Ali Bongo Ondimba : « Tout le monde n’a pas compris que le Gabon avait changé »
Premier bilan après deux années de pouvoir au Gabon. Réformes économiques, crispations politiques, « biens mal acquis », mais aussi Printemps arabe, Libye, Côte d’Ivoire… Ali Bongo Ondimba dit tout.
Libreville, mi-août. La capitale n’est plus la même. Plus propre, plus ordonnée et en chantier permanent. Le Gabon « émerge », l’expression est sur toutes les lèvres, d’un long coma, celui de la fin des années Omar Bongo Ondimba (OBO). Le nouveau chef de l’État est entré dans ses fonctions, en octobre 2009, au pas de charge : suppression des postes fictifs ou superflus à la présidence et au gouvernement, mise à l’écart d’un certain nombre de caciques de l’ancien régime, fin des cumuls de mandats, plafonnement des salaires pour les dirigeants d’entreprises publiques, rigueur, multiplication des audits, etc. On lui prédisait alors les pires ennuis. Il remettait en effet en question une multitude de baronnies, perturbait des équilibres que son père avait façonnés des décennies durant et, donc, secouait trop durement un cocotier supposé fragile. Le père se comportait comme un chef de village ou de famille, soucieux de maintenir l’harmonie entre tous ses « enfants », y compris les plus prodigues et les moins reconnaissants. Le fils, lui, n’a pas tant d’états d’âme et ne goûte guère les compromis. Seuls les résultats lui importent. Deux ans plus tard, le tsunami prédit n’a pas eu lieu et le Gabon poursuit son long réveil, même si le naturel n’est pas si facile à chasser : pas une semaine ne passe sans sanction, tête coupée ou rappel à l’ordre. Les indélicats n’ont pas tous disparu avec l’« Émergence »…
C’est au premier étage du Palais du bord de mer que le chef de l’État nous a reçu pour répondre à nos questions, dans le bureau qu’occupait jadis OBO. Un long entretien – près de deux heures – au cours duquel il défend son bilan, décline ses ambitions, répond aux attaques (intransigeance, affaire des biens mal acquis, train de vie, biométrie et législatives, crispation politique) et livre son analyse sur le Printemps arabe, les crises libyenne et ivoirienne, le scandale de la Beac ou encore les ratés de l’Union africaine.
Jeune Afrique : Deux ans après l’élection présidentielle, le Gabon a considérablement changé. De chef évidemment, donc de style, mais aussi de vie politique. Quel bilan dressez-vous de ces vingt-quatre mois écoulés ?
Ali Bongo Ondimba : Question piège… Disons que nous sommes sur la bonne voie, même si je concède être de nature impatiente. En me présentant à la présidentielle, j’ai soumis un projet, celui du Gabon émergent, avec des axes précis, une vision, des valeurs réaffirmées et une stratégie.
Une fois installé dans mes fonctions, en octobre 2009, j’ai mis en œuvre ce programme. Nous avons ainsi lancé un grand nombre de chantiers. Ce qui est important à nos yeux, c’est de diversifier l’économie gabonaise pour préparer l’après-pétrole. Cela ne se fait pas du jour au lendemain et demande un certain nombre de réformes, une véritable révolution des mentalités et des pratiques ainsi qu’une profonde remise en question, ce qui n’est jamais évident.
Vos premiers pas à la tête du pays ont tout de même été marqués par une sévère reprise en main et des décisions pas toujours très populaires : fin des effectifs pléthoriques dans la fonction publique, des placards dorés et des cumuls de mandats et de fonctions, chasse aux gaspillages, journée continue, interdiction d’exporter les grumes de bois non transformées sur place, etc. De quoi, en somme, vous faire de nombreux ennemis…
N’exagérons rien. D’une part, personne n’a été pris au dépourvu : nous avons appliqué ce que nous avions indiqué lors de la campagne. D’autre part, si je me suis fait effectivement quelques ennemis parmi ceux qui profitaient du système ou pour qui les mots « performance » ou « compétence » ressemblent à des injures, la majorité des Gabonais réclamait ces mesures. Ils avaient conscience que nous allions dans le mur. Il était totalement illusoire de penser que nous allions réussir à atteindre nos objectifs sans aller vers une meilleure gouvernance, plus d’équité, de travail et de rigueur. Je crois que le message est passé. Nous restons cependant vigilants, car certaines poches de résistance demeurent…
Vous avez changé de très nombreuses personnalités à la tête d’entreprises publiques, dans l’administration ou la magistrature. Est-ce le signe que les résultats ne suivent pas ou que le Gabon peine à fournir des cadres compétents ?
Dire que nous peinons à trouver les bonnes personnes, c’est peut-être exagéré. Il s’est trouvé en revanche que certains gênaient la réalisation de nos programmes. Je me suis par exemple engagé à construire un minimum de 5 000 logements. Nous avons réuni tout le monde, préparé les projets et élaboré leurs financements. Six mois après, cela n’avait toujours pas démarré.
Je ne connais pas un seul pays au monde où un citoyen peut s’autoproclamer président.
Pourquoi ? À cause d’un certain nombre de pesanteurs et de personnes qui ne faisaient pas leur travail ou, pis, profitaient de leur position pour accaparer des terrains et en faire commerce. Certains fonctionnaires se sont dit : « Encore des effets de style, de belles paroles, il n’y aura pas d’action derrière, continuons comme avant. » Ils ont été mal inspirés.
Vous aviez annoncé la publication des résultats de l’audit de la fonction publique en janvier 2010. Ce n’est toujours pas le cas. Pour quelle raison ?
Parce que j’ai demandé que l’audit soit refait.
Entièrement ?
Oui. Je ne suis pas satisfait de la manière dont il a été mené. Ses résultats ne reflètent pas la réalité. Il y a un problème, et je veux m’en assurer. Comme si tout le monde s’était tenu à carreau le temps de sa réalisation… Pour ce genre d’audit, il ne faut pas se précipiter.
Autre évolution notable depuis votre arrivée au pouvoir, celle de la sphère politique. La crispation est évidente : biométrie, dissolution du parti d’opposition l’Union nationale (UN), André Mba Obame…
Après l’élection présidentielle, j’avais indiqué que je resterais ouvert à tous ceux qui souhaiteraient discuter avec moi du développement du Gabon. Certains l’ont fait, d’autres pas. Mais les tensions que vous évoquez sont d’ordre différent. La dissolution de l’UN, ce n’est que l’application des lois. Je ne connais pas un seul État au monde où un citoyen quel qu’il soit, candidat battu lors d’un scrutin, peut organiser et faire retransmettre une cérémonie de prestation de serment et se faire introniser président de la République [c’était le 25 janvier, NDLR] sous le regard impuissant des pouvoirs publics légitimes.
S’ajoutent à cela une mise en scène ridicule et un repli au siège d’une organisation internationale [celui du Programme des Nations unies pour le développement, le Pnud] squatté de manière indécente pendant un mois. Le Gabon est un État de droit qui a une Constitution et des institutions. Ceux qui les transgressent s’exposent aux sanctions prévues. Ni plus ni moins. Dura lex, sed lex : la loi a été appliquée.
Et concernant le débat sur l’instauration de la biométrie pour les prochaines législatives ?
Une fois encore, il faut clarifier les choses. La biométrie est une proposition de la majorité. À mon initiative, d’ailleurs, lorsque j’étais ministre de la Défense. Le dossier fut transmis, à l’époque, au ministre de l’Intérieur [André Mba Obame], à qui il incombait la responsabilité d’organiser les élections. Tous les membres du gouvernement d’alors pourront vous éclairer sur le traitement qui en a été fait…
Une certaine opposition, qui réclame à cor et à cri la biométrie aujourd’hui, recèle en son sein le principal responsable de l’échec de ce projet quand il était aux affaires ! Passons…
Pour répondre aux préoccupations de la classe politique sur l’utilisation de la biométrie lors des prochaines législatives, j’ai organisé une grande concertation nationale. J’ai écouté tout le monde et j’ai décidé de saisir la Cour constitutionnelle, afin qu’elle statue sur la position consensuelle qui s’était dégagée : repousser la date du scrutin. La suite, vous la connaissez. La Cour constitutionnelle a rejeté la demande d’un report des législatives. Les députés actuels verront leur mandat prendre fin en janvier prochain. Au-delà de ce terme-là, nous n’aurions donc plus d’Assemblée nationale. Il est donc nécessaire qu’elle puisse être renouvelée avant. Moi, je n’ai pas l’autorité de proroger les mandats. Je ne peux pas appliquer des lois qui n’existent pas…
Avec André Mba Obame, vous vous connaissez parfaitement. Vous avez travaillé longuement ensemble et milité au sein du Parti démocratique gabonais (PDG) pour le faire évoluer. Comment en êtes-vous arrivés à devenir d’irréductibles ennemis ?
Est-ce vraiment à moi qu’il faut poser cette question ?
C’est André Mba Obame qui a changé, pas moi.
Personnellement, je ne le tiens pas pour un ennemi, pas du tout. C’est lui qui a changé, pas moi. Je suis toujours dans le même parti, défendant les mêmes idées. Lui a choisi de rejoindre des personnes qu’il a farouchement combattues pendant un quart de siècle à nos côtés et qui, chose étrange, ne lui en tiennent visiblement pas rigueur. La question est donc de savoir s’il défend réellement des idées ou si seule sa personne et son ego importent.
Vous êtes-vous parlé depuis la présidentielle du 30 août 2009 ?
Non, jamais.
Votre père était réputé pour savoir pardonner, y compris à ceux qui avaient été virulents avec lui…
Celui qui pardonne est celui qui a été offensé. Ce n’est pas à moi de pardonner, c’est aux militantes et aux militants du PDG de le faire. Mba Obame (ci-dessus en photo, au centre, parmi les principaux leaders. Crédit : AFP) se battait jadis au sein de ce parti pour la démocratie, l’ouverture. Il est allé rejoindre aujourd’hui l’un des plus farouches opposants à la démocratie que nous ayons eus, à l’époque, au sein du parti, Zacharie Myboto. Et aujourd’hui, ce même Myboto pousse des cris d’orfraie pour me traiter de dictateur ? Curieux attelage…
Comprenez-vous que les électeurs aient du mal à s’y retrouver sur l’échiquier politique ? Les anciens caciques du PDG passent dans l’opposition, l’opposant historique qu’est Pierre Mamboundou, comme Paul Mba Abessole, la bête noire de votre père avant lui, se rapproche de l’ex-parti unique…
On peut se tromper dans la vie, mais il faut être de bonne foi et le reconnaître. Ceux qui font des allers-retours en permanence, se ruent dans l’opposition pour brailler sitôt leurs privilèges perdus avant de revenir au bercail lorsqu’on a répondu à leurs doléances essentiellement matérielles, c’est fini. Tout le monde n’a pas compris que le Gabon avait changé…
Comment envisagez-vous les prochaines législatives pour le PDG ?
Avec beaucoup de sérénité. Nous partions quand même d’un taux de croissance négatif, – 1,9 % en 2009, nous sommes aujourd’hui à plus de 5 %. Cela veut dire que le pays bouge dans le bon sens. La confiance revient, la consommation des ménages augmente et les investisseurs étrangers affluent. Nous disposons d’un programme clair, constant et qui commence à porter ses fruits. Les Gabonais pourront juger, comparer. Enfin, pour cela, il faudrait que les autres aient quelque chose à présenter…
La société civile s’immisce de plus en plus dans la vie politique ; ses acteurs, comme Marc Ona Essangui (Brainforest), font désormais entendre leurs voix, se muent parfois en véritables opposants. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai absolument rien contre le fait que chaque citoyen puisse se préoccuper de la vie politique de son pays. Lorsqu’elle est équidistante des organisations politiques et joue son rôle de catalyseur de la démocratie, de médiatrice, de vigie, ou encore lorsqu’elle formule des propositions, la société civile est indispensable.
En revanche, lorsqu’elle est accaparée par des individus qui, tout en prônant l’alternance politique, s’incrustent de manière inamovible dans leur propre système, en font un fonds de commerce ou une plateforme de visibilité et de reconnaissance personnelle, cela pose un problème de crédibilité et d’utilité.
Pour parler des ONG, on assiste à un véritable mélange des genres. Aujourd’hui, certains dirigeants de ces ONG se sont donné le droit de s’immiscer dans tout. Au nom de quoi et de qui, je n’en sais rien. Les décideurs politiques ont tous des mandats. Nous sommes redevables devant ceux qui nous ont fait confiance, nous jugent, nous sanctionnent. D’autres se lèvent un matin pour dire : « Moi, je n’ai d’engagement envers personne, mais je me donne le droit de venir exiger ceci ou cela. » C’est trop facile.
Vous connaissez M. Marc Ona Essangui ; eh bien, conseillez-lui de créer un parti politique et de se présenter aux prochaines élections. Il aura donc un mandat, pourra proposer aux Gabonais ses idées, et on verra alors s’il sera soutenu. En attendant, je suggère qu’il s’occupe de la défense de l’environnement, puisque son ONG a été créée dans cet objectif-là.
Parmi les échéances de 2012, il y a la coorganisation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football avec la Guinée équatoriale. Êtes-vous confiant quant aux délais de livraison des différentes infrastructures et à la bonne tenue de cette compétition ?
L’année 2009 a été désastreuse. Les chantiers ont pris beaucoup de retard, que nous nous efforçons de rattraper. Mais malgré tout ce qui se dit ou s’écrit, nous serons prêts à la date prévue.
Le Gabon se tourne vers de nouveaux horizons économiques (Chine, Corée du Sud, Singapour, États-Unis, Australie…). L’arrivée de ces nouveaux acteurs n’agace-t-elle pas votre partenaire traditionnel, la France ?
Le Gabon a pris le parti de consolider ses alliances historiques tout en diversifiant sa coopération internationale et ses partenaires. Tous ceux qui croient dans le potentiel de notre pays sont les bienvenus, pourvu qu’ils nous apportent, évidemment, une véritable valeur ajoutée. Mais les nouveaux investisseurs qui viennent au Gabon ne le font pas au détriment des entreprises françaises. Nous aimons pratiquer l’addition et non la soustraction. J’ajouterais même que les entreprises françaises déjà sur place profitent de ces nouveaux partenariats. Le président Sarkozy soutient d’ailleurs notre politique. Tout le monde y gagne, à commencer par les Gabonais. C’est au fond ce qui m’importe le plus.
Le Gabon mise beaucoup sur le green business, l’environnement et la mise en valeur de ses atouts en la matière. Pour certains, il s’agit là d’un simple phénomène de mode…
Le green business, au sens large, c’est la prochaine révolution économique, au même titre que les révolutions agricole et industrielle. Nous jouissons d’atouts considérables. Il faudrait être fou pour n’en faire qu’une lubie ou un simple phénomène de mode comme vous le dites.
La zone économique spéciale de Nkok sera inaugurée le 9 septembre. Ce type d’infrastructures se multiplie en Afrique. Qu’en attendez-vous ?
Nous voulons appuyer, grâce à des avantages fiscaux attractifs, les entrepreneurs qui investissent, notamment dans la transformation du bois, et plus généralement ceux qui participent à l’industrialisation de notre économie. Déjà 6 000 emplois directs et indirects ont été créés. Avec un investissement direct étranger de près de 200 millions de dollars, il s’agit de la première zone économique spéciale d’Afrique subsaharienne. D’après nos prévisions, Nkok attirera environ 1 milliard de dollars d’investissements, avec un potentiel de près de 50 000 emplois à terme.
Une zone franche sur l’île Mandji, à Port-Gentil, est également en cours de constitution. Elle sera davantage spécialisée dans les industries et services parapétroliers, l’assemblage, le stockage et la distribution de produits, et dans les activités de services liées aux nouvelles technologies. Un premier investissement de 1,5 milliard de dollars a été signé en 2010 avec Olam et le groupe indien Tata Chemicals pour la construction d’une usine d’engrais.
Comment voyez-vous l’après-pétrole ?
C’est certainement une époque que je ne connaîtrai pas… En revanche, cela concerne nos enfants. Voilà pourquoi nous voulons nous préparer maintenant. Nous misons beaucoup sur l’industrie forestière, mais aussi sur le secteur des mines. Il n’a pas vraiment été exploité, à part certains produits comme le manganèse et l’uranium, et seulement dans certaines localités. Plus largement, nous sommes en train de promouvoir un tissu industriel et de favoriser l’émergence de champions rayonnant au niveau régional, voire international, comme Gabon Oil, Petro Gabon, la Compagnie équatoriale des mines, ou encore Olam Pétrochimie. Ce ne sont là que des exemples : nous avons élaboré 20 plans sectoriels sur cinq ans dans le tourisme, le numérique, les infrastructures, les transports, etc.
Sur le plan diplomatique, maintenant, quels rapports entretenez-vous avec les principaux chefs d’État de la sous-région, qu’il s’agisse du Camerounais Paul Biya, de l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema ou du Congolais Denis Sassou Nguesso ? Vous êtes le plus jeune et le plus récemment arrivé au pouvoir…
Voulez-vous savoir si j’ai subi le bizutage du petit nouveau ? Non, je peux vous rassurer, nos rapports sont très bons. Les chefs d’État de la sous-région sont des personnalités que je connais depuis longtemps, cela aide. Nous travaillons ensemble dans le cadre de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale] : ce qui se passe bien chez l’un est intéressant pour l’autre et l’affecte dans le bon sens.
Il y a pourtant eu des périodes délicates, notamment avec l’affaire de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). Vous avez pris vos fonctions en octobre 2009, quand le scandale a éclaté. Le Gabon a perdu le poste de gouverneur au profit de la Guinée équatoriale et le principe de rotation a été adopté. Comment avez-vous vécu cette période ?
Il est évident que, pour moi qui m’installais à peine, cela n’a pas été facile. Mais un problème touchant la Beac est un problème qui touche tous les États, pas seulement le Gabon.
Mais ce sont des responsables gabonais de l’institution qui ont été mis en cause.
Oh, ils n’étaient pas seuls…
C’est-à-dire ?
Nous avons réagi très rapidement pour qu’une enquête soit menée afin de déterminer ce qu’il s’était réellement passé. Et nous souhaitons ardemment que ces investigations aillent jusqu’au bout. Je n’ai pas de problème particulier avec mes voisins, mais je souhaite que tout le monde soit traité de la même manière. Aujourd’hui, les choses se passent bien et la réforme de la banque va continuer.
On a parlé de tensions avec la Guinée équatoriale, comme lors du conflit territorial au sujet de l’île de Mbanié…
S’il y avait de la tension avec la Guinée équatoriale, je n’aurais pas soutenu le gouverneur actuel de la banque, qui est équato-guinéen. Notre différend territorial est géré au niveau de la Cour internationale de justice de La Haye et n’impacte pas les partenariats qui nous lient, dont l’organisation de la CAN. Le président Obiang et moi-même étions fin juillet à la frontière de nos pays pour inaugurer deux ponts qui vont augmenter nos échanges commerciaux et faciliter la circulation des personnes. Existe-t-il meilleur symbole d’entente que la construction d’un pont ?
Vous vous êtes rendu en visite officielle aux États-Unis, du 5 au 10 juin, où vous avez rencontré le président Obama. Que vous êtes-vous dit ?
Quand des chefs d’État se rencontrent, c’est pour échanger sur les sujets bilatéraux mais aussi sur les grandes questions de l’heure. Il arrive également qu’on puisse demander quelques conseils. Cet échange n’a pas échappé à la règle. L’international et la crise libyenne ont évidemment été abordés, étant donné que le Gabon siège encore au Conseil de sécurité jusqu’à la fin de l’année. En tout cas, ce fut très cordial.
Cette visite a aussi été l’occasion de nombreuses critiques de la part de l’opposition et de la société civile gabonaise, qui ont trouvé un certain écho aux États-Unis : biens mal acquis, accusations de népotisme, de mauvaise gouvernance, voire de dictature…
Les critiques dont vous parlez, je m’y attendais : elles ont été formulées par mes adversaires politiques, ceux-là mêmes dont nous venons de parler, et reprises par certains médias pour qui nous sommes des gens infréquentables, corrompus, et qui ne peuvent rien faire de positif… J’ai d’ailleurs découvert, avec la relance médiatique de l’affaire dite des « biens mal acquis », qu’il existait en droit un nouveau délit, le délit de patronyme. Je m’appelle Bongo, je suis donc forcément coupable… Et je note au passage qu’il s’agit, dès l’énoncé de l’affaire elle-même, non pas d’une interrogation mais d’une affirmation.
Trouvez-vous anormal que l’on puisse se poser la question de la provenance des fonds qui ont permis d’acquérir des biens à l’étranger, en France notamment ? Ou que l’on s’interroge sur des acquisitions immobilières au nom de l’État gabonais, comme l’hôtel particulier de la rue de l’Université à Paris ou l’ex-résidence de Ted Kennedy à Washington ?
Que les choses soient claires : chaque fois qu’il nous paraîtra opportun de procéder à la consolidation du patrimoine immobilier de l’État gabonais, nous ne demanderons l’onction de personne. Le Gabon est un état souverain qui peut faire des investissements rentables et durables, y abriter ses représentations diplomatiques conformément à ses moyens et à ses ambitions. L’État gabonais ne se contentera pas d’être locataire ad vitam æternam.
Dans les deux cas cités, à Paris et à Washington, nous avons informé par communiqué l’opinion publique nationale et internationale parce que nous n’avions rien à cacher.
Un chef d’État, un patron, un avocat africain ne peut pas s’offrir des véhicules dits de luxe, une villa ou un appartement sans être taxé de voleur ? En Afrique, comme partout
Je n’ai pas à m’excuser de m’appeler Bongo, et je n’ai pas vocation à servir de punching-ball…
Quand celles-ci sont pillées par des gens extérieurs au continent, ce n’est pas un problème, mais dès que c’est un Africain qui possède de l’argent, c’est suspect.
En ce qui me concerne, il n’y a aucun bien personnel dont je ne peux justifier l’origine et l’acquisition légales. Mon patrimoine est déclaré. Je mets au défi n’importe quelle organisation ou quidam de prouver le contraire. J’ai gagné de l’argent dans ma vie, j’ai fait des affaires, parfois très bonnes, notamment lorsque j’ai dû quitter mon poste de ministre [en 1991]. Je ne vais pas m’excuser d’avoir gagné cet argent ni de m’appeler Bongo, même si cela en dérange certains qui avaient pris l’habitude de « cogner » sur mon père et continuent avec moi dans un réflexe pavlovien.
Ce que vous reprochent vos détracteurs et ceux qui ont déposé ces plaintes en France, c’est votre train de vie et celui d’un certain nombre de vos pairs. Un train de vie que vous ne pourriez vous permettre si vous n’aviez pas, disons, pioché dans la caisse…
Bien. J’ai été élu président de la République gabonaise, pas de la République française. J’ai des comptes à rendre aux seuls Gabonais. Et qu’on cesse de prendre les Africains pour des imbéciles, parce que tout cela revient à dire : « Nous, les bons Blancs, nous sommes plus intelligents, donc analysons mieux les choses et les faisons à votre place. » Cette attitude frise la condescendance et le racisme. Je n’ai volé personne et n’ai détourné aucuns fonds. Mais je n’ai pas vocation à servir de punching-ball…
L’année 2011 a été marquée par une actualité très forte sur le continent : révolutions arabes, en Tunisie d’abord puis en Égypte et en Libye, évolutions au Maroc ou en Algérie, crise ivoirienne… Comment avez-vous vécu, par exemple, la chute du régime Ben Ali le 14 janvier ? Cela vous a-t-il surpris ?
Il faut être honnête, nous avons tous été surpris. Toutes proportions gardées, et même si l’issue a été différente, cela m’a rappelé ce qu’un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne ont vécu dans les années 1990 avec l’expression très forte d’aspiration démocratique et les conférences nationales. Lorsque le peuple veut être entendu, lorsqu’il exige des changements, il est impossible de ne pas y répondre. C’est une leçon pour nous tous, que nous avons intérêt à méditer.
Six mois après le début de l’insurrection libyenne, le régime de Mouammar Kadhafi s’est enfin effondré. Vous avez fait le choix, en mars dernier, de voter la résolution des Nations unies autorisant l’intervention militaire de l’Otan, contre l’avis exprimé par l’Union africaine. Pourquoi ce choix ?
Comme membre du Conseil de sécurité, nous avons effectivement approuvé la résolution 1973. Nous pensions que le fait d’entamer des discussions au sein du Conseil de sécurité inciterait les autorités libyennes à infléchir leur position, à arrêter les hostilités et à ouvrir un véritable dialogue. Or il se trouve que, pendant que nous étions en train de discuter de cette résolution, Kadhafi a tout fait pour accélérer la répression et en finir avant qu’elle ne soit adoptée. Une telle attitude a certainement influencé un certain nombre de pays d’abord réticents à voter ce texte… Nous assistons donc aujourd’hui à la chute inéluctable d’un régime qui est resté sourd à tous les appels à l’apaisement et au dialogue. Trop de vies ont été perdues à cause de cet aveuglement. Kadhafi, comme Gbagbo avant lui, n’a pas eu, ou n’a pas voulu avoir, la lucidité nécessaire pour ne pas prolonger inutilement la liste des victimes de cette guerre.
Et maintenant, Kadhafi parti, comment voyez-vous l’avenir proche de la Libye ?
J’ai reçu courant août des dirigeants du Conseil national de transition (CNT) désireux de faire participer la communauté internationale à la recherche de solutions politiques durables. Nous devons tous apporter notre concours à la Libye pour qu’elle panse ses plaies et qu’elle s’attelle à construire son avenir. Un chantier titanesque, qui implique de poser les principes d’édification et de consolidation d’un véritable État de droit, de répartition équitable des richesses du pays et de restauration de la stabilité et de la sécurité, indispensables à sa reconstruction. Tout cela doit nécessairement passer par l’expression de la volonté du peuple, donc par des élections. Je ne doute pas que les Libyens y parviennent. Même si le chemin sera très long et ardu.
L’intervention militaire de l’Otan en Libye, comme celle des Nations unies en Côte d’Ivoire, a choqué de nombreux Africains, qui y voient l’expression d’une forme de néocolonialisme dans le seul but d’accaparer les richesses de ces pays. Au point d’ériger, pour certains, Mouammar Kadhafi et Laurent Gbagbo au rang de résistants et de héros africains. Comprenez-vous cette sensibilité ?
Bien sûr, je comprends que l’on puisse penser cela compte tenu de l’histoire de notre continent, mais je ne partage pas cette opinion. Quelles alternatives avait-on ? Laisser la Côte d’Ivoire ou la Libye sombrer dans le chaos et se dérouler sous nos yeux de véritables bains de sang ?
L’alternative aurait été que l’Union africaine (UA) elle-même prenne en charge ces crises, soit plus efficace ou dirige ces interventions…Il faut être réaliste et pragmatique. Nous n’avons pas pu le faire, soit parce que nous n’étions pas d’accord, soit parce que nous n’en avions pas les moyens. C’est tout le problème que nous rencontrons à l’heure actuelle au niveau de l’UA. Nous en sommes tous conscients, et il faudra bien s’asseoir autour d’une table pour trouver des solutions. Mais personne ne nous a empêchés d’intervenir, c’est nous qui avons échoué. Il a bien fallu, une fois ce constat dressé, travailler avec ceux qui avaient la capacité d’empêcher que le pire ne se produise.
Comment avez-vous vécu les images de l’arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril dernier ?
Ce ne sont pas des images que l’on souhaite voir, c’est une évidence. Mais à partir du moment où il a décidé de mener son combat jusqu’au bout – il faut tout de même rappeler qu’il est le principal responsable de cette crise –, il n’existait que deux possibilités : la capture ou la mort. Cela aurait donc pu être pire.
Pensez-vous, après tout ce qu’a connu ce pays depuis la mort d’Houphouët, que les Ivoiriens pourront réellement se réconcilier ?
Oui. Il y a suffisamment de sagesse chez les Ivoiriennes et les Ivoiriens. Ils ne peuvent qu’avoir mesuré les dégâts provoqués par la guerre et l’instabilité. Le président Ouattara sait aussi que la tâche qui l’attend est immense, qu’elle nécessitera du temps et beaucoup de sueur. Mais nous sommes tous prêts à l’aider.
Photo : Ali Bongo Ondimba, avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara, lors du dernier sommet de l’Union africaine, le 1er juillet. Crédit : AFP.
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Propos recueillis par Marwane Ben Yahmed, à Libreville.
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