, qui ne le seront qu’en mars 2010. Une fois l’insurrection lancée depuis Benghazi, Belhadj et bien d’autres vont parfaire leur expérience militaire au Qatar et aux Émirats. Selon les experts, la campagne aérienne de l’Otan n’aurait pas atteint ses objectifs sans le combat au sol de ces unités rebelles endurcies.

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Leur principal défi : conjurer les risques de partition d’un pays morcelé en tribus et divisé en deux grandes entités – la Tripolitaine dans l’Ouest, choyée pendant quarante-deux ans par Kadhafi, et la rebelle Cyrénaïque dans l’Est. Leur atout : la résurgence d’un « patriotisme » libyen depuis février. Par ailleurs, si le tribalisme demeure une réalité, les appartenances communautaires sont moins figées qu’il n’y paraît, par le jeu des alliances et parentés familiales. Aux nouvelles autorités de savoir rassembler, mais les possibilités d’un consensus national existent. Un risque toutefois, que les derniers partisans de Kadhafi exacerbent les rivalités tribales et sanctuarisent la région de Sebha – l’un des fiefs des Gueddafa – pour en faire le foyer de la contre-insurrection.

Construire

Dans les territoires libérés, le chantier est immense. La société civile est embryonnaire et les institutions politiques sont quasi inexistantes. Les partis d’opposition contraints à l’exil, rentrés au pays, sont encore divisés et atomisés. Seuls les mouvements islamistes, réprimés sous Kadhafi, font figure d’exception en étant les mieux organisés. Le plus important est celui des Frères musulmans. Mais il y a également les salafistes. Certains sont des djihadistes qui ont combattu en Afghanistan et parfois en Irak. Outre leur chef, dont le rôle a été essentiel dans la prise de Tripoli, Abdelhakim Belhadj (voir encadré), citons également Mehdi Harrati, un Libyen vivant depuis vingt ans en Irlande et qui a rejoint les rebelles en février. Auréolés de leur victoire, vont-ils être tentés de poursuivre le djihad, ou, tout du moins, réclamer leur part de l’héritage révolutionnaire ? « Ils se sont engagés à déposer les armes lorsque le pays sera entièrement libéré […], l’accord a été entériné il y a trois mois », assure le CNT. « Il n’existe aucune preuve d’une affiliation à Al-Qaïda », ajoute Nooman Ben Othman, un spécialiste libyen du djihadisme.

Une nouvelle armée

Autre défi, la constitution d’une nouvelle armée pour rétablir la sécurité. Un peu sur le modèle ivoirien, il va s’agir de trier parmi les insurgés les hommes prêts à servir pour les mêler avec les éléments récupérables des forces de sécurité du régime déchu. Pas simple. Pour ceux qui souhaitent abandonner les armes, des programmes de démobilisation et de réinsertion dans la vie civile sont prévus.

Au volet institutionnel, le CNT s’est engagé à se retirer dans huit mois, après l’élection sous supervision internationale d’une Conférence nationale composée de 200 membres. Ce sera la fin de la période de transition. Une nouvelle Constitution sera alors rédigée puis adoptée par référendum. Viendront ensuite des élections législatives et présidentielle, prévues d’ici à vingt mois. Les Libyens sont décidément appelés à découvrir les secrets de l’isoloir.

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