Algérie, l’impossible consensus

Alors que se profile le cinquantenaire de l’indépendance, en 2012, les plaies de la guerre de libération sont loin d’être refermées. Comme en témoignent les tiraillements qui traversent les nombreux romans et essais présents en librairie.

Détail de la couverture de « Commissaire de police en Algérie ». © DR

Détail de la couverture de « Commissaire de police en Algérie ». © DR

Renaud de Rochebrune

Publié le 30 août 2011 Lecture : 4 minutes.

« L’Algérie, ce n’est pas un pays, c’est une drogue ! » s’exclame l’un des personnages de Hôtel Saint-Georges, livre de l’écrivain algérien Rachid Boudjedra paru récemment chez Grasset. Une drogue, l’Algérie ? C’est bien l’impression que l’on ressent en lisant les romans et essais récents consacrés à la guerre de libération. Tous poussent vers le passionnel et l’excessif, trahissant à la fois une difficulté à accepter la réalité et une tendance à ressasser des souvenirs cauchemardesques, authentiques ou imaginaires. Autant de symptômes bien connus des accros aux drogues dures !

Ouvrez le superbe roman polyphonique de Rachid Boudjedra, dont les nombreux personnages s’apostrophent tour à tour comme dans une ronde endiablée. Que raconte-t-il ? Une Française, Jeanne, débarque à Alger pour y répandre les cendres de son père, qui y exerça pendant la guerre le métier, hélas très prenant, de fabricant de cercueils. Fatigué d’assembler à la chaîne ces coffres de bois destinés aux soldats « européens » tombés sous les balles du FLN, mais aussi aux moudjahidine condamnés à mort, cet ébéniste mélancolique avait développé un rapport passionnel avec son environnement proche et, surtout, avec Nabila, serveuse au célèbre hôtel Saint-Georges, qui domine la ville. En voulant reconstituer le parcours outre-Méditerranée de son géniteur taiseux, Jeanne va, de rencontre en rencontre, bouleverser la vie d’une douzaine d’Algérois en les incitant à revisiter leur passé et celui de leur pays.

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Séquelles

Ainsi apparaît-il que nul n’est sorti indemne d’une guerre atroce commencée non pas en 1954, comme on le croit en général, mais bien avant, sous le joug colonial. Rachid Boudjedra en décrit les séquelles psychologiques et politiques avec lucidité, à travers les personnages hauts en couleur que sont Jean, Nabila, Rac, Kamel, Mic, Zigoto, Leila et les autres. Convoquant à la fois la petite histoire et la grande, il tente de comprendre pourquoi, parfois, souvent, les plaies ne peuvent se refermer. Ancien scénariste du film Chronique des années de braise, du réalisateur Mohamed Lakhdar-Hamina, qui obtint la Palme d’or du Festival de Cannes en 1975, Boudjedra était bien placé pour nous convier, avec son style lapidaire d’une redoutable efficacité, à l’exploration archéologique d’un « passé qui ne passe pas », pour paraphraser l’expression de l’historien français Henry Rousso employée à propos de la France de Vichy.

Un autre roman, signé du Français Antonin Varenne, revient lui aussi sur cette guerre qui continue de hanter douloureusement les jours et les nuits de ceux qui l’ont vécue il y a un demi-siècle. Comme un fantôme indestructible. Le Mur, le Kabyle et le Marin est moins un polar, genre favori de l’auteur, qu’un roman noir comme ceux que savent nous proposer les auteurs américains. Une histoire de vengeance qui remet en jeu les destins de trois hommes nés d’un côté et de l’autre de la Méditerranée : un flic véreux boxeur à ses heures (le Mur, surnommé ainsi parce qu’il sait encaisser les coups), un ancien appelé français contraint de rejoindre l’armée du colonisateur (le Marin) et un Algérien sauvagement torturé pendant la guerre (le Kabyle). Trois hommes qui se rencontrent apparemment par hasard lorsque le premier accepte pour un peu d’argent de « démolir » le portrait du troisième, ancien ami du deuxième, sans savoir qu’il s’agit non pas d’un problème de dette comme annoncé mais d’un sordide règlement de comptes. Trois hommes qui, surtout, vont partir ensemble à la recherche d’un quatrième, autrefois adjudant, partisan actif de la gégène et autres tortures. Dans ce roman radical et bouleversant, quoique non dépourvu d’humour, les personnages restent prisonniers d’un passé algérien qu’ils ne peuvent ni oublier ni assumer. Comment pourrait-on trouver le moyen de prendre de la distance face à l’horreur charriée par le conflit ?

Les chercheurs qui étudient la guerre d’Algérie et ses prémices sans avoir à « gérer » les émotions de personnages semblent, a priori, mieux placés pour nous proposer des récits plus apaisés. À en juger par les dernières productions présentes en librairie, il n’en est rien. Toutes ont pour objectif soit de contredire l’histoire « officielle », soit de mettre à mal des idées reçues, voire des contrevérités. Quelques exemples ? Si l’ancien ministre et universitaire algérien Smaïl Goumeziane, déjà auteur de Fils de novembre, a repris la plume avec Algérie, l’Histoire en héritage, c’est parce que « les Algériens sont toujours dans l’attente d’une histoire qui leur permettrait de comprendre d’où ils viennent, qui ils sont et d’envisager leur avenir sur des bases et des repères objectifs ». Un projet ambitieux qui montre bien à quel point le territoire de la Berbérie, puis de l’Algérie, a souffert depuis deux mille ans des convoitises suscitées par ses richesses. Et Goumeziane n’est pas le seul à ruer dans les brancards.

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Ainsi, l’historienne française Claire Mauss-Copeaux dénonce – témoignages irréfutables à l’appui – la désinformation à laquelle se sont livrés les auteurs des récits les plus communément admis sur les massacres de civils imputés à tort ou à raison aux combattants indépendantistes. Après une remarquable enquête de terrain, elle a focalisé son attention sur l’offensive du FLN dans le Constantinois en août 1955 (Algérie, 20 août 1955), qui marque pour beaucoup le vrai début « militaire » de la guerre d’Algérie. Enfin, paradoxalement, les Mémoires du policier Roger Le Doussal (Commissaire de police en Algérie) permettent, grâce à l’honnêteté et au souci documentaire de leur auteur, d’éclairer la dimension urbaine du conflit en renvoyant dos-à-dos les « terroristes » des deux camps. Ainsi apprend-on que la seule OAS a, en à peine plus d’un an, tué autant de commissaires de police que les combattants indépendantistes pendant la totalité de la guerre !

Le flot d’ouvrages de toutes sortes attendus pour les mois à venir, à l’occasion de la célébration des 50 ans de l’indépendance, ne devrait pas faire cesser les polémiques autour de la guerre, en Algérie comme en France. Le temps du consensus, décidément, n’est pas encore venu. 

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