Émeutes au Royaume-Uni : la fin d’un modèle ?

De graves émeutes ont secoué Londres et plusieurs grandes villes du pays. La politique d’intégration britannique, dont on a longtemps vanté les vertus, vacille, notamment sous l’effet de la crise économique.

Après le passage des émeutiers, à Croydon, dans le sud de Londres, le 9 août. © Lewis Whyld/AP

Après le passage des émeutiers, à Croydon, dans le sud de Londres, le 9 août. © Lewis Whyld/AP

Publié le 24 août 2011 Lecture : 4 minutes.

« À cinq minutes de chez moi, un supermarché a brûlé. Des familles sont sans abri car leur immeuble a été incendié. Je n’avais jamais vu ça », témoigne un Londonien d’origine nigériane. Femi, 25 ans, vit à Croydon, un quartier sud de la capitale britannique, là où un homme à peine plus âgé que lui a été tué par balles, devenant la première victime des émeutes qui ont agité le royaume du 6 au 10 août.

Un fait divers a mis le feu aux poudres. Lors d’une opération anticriminalité, des tireurs d’élite de la police londonienne abattent Mark Duggan, un père de famille de 29 ans, d’origine antillaise. Une manifestation à sa mémoire, organisée à Tottenham, un quartier très pauvre du nord de Londres, dégénère le 6 août. « Sa mort, c’est l’étincelle qui a embrasé le pays, analyse Corentin Segalen, diplômé de la London School of Economics en Criminal Justice Policy. Exactement comme pour les deux adolescents électrocutés dans la banlieue française de Clichy-sous-Bois en 2005, ou le marchand ambulant qui s’est immolé par le feu l’an dernier à Sidi Bouzid, en Tunisie. Tout s’enchaîne très vite. » Depuis, les pillages se sont étendus à Manchester, Birmingham, Bristol et à d’autres grandes villes du pays, faisant cinq morts (bilan du 12 août).

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Mirage

Le britishness, ce sentiment d’appartenance commune aux valeurs du Royaume-Uni, jadis vanté par le gouvernement travailliste de Tony Blair, semble n’avoir été qu’un mirage. David Cameron, le Premier ministre conservateur, a décrété en février dernier que « le multiculturalisme d’État était un échec ». Angela Merkel, la chancelière allemande, et Nicolas Sarkozy, le président français, ont fait des déclarations identiques. « Le modèle britannique avait déjà montré ses limites au début des années 2000, lorsque de grandes émeutes avaient éclaté entre groupes ethniques, notamment antillais et turcs, rappelle Segalen. Les Anglais ont en réalité commencé à le remettre en question après les attentats du 11 septembre 2001. »

Lors de sa campagne, Cameron avait pourtant promis de réparer la Broken Britain, cette Grande-Bretagne jeune et multiethnique qui vit des aides sociales. Or, le taux de chômage des jeunes de 16 à 24 ans atteint 19 % au niveau national – 22 % à Londres –, alors que celui de l’ensemble de la population n’est que de 7,7 %. En 2009, le nombre d’immigrés entrant au Royaume-Uni – hors ressortissants de l’Union européenne – était estimé à 300 000 personnes. « La crise économique a durement touché le pays, explique Segalen. Pour réduire le déficit public [180 milliards d’euros, l’un des plus élevés de l’UE, NDLR], le gouvernement a imposé de sévères coupes budgétaires, y compris dans la police. » Des mesures telles que la diminution des aides sociales en faveur de la jeunesse ou la suppression de milliers de bourses pour les collégiens ont eu de dures conséquences sur les quartiers pauvres. « Quand on fait des coupes drastiques, ce genre de révolte peut survenir à tout moment », commente Ken Livingstone, l’ancien maire de Londres.

Les émeutes urbaines dans l’histoire

1985 : Tottenham (nord de Londres, Royaume-Uni) : Des affrontements éclatent après la mort d’une femme noire lors d’une perquisition. Un policier de 40 ans est tué, 400 personnes sont arrêtées.

1992 : Los Angeles (États-Unis) : Entre 50 et 60 personnes sont tuées et plus de 2 300 blessées, après qu’un jury a acquitté quatre officiers de police, accusés d’avoir passé à tabac un automobiliste africain-américain .

2005 : Clichy-sous-Bois (France) : Après l’électrocution de deux adolescents, cherchant à se cacher dans un transformateur alors qu’ils étaient poursuivis par la police, de violentes émeutes éclatent dans les banlieues françaises. L’état d’urgence est instauré. Quatre personnes sont tuées, environ 600 sont écrouées et 10 000 voitures sont brûlées.

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Duggan était à Tottenham, un quartier londonien très défavorisé et frappé de plein fouet par cette politique de rigueur. Le nombre des agressions et le taux de chômage (20 %) y sont parmi les plus élevés de la capitale. La moitié de la population est immigrée – surtout caribéenne – ou d’origine étrangère. Duggan a grandi à Broadwater Farm, une cité du quartier ravagée par la violence qui avait fait les gros titres des journaux en 1985. Après la mort d’une femme noire lors d’une perquisition à son domicile, un policier de 40 ans avait été sauvagement assassiné par des bandes de jeunes. Commandé en 1981, au lendemain des émeutes de Brixton, qui avaient éclaté après une opération de police jugée discriminatoire par la communauté noire, le rapport Scarman avait préconisé de revoir tout ce qui relève du pouvoir discrétionnaire de la police, et notamment les fouilles corporelles.

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Autodéfense

Depuis, la colère des jeunes reste latente. Si les émeutiers d’août 2011 n’ont ni slogans explicites ni message politique – beaucoup ont agi par opportunisme en pillant les magasins –, ils visaient très clairement les forces de l’ordre, qu’ils accusent toujours de racisme. « Comme en 1985, l’utilisation de la violence par la police n’est toujours pas acceptée par la population », estime Corentin Segalen. De plus, sa crédibilité a été entachée par le scandale des écoutes téléphoniques de News of the World, le tabloïd de Rupert Murdoch. Éclaboussés par l’affaire, sir Paul Stephenson, le chef de la police métropolitaine, et son principal adjoint avaient dû démissionner en juillet dernier.

Cheick Aly, un Ivoirien de 39 ans, habite Leytonstone, un quartier de l’Est londonien. Employé dans une firme pharmaceutique, il confirme l’existence de réels problèmes entre Noirs et policiers. « Je commence à travailler à 5 h 45, confie-t-il. Chaque matin, quand je vais prendre le bus, une voiture de police ralentit à mes côtés. » Comme dans les banlieues françaises en 2005, les différentes communautés ne s’affrontent pas entre elles, mais se liguent contre un ennemi commun : l’État.

 Des groupuscules d’extrême droite en ont également profité pour refaire surface.

« Quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans notre société », a déclaré Cameron, après qu’Asyraf Haziq Rosli, un étudiant malaisien, s’est fait agresser par des émeutiers. « Je plains ces types. Mais la Grande-Bretagne est quand même un pays formidable », a-t-il assuré. Tout juste diplômé, Femi y croit lui aussi. « Les gens sont plus ouverts à Londres, remarque-t-il. Contrairement à la France, où j’ai vécu un an, la couleur de la peau n’est pas un obstacle pour trouver du travail. Je suis confiant. »

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