Liberia : Johnson-Sirleaf, la dame de fer et ses prétendants

Les élections législatives et présidentielle d’octobre sont une étape cruciale. Si la paix est revenue depuis huit ans et si la reconstruction progresse, rien n’est joué, et les scrutins à venir inquiètent. D’autant que, face à la présidente sortante Ellen Johnson-Sirleaf, la classe politique ne semble pas s’être renouvelée.

Ellen Johnson-Sirleaf est la seule femme à la tête d’un État africain. © Reuters

Ellen Johnson-Sirleaf est la seule femme à la tête d’un État africain. © Reuters

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 20 août 2011 Lecture : 5 minutes.

Liberia : chronique d’un retour annoncé
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Liberia : chronique d’un retour annoncé

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« The lone star of Africa is rising again », annoncent fièrement, dans les rues de Monrovia, les affiches gouvernementales incitant les citoyens à voter : l’étoile d’Afrique (qui orne le drapeau libérien) se lève à nouveau. Huit ans après la fin de la guerre civile, qui a fait plus de 200 000 morts et 850 000 réfugiés entre 1989 et 2003, le pays a repris sa place dans le concert des nations.

Piloté depuis six ans par Ellen Johnson-Sirleaf, seule femme à la tête d’un État africain, le pays vit une année 2011 charnière, avec la première élection présidentielle depuis la transition politique (2003-2005). Un scrutin qui, s’il se déroule sans accroc, confirmera la stabilité du pays.

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Formée à l’administration publique à l’université Harvard, aux États-Unis, la présidente sortante, élue pour un premier mandat en novembre 2005 avec 59,4 % des voix, a annoncé dès janvier 2010 qu’elle se représenterait. Elle compte avant tout sur son bilan économique pour séduire les 1,7 million d’électeurs. La « dame de fer » libérienne a su, avec l’appui américain, apurer les comptes de l’État, puis attirer les investisseurs internationaux. « Je veux finir de remettre debout les institutions et l’économie, pour qu’il n’y ait pas de retour en arrière », expliquait-elle en juin dernier dans une interview à Jeune Afrique.

2011

22 août : Publication de la liste provisoire des candidats à la présidentielle

23 août : Référendum constitutionnel (résultats le 7 septembre)

10 septembre : Publication de la liste finale des candidats

11 octobre : Élections législatives, sénatoriales et présidentielle

8 novembre : 2e tour éventuel de la présidentielle

Un bilan mitigé

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Mais pour gagner, « Old Ma » (« Grand-Maman »), 72 ans, devra montrer sa capacité à avancer, avec son Parti de l’unité (UP), sur les thèmes de la lutte contre la corruption et de la réconciliation, deux dossiers sur lesquels son bilan est mitigé.

Face à la présidente sortante, parmi la vingtaine de partis d’opposition qui s’activent, trois candidats émergent. Winston Tubman, juriste, ancien représentant des Nations unies en Somalie (2003-2005) et neveu de William Tubman, président de 1943 à 1971, portera les couleurs du Congrès pour le changement démocratique (CDC), premier parti de l’opposition. George Weah, arrivé deuxième aux primaires du CDC, a dû se résigner à accepter le poste de vice-président. Un échec pour celui qui était arrivé en tête au premier tour de la présidentielle de 2005, avec 28,3 % des suffrages (et 40,6 % au second tour). « Notre ticket présidentiel, alliance entre un fonctionnaire international reconnu et un ancien footballeur populaire, devrait s’avérer gagnant », espère Acarias Grey, secrétaire général du parti, pour qui ce tandem symbolise la rupture, car les deux hommes n’étaient pas aux affaires pendant les années sombres.

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justify;Lourd passé

On ne peut en dire autant de l’ancien chef de guerre Prince Johnson, dont la candidature a été validée par la commission électorale. Sénateur du comté de Nimba (nord du pays) depuis 2005, il est célèbre pour avoir fait torturer et assassiner l’ancien président Samuel Doe. « Malgré son lourd passé, il pourrait faire le plein de voix dans cette région [du Nord] peuplée où les populations n’ont pas oublié qu’il les a défendues contre les séides de Samuel Doe, dans les années 1980 », estime le correspondant d’un média international.

Autre challengeur, Charles Brumskine, du Parti de la liberté (LP), est habitué aux joutes politiques : président du Sénat sous Charles Taylor, cet avocat était arrivé troisième au premier tour de la présidentielle de 2005 (avec 13,9 % des voix). Il pourrait lui aussi jouer les trouble-fête.

Ces candidats, sexagénaires ou septuagénaires, devront convaincre une population dont l’âge médian est de 18 ans. En attendant les élections, à Monrovia, les Libériens vont de l’avant. Chaque famille a été affectée par la guerre, a connu l’exil et doit vivre avec ses traumatismes, mais l’heure n’est plus aux divisions. La paix est jugée trop précieuse (lire portraits pp. 60-61). « On sent ici une envie d’entreprendre pour rattraper le temps perdu », confie, enthousiaste, un diplomate libérien revenu après dix ans d’exil aux États-Unis.

L’inconnue du référendum

La campagne électorale pour la présidentielle a été lancée, le 5 juillet, de même que le dépôt des candidatures (du 20 juillet au 15 août), sans que les candidats soient certains de le rester. Car le référendum du 23 août pourrait bien changer la donne.

Lors du lancement officiel de la campagne, le président de la Commission électorale nationale, James M. Fromayan, a rappelé que « cet exercice n’est pas une guerre entre un groupe de Libériens et un autre », mais force est de constater que ce référendum fait partie du jeu entre le régime actuel, dirigé par des Américano-Libériens, et les leaders politiques indigènes.

Outre une modification relative à la nomination des magistrats, la consultation porte sur trois amendements constitutionnels concernant les élections. Deux sont relatifs à l’organisation et au mode des scrutins. Le troisième porte sur la réduction de dix à cinq ans de la période minimale de résidence dans le pays des candidats à la présidentielle. Ce texte doit permettre à un plus grand nombre de Libériens de se présenter – et, incidemment, d’éviter qu’un nombre trop faible de candidats favorise Prince Johnson hors de son fief. Mais, si le « non » l’emporte, les candidatures de Tubman et Brumskine, entre autres, deviendront caduques. De quoi bouleverser la campagne. 

Renaissance et fragilités

La petite capitale compte maintenant 1 million d’habitants, soit 300 000 de plus qu’il y a dix ans : pendant le conflit, de nombreuses familles, réfugiées des campagnes, s’y sont fixées pour de bon. Les rues du centre-ville, agencées en quadrillage à la manière des agglomérations américaines, fourmillent d’activité. Les églises – comme les mosquées – sont à nouveau remplies d’une foule très croyante, animées par des pasteurs aux sermons passionnés. Les embouteillages ont même fait leur apparition aux abords du port autonome ou sur Tubman boulevard, l’artère principale.

La croissance économique est de retour, le commerce tourne à plein, encouragé par les communautés libanaise et indienne qui reviennent progressivement. Les Américains, toujours très présents, ne sont plus les seuls investisseurs.

Mais la renaissance libérienne cache des fragilités. Plus des deux tiers de la population vivent avec moins de 1 dollar par jour. Et pour beaucoup, hors de Monrovia, les conditions de vie ne se sont guère améliorées : routes défoncées, absence ou coupures d’eau et d’électricité… Les chantiers de la reconstruction ne sont pas terminés, loin s’en faut.

Autre sujet d’attention, la crise ivoirienne, qui a ravivé les tensions à l’est. La Mission des Nations unies au Liberia (Minul), dont le mandat actuel arrive à échéance fin septembre, s’inquiète de l’entrée dans le pays de combattants venus de l’Ouest ivoirien (lire interview p. 56). Dans les mois qui viennent, la reprise en main par le gouvernement d’une sécurité encore largement assurée par la Minul sera déterminante. 

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