Inde – Pakistan : les femmes au pouvoir

Alors que la société reste très conservatrice, en Inde et au Pakistan, les femmes sont de plus en plus nombreuses à accéder à des responsabilités politiques de premier plan. Explication d’un paradoxe.

Depuis 2007, Mayawati dirige l’Uttar Pradesh, un État nordiste profondément patriarcal. © Pawan Kumar/Reuters

Depuis 2007, Mayawati dirige l’Uttar Pradesh, un État nordiste profondément patriarcal. © Pawan Kumar/Reuters

Publié le 31 août 2011 Lecture : 5 minutes.

« Indira is India », clamaient, dans les années 1970-1980, les supporteurs de la charismatique Indira Gandhi, qui présida, seize ans durant, aux destinées de la plus grande démocratie du monde. Première femme à diriger le gouvernement, elle a ouvert la voie : les Indiennes sont désormais de plus en plus nombreuses à occuper des fonctions politiques de premier plan. Une irrésistible ascension qu’illustre la composition de l’actuel exécutif.

C’est ainsi : le premier personnage de l’État porte le sari. Présidente de l’Union indienne, Pratibha Patil, 76 ans, occupe depuis 2007 l’imposant palais présidentiel, au cœur de New Delhi – elle est, là encore, la première femme dans ce cas. Certes, la fonction est essentiellement honorifique, mais celui ou celle qui l’occupe est tout de même commandant(e) suprême des forces armées et garant(e) de l’unité du pays ! Avec seulement 8 % de femmes députées, le législatif reste à la traîne (le débat sur la parité dans les deux chambres du Parlement n’avance guère), mais la Chambre du peuple est néanmoins présidée par une femme, de surcroît issue des basses castes : Meira Kumar, 66 ans. Lors des débats parlementaires, elle retrouve face à elle deux des femmes les plus puissantes du pays : Sushma Swaraj, 59 ans, membre du Bharatiya Janata Party (BJP) et chef de file de l’opposition à la chambre (elle fut aussi, à trois reprises, ministre de l’Information) et Sonia Gandhi, 64 ans.

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Dans les pas d’Indira

Apparentée par son mariage avec Rajiv Gandhi à l’illustre dynastie des Nehru-Gandhi (elle est la belle-fille d’Indira), cette dernière est le leader incontesté du Parti du Congrès au pouvoir. En 2004, après la victoire aux législatives de cette formation, elle fut néanmoins empêchée de s’installer à la primature en raison de ses origines italiennes. Mais elle n’a pas renoncé au pouvoir pour autant. Faisant preuve d’une habileté stratégique peu commune, elle a fait nommer au poste de premier ministre Manmohan Singh, un excellent technocrate qui n’a jamais gagné d’élections. De l’avis unanime, elle est la marionnettiste qui tire les ficelles du jeu politique indien. Sans son feu vert, aucun dossier ne bouge à New Delhi.

La veuve de Rajiv Gandhi jouit également d’une réelle popularité dans le pays profond grâce à son charisme et ses efforts pour s’intégrer en parlant le hindi et en s’habillant à l’Indienne. L’émotion suscitée par l’annonce de sa récente hospitalisation aux États-Unis pour se faire opérer d’une tumeur est la preuve qu’elle occupe une place éminente dans le cœur du peuple indien.

Par ailleurs, quatre des vingt-huit États et des sept Territoires fédérés que compte le pays – et non des moindres – sont dirigés par des femmes : Delhi (le Territoire-capitale), l’Uttar Pradesh (l’État le plus peuplé, avec 200 millions d’habitants), le Bengale-Occidental et le Tamil Nadu. Soit, au total, un tiers de la population de la fédération.

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Fille d’un notable du Congrès et ancienne actrice, Sheila Dikshit, 73 ans, est ministre en chef de l’État de Delhi : elle est à la fois très populaire et très… populiste. Élue récemment, pour la troisième fois, à la tête de l’État du Tamil Nadu (sud-est), Jayaram Jayalalitha, 63 ans, est entrée en politique grâce à son mentor et amant, Marudu Gopalan Ramachandran, alias « MGR », décédé en 1987. Légende du cinéma tamoul, ce dernier fut lui-même ministre en chef de cet État méridional important.

Aux côtés de ces « héritières », on voit émerger depuis peu des femmes issues de milieux modestes, qui ne doivent rien à leur famille et tout à leur talent pour mobiliser les électeurs. C’est le cas de Kumari Mayawati (dite simplement « Mayawati »), 55 ans, la « pasionaria des basses castes », qui dirige depuis 2007 l’Uttar Pradesh, un État nordiste profondément patriarcal, au cœur de la cow belt. Mais aussi de Mamata Banerjee, 56 ans, qui a quitté le Parti du Congrès en 1997 pour fonder l’All India Trinamool Congress. Au mois de mai, elle a remporté les législatives au Bengale-Occidental, mettant fin à trente-quatre ans de suprématie communiste.

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Force tranquille

Dans les conseils de village et les municipalités, le gouvernement est parvenu à imposer que 33 % des élus soient des femmes. Engagée en 1992, cette féminisation des instances locales est en passe de bouleverser le paysage politique. Et les mentalités. Une vraie « révolution tranquille ».

La vérité est que la politique indienne a toujours été été relativement épargnée par le conservatisme ambiant. Sans doute en raison du rôle de premier plan joué par les femmes dans le mouvement pour l’indépendance. Gandhi les a sorti du zenana (le harem à l’indienne), ses successeurs ont poursuivi la lutte pour leur émancipation. Les Indiennes ont obtenu le droit de vote dès 1921 – un quart de siècle, par exemple, avant les Françaises – et le droit d’être élues dix ans plus tard. Le premier Parlement mis en place en 1935 comptait déjà quatre-vingts femmes. Issues de l’élite progressiste, elles étaient pour la plupart des filles, femmes ou sœurs de.

Cette visibilité grandissante dans le champ politique étonne, tant le statut social des femmes reste peu enviable dans un sous-continent encore très imprégné de machisme. Objets de discrimination institutionnalisée, les femmes sont souvent reléguées à la domesticité, quand elles ne sont pas carrément supprimées avant leur naissance, grâce à des technologies médicales anténatales de plus en plus performantes. Selon les chiffres de l’évolution démographique, 35 millions de femmes manqueraient aujourd’hui à l’appel… Alors, oui, elles sont de plus en plus nombreuses à franchir le « plafond de verre », en politique comme dans les affaires. Mais le poids de la tradition n’en demeure pas moins écrasant. 

Au Pakistan aussi

Pour la première fois, une femme dirige la diplomatie pakistanaise. Hina Rabbani Khar est même le plus jeune ministre des Affaires étrangères depuis l’indépendance : elle n’a que 34 ans. Elle assurait l’intérim de Shah Mehmood Qureshi depuis février et a officiellement été confirmée dans ses fonctions le 19 juillet. Elle reste cependant une exception au « pays des purs », où la domination des hommes sur la politique reste (presque) sans partage. 

Carrière

Certes, il y a eu Benazir Bhutto, qui fut Premier ministre à deux reprises avant de trouver la mort, il y a quatre ans, dans un attentat-suicide. En 1988, elle fut la première femme à diriger un pays musulman. Mais serait-elle arrivée au pouvoir si elle n’avait été la fille de Zulfikar Ali Bhutto, qui dirigea avant elle le pays de 1971 à 1977, et l’héritière de l’une des grandes familles féodales du pays ?

Hina Rabbani Khar change le visage de la diplomatie pakistanaise

Originaire du Punjab, Hina Rabbani Khar est, elle aussi, la fille d’un grand propriétaire terrien qui siégea longtemps au Parlement fédéral. Et la nièce d’un ancien gouverneur de sa province natale. Cela n’a sûrement pas nui à sa fulgurante carrière. Élue députée en 2002 sous l’étiquette de la Ligue musulmane du Pakistan, elle rejoint le Parti du peuple pakistanais et est réélue aux législatives de 2008. Aujourd’hui, la presse pakistanaise s’interroge : une femme aussi jeune a-t-elle les capacités pour diriger la diplomatie d’un pays plongé au cœur de turbulences géopolitiques majeures ? De fait, son diplôme de management hôtelier ne lui sera peut-être pas d’un grand secours pour discuter d’égal à égal avec les grands du monde…

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