Syrie : les fronts du refus
Alors que les manifestations contre le régime et la répression se poursuivent, l’opposition tente de s’organiser. Mais ces mouvements hétéroclites et dispersés en sont-ils capables ?
Après cinq mois de révolte, l’opposition présenterait-elle enfin une voix et un front unis ? C’est ce qu’a laissé espérer l’annonce, le 29 août, sur Al-Jazira, de la formation d’un Conseil national de transition (CNT) rassemblant quatre-vingt-douze personnalités de tous bords. « Ce “Conseil de la précipitation” est mort-né », assène Haytham Manna, Syrien exilé en France et porte-parole de la Commission arabe des droits humains, une ONG indépendante.
« Personne ne connaît l’origine de cette annonce et qui se cache derrière. Certains y voient l’œuvre des services de renseignements pour semer la confusion », s’inquiète Samir Aïta, lui aussi syrien et rédacteur en chef des éditions arabes du Monde diplomatique.
Désert politique
Alors qu’à Paris le sociologue Burhan Ghalioun tombe des nues en apprenant qu’il a été désigné président de ce conseil mais en salue l’initiative, en Syrie, Michel Kilo, autre figure éminente de l’opposition, prend ses distances. Cette affaire en dit long sur la difficulté de ces mouvements à s’organiser et à se coordonner… Partis traditionnels et nouvelles formations, opposition de l’intérieur et de l’extérieur, militants et intellectuels indépendants, idéologues et apolitiques : le mouvement est hétérogène et sa ligne, peu cohérente. Seuls points communs, la volonté d’en finir avec le régime, et les « trois non » : non à la violence, au confessionnalisme et à l’intervention militaire étrangère.
Près d’un demi-siècle de monopartisme du Baas a transformé le paysage politique en désert et condamné les opposants au ralliement, à l’exil, à la clandestinité ou à la prison. En 2000, lorsque Bachar al-Assad succède à son père et ouvre une ère de dialogue qualifiée de « printemps de Damas », de timides espoirs se font jour. Mais, sous la houlette d’un aréopage de faucons, le jeune héritier revient vite aux bonnes vieilles méthodes paternelles. En 2005, nouvelle tentative des opposants : la Déclaration de Damas pour une transition démocratique vise à engager un processus de réformes en accord avec le régime. Elle ne provoque que l’arrestation de ses initiateurs.
Méfiance réciproque
À partir de mars 2011, pourtant, la donne change. L’engagement intrépide d’une jeunesse largement apolitique ranime les ardeurs des militants et des intellectuels qui, jusque-là, doutaient que la vague de contestation atteigne la Syrie. À l’instar des autres manifestants du Printemps arabe, ils rejoignent le mouvement, forts de leur détermination, mais faibles de leurs divergences. Comme le déplore Ghalioun, leurs chefs se méfient les uns des autres.
Les conservateurs perçoivent le discours laïc comme antireligieux ; pour la raison inverse, leurs projets sont tenus en suspicion par les partisans d’un État neutre. Les Kurdes (10 % de la population) exigent que la Syrie se définisse comme une nation arabe et kurde, ce que la majorité leur refuse. Les opposants en exil, à qui leurs compatriotes de l’intérieur reprochent de s’être trop longtemps tenus à l’écart et de n’avoir pris aucun risque, craignent de se voir écartés des postes à responsabilité dans la Syrie de demain. Enfin, si tous veulent la chute du régime, certains souhaitent son renversement immédiat tandis que d’autres préfèrent une transition progressive.
Face à ces difficultés, les tentatives de fédérer les oppositions se multiplient. Le 2 juin, à Antalya (Turquie), un premier congrès rassemblant plus de trois cents opposants aboutit à la formation d’un Conseil national multipartite. Suivent les réunions de Damas, de Doha, d’Istanbul et d’Ankara, qui débouchent sur des déclarations de principe vite caduques et voient se multiplier des comités aussi fragiles qu’éphémères.
« L’unité n’a jamais été mécaniquement un élément de progrès et de victoire. Elle doit se réaliser sur la base d’un programme », souligne Haytham Manna. C’est justement ce qu’ambitionne un grand rassemblement prévu à Damas le 16 septembre avec toutes les tendances politiques, de l’intérieur et de l’extérieur. Plus de trois cents militants et intellectuels tenteront de se retrouver pour élaborer un programme de transition et une déclaration de principes supraconstitutionnels posant les bases d’un futur régime.
Bien plus préoccupants que la dispersion de l’opposition, l’islamisation croissante de la rue et le recours aux armes, que certains groupes envisagent désormais, menacent de faire basculer une situation jusque-là sous contrôle. L’échec de cinq mois de résistance pacifique, la rage suscitée par les massacres et l’exemple libyen incitent à la radicalisation du mouvement et à faire appel à une intervention étrangère. Un tel basculement de la révolte viendrait appuyer la théorie assadienne d’un complot ourdi de l’étranger, fournissant un argument supplémentaire au pouvoir et amenant la majorité silencieuse du pays à rejeter le mouvement.
« Maintenant, tout le monde sait que le régime est perdu, souligne Samir Aïta. Il faut une transition pacifique organisée par le pouvoir. Des gens pressés veulent le renverser tout de suite. Mais qui assurera l’ordre ? Et puis, il y a ceux qui défendent l’option armée, très coûteuse en vies et très néfaste pour la souveraineté de la future Syrie. »
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