Au secours, le capitalisme est devenu fou !
Comment expliquer la crise d’hystérie collective qui frappe les marchés financiers et boursiers ? Avant tout par la peur, largement irrationnelle, des spéculateurs.
Bien malin qui pourrait prédire l’issue de la crise d’hystérie collective – boursière et financière – qui, depuis plusieurs semaines, déclenche un jour un krach des cours, le lendemain leur remontée en flèche, et le surlendemain un nouvel effondrement. Tout y passe, au gré des rumeurs et des humeurs. Tantôt, les obligations grecques et le colza sont accusés de tous les maux. Tantôt, ce sont la Société générale et le dollar. Seul l’or poursuit sa marche triomphale : 1 600, 1 800 dollars l’once, bientôt 2 000, peut-être. Les marchés ne savent plus à quelle valeur se fier et où placer leurs sous. Retour à la crise des subprimes ?
Pour comprendre ce phénomène qui promet de durer, il faut savoir que les investisseurs oscillent entre deux terreurs.
La première concerne les dettes, il est vrai colossales, des États. Les marchés se sont d’abord effrayés de celles des petits pays périphériques de la zone euro : la Grèce, puis l’Irlande, puis le Portugal, avec l’Espagne en ligne de mire. Doutant de la capacité de ces pays à rembourser leurs emprunts, ils se sont débarrassés des obligations correspondantes, faisant du même coup monter la prime de risque demandée aux gouvernements en difficulté. Pour rassurer les financiers apeurés, ceux-ci ont empilé les plans d’austérité qui asphyxient leur croissance – et donc leur capacité de remboursement.
La seconde terreur de ceux qu’il faut bien appeler des spéculateurs concerne la médiocrité de la conjoncture mondiale, qu’ils contribuent eux-mêmes à déprimer en anticipant le retour de la crise. Pour eux, l’Europe ne repartira pas de sitôt, plombée qu’elle est par la nécessité de redresser ses déficits et de réduire ses dettes. Ceinture ! Et les États-Unis ne sont pas en meilleure posture. Ceinture encore !
Au gré des rumeurs, les cours plongent, remontent, replongent…
Quand ils se tournent vers les pays émergents (l’Inde et la Chine progressent pourtant à des cadences effrénées : entre 8 % et 10 %), ils constatent qu’on y augmente les taux d’intérêt et qu’on y adopte des mesures pour calmer la surchauffe de l’économie et l’inflation qui gronde. Le monde entier se met donc au régime. Et les investisseurs anticipent une rechute dans la récession, appelée double dip. Ils vendent à tout-va pour « rester liquides » et achètent des métaux précieux.
Effet domino.
Le même scénario catastrophe, conséquence de la bêtise de ce capitalisme pathologique, s’est répété deux fois en deux mois, des deux côtés de l’Atlantique. En juillet, les chamailleries entre Européens à propos du secours financier à apporter à la Grèce ont tellement effrayé les investisseurs qu’ils se sont souvenus que l’Italie était, elle aussi, endettée jusqu’au cou. Ils ont donc demandé à Rome de payer de plus en plus cher pour continuer à emprunter.
Pour éviter un effet domino, les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro ont cru sortir le grand jeu en rendant public, le 22 juillet, un nouveau plan de 109 milliards d’euros pour soutenir la Grèce, auquel les banques privées apporteront un surcroît de 54 milliards pour alléger sa dette.
Provisoirement rassurés, les marchés ont à nouveau paniqué jusqu’à ce que la Banque centrale européenne promette qu’elle achèterait aussi de la dette italienne et espagnole.
Le calme qui a suivi ces interventions a été de courte durée. Il a suffi que Nicolas Sarkozy interrompe ses vacances durant une journée pour finaliser les mesures d’économies budgétaires qui seront arrêtées fin août pour que les rumeurs sur une possible dégradation de la note de la dette française (AAA) fassent replonger les marchés dans l’hystérie, le 10 août.
Deuxième zone névrotique : les États-Unis. Les investisseurs ont focalisé leur angoisse sur l’incapacité des congressistes démocrates et républicains à s’entendre sur la manière de contenir le déficit budgétaire abyssal et sur le relèvement du plafond légal de la dette (14 294 milliards de dollars). In extremis, le 31 juillet, Barack Obama a annoncé un accord bancal qui éloigne le spectre de la faillite (dans le cas contraire, l’État fédéral aurait été dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires et d’assurer le service de sa dette). Les marchés sont alors remontés. Hélas, le 5 août, l’agence Standard & Poor’s a pris la décision historique de dégrader la note de la dette américaine : de AAA (soit 20/20) à AA+ (soit 18/20). Parce qu’elle doute de l’efficacité du plan.
Résultat immédiat : une nouvelle plongée des marchés. Cette rétrogradation n’a pourtant aucune conséquence pratique et n’a pas été suivie par les deux autres agences de notation, Fitch et Moody’s, qui ont jugé prudent de laisser S&P affronter seule l’indignation des politiques.
Le 9 août, tout le monde est suspendu aux décisions de la Réserve fédérale américaine. Celle-ci promet de maintenir des taux à, quasiment, 0 % jusqu’à la mi-2013 afin de soutenir une conjoncture flageolante. Elle révèle aussi qu’elle étudie des moyens de relance moins classiques, pour le cas où. Mais sans dire lesquels.
Les marchés remontent pendant quelques heures, puis s’effondrent de nouveau, le 10 août. Les investisseurs espéraient de la FED un troisième plan de plusieurs centaines de milliards de dollars pour soutenir la consommation, l’investissement, et donc l’emploi. Deux leçons se dégagent de ces trois semaines de folie.
Paiement cash.
La première est que les hommes politiques ne peuvent plus ruser avec les marchés, qui leur font payer cash leurs atermoiements : tout retard dans l’application d’une promesse engendre une coûteuse défiance. Le temps de la finance est immédiat. Celui des gouvernants est soumis aux prochaines échéances électorales.
La seconde est que les spéculateurs ne reculent que devant une solidarité clairement assumée. Autrement dit, les extrémistes du Tea Party et les républicains américains qui refusent tout relèvement des impôts sur les hauts revenus, aussi bien que les Allemands qui rechignent à aider les Grecs, donnent aux prédateurs le signal de la curée. Paradoxalement, l’apaisement des marchés passe, d’un côté de l’Atlantique, par davantage de justice fiscale. Et de l’autre, par davantage d’Europe.
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