Cinéma algérien : prompt rétablissement !
Manque de moyens, un réseau de diffusion quasi inexistant, des artistes exilés… Le cinéma algérien peine à se relever malgré les attentes du public.
Cinéma algérien : prompt rétablissement !
Des films qui obtiennent des récompenses à l’étranger, le dernier épisode de Harry Potter qui débarque sur les écrans, des festivals, comme les Rencontres cinématographiques de Béjaïa ou les Journées cinématographiques d’Alger (JCA), qui font carton plein… Le septième art algérien semble à la fête. Pourtant, « tout ça n’est qu’un cache-misère ! » déplore Lamine Ammar-Khodja, jeune réalisateur et animateur d’un ciné-club. Le cinéaste Yanis Koussim, 30 ans, s’amuse aussi de ce trompe-l’œil : « Il y a eu 147 articles dans la presse quand mon court-métrage, Khouya, a eu un prix au Festival du film de Locarno : ils n’ont rien d’autre à se mettre sous la dent ! »
C’est que le cinéma algérien, s’il n’est pas mort, est un grand convalescent. La guerre civile des années 1990 a détruit autant de salles qu’elle a fait fuir d’artistes à l’étranger et terrorisé de spectateurs. Depuis, il peine à se relever, et la gloire de la production socialiste des années 1970 est un souvenir bien lointain. Aujourd’hui, écrire, financer, tourner, vendre et diffuser un film relève du parcours du combattant pour les jeunes créateurs.
Au cœur du problème, les salles. Près de quatre cent dans les années 1960, elles sont dix fois moins à être en activité aujourd’hui, dont six ou sept seulement à Alger. Aucune dans la grande majorité des wilayas du pays. Au cours des années 2000, beaucoup de celles qui avaient tenu le coup ont été transformées en squats ou en lieux de rencontres nocturnes. Une bataille s’est alors engagée entre les mairies, le ministère de la Culture et celui de l’Intérieur pour les reprendre aux exploitants privés. À Constantine ou à Tlemcen, quelques rares salles confiées à de jeunes entrepreneurs parviennent à fonctionner. À Alger, la commune de Sidi M’hamed a repris de force cinq salles à des gérants privés défaillants pour les réhabiliter. Le Sierra Maestra, 750 places près du quartier populaire de Belouizdad, connaît un certain succès, mais le cinéma ne représente encore qu’un quart des soirées organisées.
« Nous avons une politique culturelle volontariste, qui avance à petits pas, explique le maire, Mokhtar Bourouina. Nous avons créé un établissement public à caractère commercial pour une gestion plus exigeante que dans le privé, mais plus souple que dans le public. » « Il va falloir un ordre de mission du ministère à chaque fois que l’on va vouloir changer une ampoule ! En Algérie, on a toujours un tic étatique », ironise le sémillant critique de cinéma et ancien directeur de la télévision nationale (1990-1994), Abdou B., en commentant le projet. « Avec les réformes lancées en avril par le président Bouteflika, c’est le moment de faire une vraie place aux investissements privés dans la culture. Il faut créer une industrie du cinéma ! » martèle-t-il.
Mon film algérien préféré…
• Abdou B., critique cinéma : Mascarades, de Lyes Salem
• Djamel Eddine Hazourli, animateur radio de l’émission Cinérama : Garagouz, d’Abdenour Zahzah
• Lamine Ammar-Khodja, réalisateur : Lettre à ma sœur, de Habiba Djahnine.
Double casquette
Les jeunes Algériens, comme partout dans le monde, ont besoin de loisirs et de consommation. Les multiplexes peuvent-ils alors relancer le cinéma ? Au centre commercial de Bab Ezzouar, dans la banlieue d’Alger, huit salles ont été construites à l’été 2010… et attendent toujours une « ouverture prochaine ». Officiellement : pour travaux. Selon la rumeur : le matériel dernier cri importé ne permettrait pas de couper des scènes en cas de besoin… Une décennie de visionnage sur internet et de piratage de DVD n’empêchera-t-elle pas le retour aux salles obscures ? « Au contraire, estime le jeune producteur Yacine Bouaziz, les Algériens sont de grands consommateurs d’images. »
Avec une diffusion aussi laborieuse, l’enthousiasme des producteurs est limité. Beaucoup de jeunes réalisateurs se tournent vers l’étranger ou enfilent une seconde casquette de producteur. Début 2010, Yacine Bouaziz, 29 ans, a fondé la société de production Thala, qui a notamment financé Demain Alger, du jeune Amine Sidi Boumediene – un des films lauréats des JCA. « De nos jours, on peut faire de bons courts-métrages sans gros budget avec certains appareils, commente-t-il. Mais un réalisateur ne peut pas faire carrière comme ça. Il faut aller chercher l’argent là où il est. »
Et, pour l’instant, c’est surtout l’État qui distribue des subventions – avec parcimonie. « En ce moment, l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) soutient la production de quatre longs-métrages, note Nabila Rezaïg, la responsable cinéma de l’Agence. Nous essayons aussi de mettre l’accent sur le cinéma à la résidence d’artistes Dar Abdellatif. » Autre source de financement possible : la télévision. Mais l’unique chaîne publique algérienne n’est pas contrainte de financer le septième art. Quant aux chaînes privées… elles n’existent pas. Elles auraient pourtant de quoi remplir leurs grilles et créeraient un appel d’air. Les jeunes sont donc là, en embuscade, fourbissant leurs armes audiovisuelles. Mais le renouvellement des générations se fait dans la douleur.
Le cinéma a longtemps été la chasse gardée d’une élite.
Djamel Eddine Hazourli, journaliste
Lien entre génération
« On est passés par un trou noir de dix ans qui a cassé le lien entre les générations », estime Nabila Rezaïg. Un fossé sépare les personnalités des années 1970, dont nombre dirigent des institutions clés, et la jeune vague de créateurs. « On vit beaucoup sur un passé qui n’était pas si glorieux, ose Ahmed Bedjaoui, ancien animateur télé d’une émission consacrée au septième art, aujourd’hui conseiller pour le cinéma du ministère de la Culture. Il y a en Algérie de fortes capacités, et je dis aux jeunes “Emparez-vous du cinéma !” ». Et ils essaient, les jeunes… Yanis Koussim a coécrit pour la télévision la série à succès Nass M’lah City 3, en 2006. Pour autant, cela ne lui a pas permis de se faire une meilleure place dans le système. « Les responsables ne nous achètent pas nos films et ne nous en commandent pas », se désole-t-il. « Le cinéma a longtemps été la chasse gardée d’une élite, confirme le journaliste radio Djamel Eddine Hazourli, qui anime Cinérama depuis vingt-trois ans. Mais depuis quelques années, on a de petits films de qualité. » C’est vrai que, depuis cinq ou six ans, de beaux courts-métrages fleurissent et remportent des prix à l’étranger. « De la bonne graine », pour Abdou B.
Pas facile pourtant d’obtenir les sésames que sont les autorisations de tournage ou le visa d’exploitation. Pas évident non plus de se former. Malgré l’existence d’un institut de l’audiovisuel et d’un autre de la communication, l’Algérie ne possède pas de véritable école de cinéma, comme au Maroc. « Des métiers ont complètement disparu d’Algérie, comme preneur de son ou accessoiriste », regrette Salim Aggar, directeur des JCA. Mais Yacine Bouaziz reste optimiste : « Avec de l’audace, on y arrivera. On n’a pas le choix ! »
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