Congo : Dolisie en quête d’avenir

Passage obligé entre Brazzaville et Pointe-Noire, la troisième agglomération du Congo tangue entre la nostalgie d’un passé euphorique et l’espoir suscité par de nouveaux équipements, tandis que les activités reprennent, timidement. Reportage.

Quatre-vingts boutiques attendent les clients du nouveau marché central. © Baudouin Mouanda pour J.A.

Quatre-vingts boutiques attendent les clients du nouveau marché central. © Baudouin Mouanda pour J.A.

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Publié le 1 septembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Congo : poussée de croissance
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Congo : poussée de croissance

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Place de la Gare, à Dolisie, un soir de saison sèche. Sur des étals disposés de part et d’autre, toutes sortes de produits attirent la curiosité des clients. Une table et de longs bancs attendent ceux qui ont faim. Un homme s’approche et commande une mesure de pastis. Le marchand la verse dans un petit doseur, puis la reverse dans un sachet en plastique. C’est 100 F CFA (0,15 euro) la mesure. Pour du whisky, le client aurait payé 150 F CFA.

Un passage taillé dans le mur d’enceinte conduit aux rails. La broussaille et le sable ont investi les lieux. Les passants traversent sans cesse ce qui ressemble vaguement à une voie de chemin de fer. D’autres sont assis sur des bancs en pierre. Sur un mur, une horloge indique l’heure. Mais elle s’est arrêtée, on ne sait plus à quelle époque, à 12 h 25 ou 0 h 25. À quai, un train de marchandises à la locomotive antédiluvienne, en provenance de Brazzaville et à destination de Pointe-Noire, marque une pause.

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Entre deux wagons, à l’air libre, plusieurs passagers clandestins. Ils ont payé 3 000 F CFA aux convoyeurs (des militaires). Et ils affirment que le voyage est sans péril. D’autres clandestins montent. Le train, poussif, s’enfonce dans la nuit. Un agent du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) jure, la main sur le cœur : « S’ils meurent, cela ne nous regarde pas : ils n’existent pas en tant que passagers. »

Cité rouge et verte

Dolisie est un véritable carrefour. Chef-lieu du Niari, à 350 km de la capitale et à 180 km du poumon économique du pays, Pointe-Noire, la ville de 100 000 habitants est aussi toute proche de la frontière gabonaise et de l’enclave de Cabinda (Angola), ainsi que de la RD Congo.

Son maire, Paul Adam Dibouilou, 54 ans, élu en 2008, en donne une définition très personnelle : « C’est une circonscription urbano-rurale qu’il faut urbaniser. Elle souffre d’un manque criant d’infrastructures modernes. » Ici, la terre est rouge. Rouge comme un soleil qui se couche. Cette terre colle aux pieds, s’engouffre dans les narines, s’installe sur les cheveux dès qu’un véhicule passe en trombe. Dolisie, c’est « la ville rouge », même si ses habitants l’appellent (encore) « la capitale de l’or vert ».

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« Tout peut pousser à Dolisie, de la tomate à la vigne, souligne un ancien ministre originaire de la région. Cette terre peut être exploitée des décennies durant sans aucun recours aux engrais. » Mais, ici, l’âge d’or est révolu. Les anciens regrettent la Dolisie des années 1960, « une petite ville occidentale » florissante, vivant au rythme de ses quelque trois mille Européens (Français et Portugais pour l’essentiel). Ils pleurent ce qui fut le passage obligé des stars de la musique, qui venaient, de Brazzaville ou de Kinshasa, égayer des nuits mémorables dans des bars de légende.

Aux bons soins de l’hôpital général

S’il est une chose dont les Dolisiens sont unanimement fiers, c’est de leur hôpital général, situé au quartier Mont-Fleuri.  Inauguré en 2009, après des travaux de rénovation, cet établissement ultramoderne bien équipé est, sans doute, le plus propre du Congo. La propreté permanente, c’est en tout cas le pari que s’était lancé Mathias Gassay, son directeur général. Bâti sur 5 ha, l’hôpital pavillonnaire est constitué de 14 bâtiments et compte 208 lits.Toutefois, il n’a pas encore de statut officiel. L’État ne lui a envoyé que trois médecins, auxquels s’ajoutent deux vacataires (recrutés par le directeur général et payés grâce aux recettes propres), ainsi que huit coopérants cubains. Pour un bon fonctionnement, il lui manque 200 agents. T.L.M.K.

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C’était l’époque où le bois était roi, où la Société congolaise de bois (Socobois) était le principal employeur de la région. Aujourd’hui, c’est l’État. Et d’aucuns pensent que la filière bois a éclipsé l’agriculture, la vraie vocation de Dolisie.

Et puis, il y a eu la guerre de la fin des années 1990. En 1997-1998, les Ninjas ralliés à l’ancien président Pascal Lissouba (dont Dolisie était le fief) et les Cobras de son rival Denis Sassou Nguesso se sont affrontés sans faire de quartier. La ville en porte encore les stigmates. Beaucoup d’entrepreneurs ont tout perdu.

Au ralenti

Pire, la Socobois a fermé. Les Dolisiens ne s’en sont pas encore remis. « Environ sept mille personnes dépendaient directement de la Socobois. Sa fermeture a laissé des dizaines de milliers de familles sans ressources. La vie est chère, la paupérisation galopante. Entre 50 % et 60 % de la population est au chômage », affirme Pierre-Michel Nguimbi, député de Dolisie.

Maigre consolation : selon Paul Adam Dibouilou, mille Dolisiens travaillent sur le chantier de la route nationale Brazzaville-Pointe-Noire. Les investissements ou les réinvestissements manquent cruellement. La « municipalisation accélérée » engagée en 2006 n’a pour l’instant pas tenu ses promesses.

En dehors de la rénovation de l’aéroport Ngot-Nzoungou, dont l’activité commerciale se limite à une cafétéria ouverte uniquement les jours où les avions arrivent, et du nouveau marché central, les chantiers (mairie, préfecture, voirie…) n’ont pas bougé, ou presque. « Des opérateurs économiques s’étaient engagés sur ces chantiers, fulmine Pierre-Michel Nguimbi. Il faut que l’État trouve les moyens pour relancer les travaux. On ne peut pas sanctionner toute une ville à cause de la gabegie de certains. » Dolisie n’a que 25 km de réseau routier bitumé.

Pour Paul Adam Dibouilou, la solution passe par la décentralisation, qui doit devenir effective afin que le développement des villes soit enfin l’affaire des collectivités locales et une priorité nationale.

Chaque année, Dolisie reçoit de l’État 700 millions de F CFA de subventions (la masse salariale mensuelle s’élève à 50 millions). Auxquels s’ajoutent 30 millions de F CFA destinés à l’assainissement. Cependant, insiste l’édile, cette somme est toujours allouée en retard. Quant aux recettes propres, elles ne dépassent pas 200 millions de F CFA.

D’où l’amélioration de certaines structures destinées à renflouer les caisses : la gare routière, la menuiserie municipale, les pompes funèbres, l’abattoir (tous étant sous le monopole de la mairie), ainsi que le nouveau marché central, avec ses quelque mille deux cents tables et quatre-vingts boutiques. Voilà pour aujourd’hui. Quant à l’avenir, le maire le voit à travers le développement de l’agriculture, et il « conseille aux jeunes de s’intéresser aux métiers agricoles ».

Atouts citoyens

Tout compte fait, Dolisie a des atouts en mains, et non des moindres, pour retrouver la prospérité perdue. Ici, contrairement à Brazzaville et à Pointe-Noire, point de groupes électrogènes ronronnant de jour comme de nuit : l’électricité est disponible en permanence, sauf rarissime accident. L’eau aussi. Seul problème : tout le monde n’est pas connecté aux réseaux électrique et hydraulique.

À Dolisie, les administrés suivent de près les activités du maire, qui a pris l’habitude de diffuser, en différé, les travaux du conseil municipal sur Télé-Dol, la chaîne de proximité. Leurs critiques sur ce qui ne marche pas passent également à la télévision, tout comme les remarques des autorités quand leurs concitoyens ne prennent pas soin des infrastructures. « Il y a aussi un suivi des recommandations du conseil municipal dans leur application sur le terrain », souligne Barbe Ouemou-Moukala, élue municipale et directrice de Télé-Dol.

Enfin, Dolisie attend beaucoup de la route nationale 1, entre Brazzaville et Pointe-Noire, en cours d’achèvement, car elle ne sera plus qu’à environ deux heures de la ville océane. Il pourrait en résulter un afflux des pétroliers ponténégrins en quête d’air pur. Et la ville n’en manque pas.

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