Libye : grand malaise au sein du CNT

L’assassinat du général Younès, ancien proche de Kadhafi devenu chef d’état-major de la rébellion, a révélé l’ampleur des tensions qui minent le Conseil national de transition, et contribué à la dissolution de son « bureau exécutif », l’équivalent du gouvernement. Voyage à l’intérieur d’une rébellion en plein désarroi.

Funérailles d’Abdel Fatah Younès le 29 juillet à Benghazi. © Gianluigi Guercia/AFP

Funérailles d’Abdel Fatah Younès le 29 juillet à Benghazi. © Gianluigi Guercia/AFP

Publié le 9 août 2011 Lecture : 4 minutes.

Le mystérieux assassinat du général Abdel Fatah Younès, chef d’état-major de l’insurrection libyenne, a plongé le Conseil national de transition (CNT) dans le désarroi. L’organe politique de la rébellion soupçonnait Younès d’avoir noué des contacts avec le clan Kadhafi et l’avait convoqué pour interrogatoire ainsi que deux de ses compagnons, le colonel Mohamed Khamis et le commandant Nasser Madhour. Le 28 juillet, les trois hommes ont été exécutés à l’entrée de Benghazi par des membres de l’escorte venus les « accueillir » et qui étaient pourtant munis d’un mandat officiel signé d’Ali al-Issaoui, responsable des relations extérieures du CNT… Les cadavres criblés de balles ont été partiellement brûlés par leurs bourreaux. Le jour même, Mustapha Abdeljalil, le président du CNT, a annoncé l’arrestation du chef du commando, sans citer son nom ni indiquer le mobile du crime… tout en promettant une enquête.

Solides inimitiés

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Le flou qui entoure ce triple assassinat révèle au grand jour les profondes divergences qui minent la rébellion, et a certainement conduit Moustapha Abdeljalil, le président du CNT, à limoger son "bureau executif", l’équivalent du gouvernement, lundi 8 août. Influente composante du Conseil national de transition, la Coalition du 17 février, qui regroupe les principales factions à l’origine de la révolte contre Mouammar Kadhafi, réclamait le renvoi d’Ali al-Issaoui ainsi que de deux autres responsables du CNT : Jalal al-Digheily, chargé de la Défense, et Fauzi Aboukatif, son adjoint. Apprenant que Younès devait être auditionné, ces deux derniers avaient opportunément quitté Benghazi, invoquant une vague mission à l’étranger.

Autant de factions, autant de divisions

Organe politique de l’insurrection, le Conseil national de transition (CNT) a été créé le 27 février, dix jours après les premières manifestations contre Kadhafi en Cyrénaïque. Pour des raisons de sécurité, seuls treize de ses trente et un membres, qui représentent les principales villes du pays, ont dévoilé leur identité. Plus de la moitié sont donc inconnus de l’opinion. Deux facteurs ajoutent au malaise qui entoure le CNT. Le premier tient à sa composition hétéroclite, allant des militants des droits de l’homme (exilés à Londres) aux monarchistes Senoussi (basés à Genève), en passant par les islamistes du Front national pour la sauvegarde de la Libye (installés à Riyad). Le second tient au fait que les postes clés sont détenus par des personnalités issues du régime de Kadhafi, parmi lesquelles figurait le général Younès.

Ancien compagnon de lutte du « Guide », ex-ministre de l’Intérieur et fondateur des corps d’élite affectés à la sécurité de la Jamahiriya, Abdel Fatah Younès avait rejoint très tôt les révoltés de Cyrénaïque, région d’où il était originaire (il appartenait à la tribu des Obeidi de Tobrouk). Son passé d’ancien chef de l’appareil répressif lui avait valu de solides inimitiés parmi les rebelles, toutes tendances confondues : islamistes, monarchistes, laïcs ou nationalistes panarabes. De son côté, Kadhafi avait promis 4 millions de dollars à qui lui ramènerait la tête du « félon », une mise à prix nettement supérieure à celle (500 000 dollars) qui pesait sur la tête de Mustapha Abdeljalil, son ancien ministre de la Justice.

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Pourtant, l’hypothèse que Tripoli ait trempé dans cet assassinat ne résiste pas à l’analyse. Quatre mois de bombardements de l’Otan et les opérations de harcèlement conduites par les rebelles en zones urbaines ont sérieusement entamé les capacités opérationnelles de l’armée loyaliste. Les rumeurs faisant état de milices et de cellules dormantes pro-Kadhafi à Benghazi ont fait long feu, et les accrochages armés qui ponctuent désormais les nuits de la capitale de la Cyrénaïque confirment l’ampleur des tensions qui opposent les différentes composantes du CNT. Hétéroclites et idéologiquement divisées, elles se disputent le leadership.

Hétéroclites et idéologiquement divisées, les différentes composantes du CNT se disputent le leadership.

La liquidation du général aurait donc été programmée depuis Benghazi. Si la liste des commanditaires potentiels est longue, le mobile, lui, coule de source. Il s’agit ni plus ni moins de prendre le contrôle de la branche armée de la rébellion. Ce n’est pas un hasard si ce sujet est à l’ordre du jour au sein du CNT. Au lendemain de l’enterrement du général et de ses compagnons, en effet, Abdeljalil a appelé toutes les brigades autonomes à fusionner avec l’armée nationale. Une proposition que rejette Abdelhakim al-Hasadi, l’un des dirigeants du Groupe islamique combattant en Libye (Gicl), une organisation djihadiste ayant fait allégeance à Al-Qaïda en septembre 2006. Ce vétéran des guerres d’Afghanistan et d’Irak avait été arrêté par la CIA en 2008 dans la région de Quetta, au Pakistan. Livré par les Américains à Kadhafi, il a été incarcéré au bagne d’Abou Salim et torturé par les services du général Younès, à l’époque où ce dernier était ministre de l’Intérieur du « Guide ».

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"Fuir ou mourir"

Un autre islamiste, Ali Sallabi, figure parmi les suspects possibles. Cet influent théologien de Cyrénaïque proche du courant salafiste a confirmé au New York Times qu’il avait bien été en contact avec Seif el-Islam Kadhafi, fils du numéro un libyen et porte-parole de la « famille ». Il a en revanche démenti l’existence d’une entente. Le 3 août, dans les mêmes colonnes, Seif avait affirmé que le régime de Tripoli avait conclu un accord avec les islamistes sur le dos « des laïcs de Benghazi, qui n’ont plus que deux options : fuir ou mourir ». Le deal en question ? Une courte transition dirigée par Mouammar Kadhafi avant l’instauration d’un État islamique. « C’est une question de jours, avait annoncé Seif el-Islam. Le plan doit être mis en œuvre avant la fin du ramadan. » Et si, malgré les dénégations de Sallabi, la liquidation du général Younès constituait la première étape de ce plan ?

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