Pourquoi les révolutions au Nord auront un impact au Sud

Professeur d’histoire et d’études africaines à l’Université Columbia (New York)

Publié le 25 août 2011 Lecture : 3 minutes.

Sans parler d’une contagion des « révolutions arabes », il se trouve que la Tunisie, l’Égypte et la Libye se situent en Afrique. Il se trouve également que les dynamiques à l’œuvre reposent sur des éléments communs : une population très jeune et l’émergence de ce que l’on peut appeler une classe moyenne – de plus en plus ambitieuse dans ses aspirations et ses revendications matérielles et démocratiques. De ce point de vue, il y a une communauté de situations. Les questions essentielles relatives à la démocratisation de la sphère publique, à la dévolution du pouvoir et aux modalités de son exercice sont partagées. De ce fait, les trajectoires au nord du Sahara vont forcément avoir des conséquences sur la façon dont les Subsahariens vont engager et structurer leur débat politique : les modes et les capacités de mobilisation, la présentation des doléances…

Le principal défi des sociétés subsahariennes n’est pas tant dans l’acceptation de la confrontation électorale : il repose sur l’incapacité à fonctionner sur la base du pluralisme. Le pouvoir est au centre, tout le monde se bat pour y accéder. Conséquences : quand on le perd, on met le feu au pays. Quand on le gagne, on ne cherche qu’à le conserver. Cette crispation au centre – lieu de possession de la richesse et de la redistribution clientéliste – conduit à un comportement clanique au sommet de l’État : vous êtes avec moi, je vous rétribue. Vous êtes contre moi, je vous punis.

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Mais face aux tactiques des gouvernants, qui jouent sans cesse sur les antagonismes et les rivalités pour fragiliser les éventuelles contestations populaires, les Africains jeunes, diplômés, connectés au monde grâce à internet et aux migrations – sont en train de comprendre que leur unité peut et doit reposer sur la définition d’un destin partagé, d’un contrat de confiance et d’une reconnaissance des différences. Et non sur le postulat d’une unité culturelle assénée et imposée par la force répressive et les idéologies « nativistes ». La recomposition des sociétés africaines est en marche. Elle conduira à des manifestations plurielles de la citoyenneté et à la confrontation d’orientations politiques, économiques et culturelles variées. L’époque du parti unique est révolue.

Cette évolution ne se fera pas sans conflits ni crises – comme on l’a constaté en Côte d’Ivoire –, car elle implique la construction de communautés plus larges que la simple appartenance à un groupe. Il convient toutefois de relever qu’en Côte d’Ivoire personne ne veut faire sécession. L’État et ses frontières ne sont pas remis en question. Ce qui est en jeu est un dépassement de la seule compétition partisane pour ouvrir la représentation politique : délégations de pouvoir, relégitimation des notables locaux, processus de décentralisation… Si vous avez dans le même pays des légitimités différentes, vous ouvrez le jeu. L’ethnicité n’est alors plus une menace, ni une force de destruction qui divise, oppose et enferme. Le communautarisme devient inclusif. Il aide à la mise en délibération des blocages générationnels, religieux, régionaux et de genre dans les lieux où ils s’expriment : la famille, la parenté, le clan, l’ethnie, la région et la nation.

De la même manière, le fétichisme des frontières se dissipe. Il est possible, par exemple, d’envisager un espace partagé entre la Côte d’Ivoire et le Burkina. Ces régions sont culturellement et socialement homogènes. Je ne remets pas en question des frontières et des souverainetés mises à mal depuis les indépendances. Je remets ensemble des richesses, des hommes, des produits, des idées et des solidarités réfractaires aux directives de l’État-nation. C’est l’intégration par les pieds. Il faut être créatif. Près de 70 % de la population africaine a moins de 25 ans. Une grande majorité de cette jeunesse n’est ni nationaliste ni souverainiste. Elle propage une vision cosmopolite d’un monde ouvert.

Durant la colonisation et encore après, on a dit aux Africains d’arrêter de penser et d’appliquer les recettes venues d’ailleurs. C’est à présent aux Africains de revoir leur logiciel politique. À nous de faire le boulot. Enraciner la démocratie en Afrique revient précisément à réimaginer l’entreprise démocratique sur la terre africaine. 

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