États-Unis : métis is beautiful !
Hier, les métis passaient pour des traîtres. Ils sont aujourd’hui les hérauts d’une Amérique postraciale. Et leur nombre croît de manière spectaculaire. Surtout chez les jeunes.
C’est la minorité arc-en-ciel de l’Amérique. Dans un pays où franchir la color line a longtemps été presque impossible – un véritable tabou –, beaucoup n’hésitent plus désormais à afficher leur origine multiethnique. Avec un président à leur image, le nombre et la jeunesse pour eux, les métis ont le vent en poupe.
Quelques chiffres. Aux États-Unis, un mariage sur sept unit aujourd’hui des conjoints de races différentes. Un record. Certes, les Américains ne sont encore que 9 millions – soit 2,9 % de la population – à se déclarer « multiraciaux », selon la terminologie en vigueur ici, mais ils croissent et se multiplient à vitesse grand V : + 32 % depuis 2000, selon les chiffres du dernier recensement (2010).
Encore plus remarquable, la progression de cette minorité dans les États jusqu’ici les plus réfractaires, ceux du Deep South notamment. Dans le Mississippi, le nombre des mariages mixtes a littéralement explosé. La plupart unissent un Noir et un Blanc, alors que ce type d’union était illégal jusqu’en 1967. À Hawaii, État dont Barack Obama est originaire, les métis représentent 23,6 % de la population. Et le pourcentage est à peine inférieur en Californie. Une minilame de fond démographique.
Les métis bénéficient en outre d’une visibilité accrue. Ils ont désormais leurs produits de beauté, leurs sites de rencontre et leurs « cercles de sociabilité » dans les universités. Bref, ils sont très à la mode. Les publicités, les films et les séries télé mettent systématiquement en scène des acteurs à l’origine ethnique ambiguë. Logiquement, des superstars métisses ont émergé, comme Mariah Carey, Tiger Woods ou Soledad O’Brien, présentatrice vedette à la télévision. Avec naturellement, en point d’orgue, l’élection de Barack Obama, qui est de père kényan et de mère blanche américaine, même si lui-même se définit comme noir.
Statistiques. Comme le dit cette enseignante de l’Université Stanford, « l’imaginaire national a radicalement changé ces dernières années. Autrefois perçus comme des traîtres, les métis sont désormais célébrés comme des hérauts. La solution du problème racial aux États-Unis passe par eux ». En un mot comme en cent, « métis is beautiful. »
Même si beaucoup reste à faire, les catégories statistiques elles-mêmes commencent à évoluer pour tenir compte du phénomène. Depuis 2000, il est enfin possible pour un Américain de cocher plusieurs cases lors du recensement. Par exemple : Noir et Asiatique. Ou bien : Blanc et Latino. Les candidats à l’entrée dans les très chères et très sélectives universités américaines ont aussi, depuis l’an dernier, davantage de latitude pour s’identifier ethniquement. L’enjeu n’est pas mince.
En raison des politiques de discrimination positive mises en place pour faciliter l’accès des minorités aux établissements universitaires, être d’origine multiethnique est un plus. Alors, pour un candidat, la tentation peut être grande d’invoquer une origine ethnique imaginaire. En tout cas très lointaine. Avec pour conséquence un risque d’éviction des candidats issus d’autres minorités, africaine-américaine en particulier, alors que ces dernières sont censées être les premières bénéficiaires des politiques d’affirmative action. Ce n’est évidemment pas un hasard si à l’Université Rice, au Texas, le nombre des candidats se présentant comme multiraciaux est passé l’an dernier de 8 à 564…
Cette Amérique métisse a aussi ses détracteurs. Certains lui reprochent de diluer l’influence des minorités – notamment africaine-américaine – et d’empêcher tout rattrapage économique. « C’est moins au dépassement de la notion de race auquel nous assistons qu’à sa balkanisation, avec l’émergence d’une nouvelle tribu, celle des métis », commente un politologue.
Il n’empêche : de plus en plus de jeunes Américains choisissent de s’identifier comme bon leur semble. Brouillant les repères raciaux hérités d’une histoire douloureuse, ils préparent en douceur l’Amérique postraciale de demain. Ou plutôt d’après-demain.
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