Égypte : des lendemains de révolution qui déchantent
Le 25 janvier, le peuple descendait dans la rue pour réclamer « du pain, de la liberté et de la dignité ». Mais six mois plus tard, ceux qui ont chassé Moubarak du pouvoir ne parlent plus du tout d’une seule voix.
« Je ne regrette rien. Sauf une chose. Nous n’aurions pas dû quitter la place, le 11 février, avant que toutes nos demandes aient été satisfaites », explique Lina Megahed, jeune manifestante de la place Al-Tahrir. Six mois après la chute de Hosni Moubarak, la révolution égyptienne laisse à certains de ses héros un goût d’inachevé. De nouvelles revendications ont fait leur apparition. Les manifestants exigent désormais, entre autres, la prise en charge des victimes de la répression et la mise en place de salaires minimum et maximum. Tout comme ils réclament la démission d’un grand nombre de responsables compromis par leurs liens avec l’ancien régime. Surtout, ils désapprouvent la manière dont le Conseil suprême des forces armées gère la transition démocratique. Et le font savoir haut et fort.
Il y a eu le scandale des tests de virginité. Puis le jugement de civils par des tribunaux militaires (plus de 10 000, selon Human Rights Watch). Mais l’armée est passée à la vitesse supérieure en s’en prenant directement au mouvement Kefaya («Ca suffit !») et au Mouvement du 6 avril. Déjà très actives sur le plan politique avant la révolution, les deux associations ont été accusées par un général du Conseil suprême de recevoir des financements de l’étranger. Dans son décret no 69, promulgué le 23 juillet, l’institution militaire reproche également au Mouvement du 6 avril de vouloir « diviser le peuple et l’armée ».
Durcissement
« Ils ont commencé par jouer les protecteurs de la révolution, mais le ton s’est durci. Aujourd’hui, ils n’hésitent plus à nous attaquer et se justifient en disant que nous sommes des criminels », s’insurge Lina Megahed. De fait, l’armée semble s’être définitivement désolidarisée des jeunes activistes. À preuve, la brutalité avec laquelle les manifestants de la place Al-Tahrir ont été dispersés le 1er août.
Si vingt-six associations ont accepté de mettre fin au sit-in le temps du mois de ramadan, des militants et des familles de « martyrs » ont décidé au contraire de poursuivre l’occupation de la place. C’est sous les hourras et les encouragements des habitants du quartier du centre-ville qu’ils ont été délogés par les militaires, qui tiraient en l’air et arrêtaient ceux qui leur tombaient sous la main. « Certains militants ont des exigences exorbitantes, très éloignées de celles de la majorité silencieuse », explique Rana Farouk, porte-parole de l’une des nombreuses associations de jeunes de la révolution qui ont vu le jour après la chute de l’ancien régime. Cette même majorité silencieuse semble donc souhaiter la fin des manifestations, qu’elle juge responsables de l’instabilité économique et politique du pays.
La division mine aussi les partis politiques. Tous essaient de s’approprier la révolution en prétendant s’exprimer au nom des Égyptiens. Les accusations de trahison et de manipulation fusent de toutes parts. Le vendredi 29 juillet avait été décrété « vendredi de la volonté du peuple ». Ce jour-là, les différentes formations politiques devaient se rassembler et porter les mêmes revendications, laissant de côté leurs divergences. Mais les salafistes se sont rétractés, préférant investir la place pour dénoncer un projet de norme supraconstitutionnelle (garantissant la liberté de conscience) et appeler à l’instauration d’un État islamique, obligeant une trentaine de formations séculières à se retirer en signe de protestation.
Quid des élections ?
Dans ce contexte, personne ne semble se préoccuper des législatives, dont les préparatifs commenceront à la fin du mois de septembre. Mais la loi électorale, rendue publique le 20 juillet, a été unanimement rejetée par les partis. En cause : la possibilité donnée aux indépendants de briguer 50 % des sièges de l’Assemblée. « Ce mode de scrutin encourage l’achat des voix et le recours aux baltagias [voyous payés par le pouvoir] », explique Imad Gad, l’un des fondateurs du Parti social-démocrate égyptien. Là encore, un seul responsable, le Conseil suprême, qui n’a absolument pas pris en compte le projet de loi rédigé par les partis, déplore Imad Gad : « Il ne voit pas la révolution comme un changement en profondeur, mais comme une simple réforme de surface. »
Le 3 août, cependant, l’ouverture du procès de Hosni Moubarak, de ses deux fils, Alaa et Gamal, et de son ministre de l’Intérieur a fait retomber la tension. Et si quelques manifestants ont protesté contre le jugement de l’ancien raïs, l’écrasante majorité de la population a regardé avec stupeur et émotion le dictateur déchu et sa progéniture pénétrer dans le box des accusés. Le temps de quelques heures, le peuple a retrouvé son unité, celle-là même qu’il avait découverte place Al-Tahrir, quand il exigeait d’une seule voix la chute du régime.
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