Tunisie : gardiennes du temple
Depuis la révolution du 14 janvier, de nouvelles figures féminines de la société civile et de la politique se sont distinguées dans le combat pour la défense des acquis de la femme, l’un des enjeux de société majeurs de l’après-Ben Ali. Portraits.
Emblème de la modernité bourguibienne, instrumentalisées par Ben Ali, les Tunisiennes ont fêté, le 13 août, le 55e anniversaire de la promulgation par Bourguiba du code du statut personnel (CSP), corpus de lois progressistes leur accordant les droits les plus étendus. Elles viennent en outre de remporter une victoire inattendue avec la levée totale des réserves de la Tunisie relatives à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Une victoire sur fond d’incertitudes, car elles doivent désormais se battre pour conserver leurs acquis, contestés par une frange des islamistes.
Menacé d’être mis en retraite anticipée à tout juste 55 ans, le CSP est devenu l’un des enjeux de société majeurs de l’après-Ben Ali. « Le conservatisme était latent, analyse le jeune sociologue Mehdi Jlassi. Il s’était effacé face au progressisme de Bourguiba et a été camouflé par le populisme de Ben Ali. Prendre en compte le traditionalisme d’un segment de la société fait partie de la nouvelle réalité tunisienne. » En apparence, les femmes n’ont pas pâti du modernisme de vitrine du régime Ben Ali, mais un glissement s’est opéré, liant la question de la femme à celle de la famille.
"Menace pour les hommes"
Face au discours ambigu de certains islamistes qui, faute d’un programme politique bien défini, se focalisent sur le rôle de leurs concitoyennes – d’aucuns prônent même un retour à la polygamie et le retrait des femmes de la sphère professionnelle –, des voix masculines se sont élevées pour réaffirmer l’aptitude de la femme à assumer les plus hautes charges au sein de l’État et de la société. « Nous sommes dans une situation absurde. Nous devons protéger nos acquis. C’est comme si le CSP n’avait pas été assimilé par la société. Le comble, c’est que certaines femmes vivent le voile comme une liberté dans un environnement de plus en plus misogyne », remarque Alya, une sexagénaire. Beaucoup reprochent aux féministes de n’avoir pas transmis le flambeau aux jeunes et de s’être enfermées dans un discours élitiste, hors de portée des femmes d’extraction modeste, qui bénéficient au quotidien des avantages du CSP sans en mesurer la portée.
La crainte de voir le CSP abrogé est telle que le pacte national, signé par plusieurs partis le 1er juillet, mais auquel n’ont pas souscrit les islamistes, inscrit les droits de la femme au cœur du projet démocratique. Balkis Mechri-Allagui, vice-présidente de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH), juge nécessaire de les institutionnaliser en les inscrivant dans la Constitution. « Pacte national ou pas, la Constituante sera souveraine, souligne le psychiatre Zine Ennaifer. Toutes les libertés peuvent être menacées si une majorité extrémiste l’emporte. Le projet islamiste s’enracine déjà dans les écoles. Une guerre des sexes s’est installée en lieu et place d’un partenariat. Les femmes, avec leurs droits, sont perçues comme une menace par les hommes. » « On ne le dira jamais assez, rappelle Karim Baklouti Barketallah, patron d’Aproquem, filiale du groupe Apave, le meilleur rempart contre l’obscurantisme, c’est la femme. »
Égalité, parité
Majoritaires dans des corps comme la magistrature, la médecine et l’enseignement, elles sont à peine 10 % dans les instances politiques. Bien qu’elles représentent 51 % de l’électorat et que la parité des candidatures ait été adoptée pour l’élection de la Constituante, le 23 octobre, la classe politique semble se désintéresser du sort des Tunisiennes, qui le lui rendent bien en privilégiant l’action au sein de la société civile. « C’est du concret, alors que les partis n’avancent pas et surtout ne donnent pas la parole aux femmes », déplore Héla, de l’association Égalités pour demain. Refusant de tenir le CSP pour acquis, de nombreuses Tunisiennes poursuivent leur lutte pour l’égalité et la parité. De nouvelles figures féminines de la société civile et de la politique se sont ainsi distinguées par une approche démocratique des droits de la femme.
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Frida Dahmani, à Tunis.
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