Affaire DSK : guerre des images à Manhattan

Depuis son viol présumé, le 14 mai, Nafissatou Diallo s’est d’abord montrée très discrète, avant de livrer, coup sur coup, deux interviewsà des médias américains. On en sait désormais (un peu) plus sur l’énigmatique femme de chambre guinéenne du Sofitel

Nafissatou Diallo à la sortie du bureau du procureur de New-York, le 27 juillet 2011. © Timothy A. Clary/AFP

Nafissatou Diallo à la sortie du bureau du procureur de New-York, le 27 juillet 2011. © Timothy A. Clary/AFP

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 5 août 2011 Lecture : 5 minutes.

« Service des chambres, bonjour ! » Nafi jette dans la pièce un regard circulaire. Elle se tient debout dans l’entrée de la suite, face à la chambre à coucher. Brusquement, un homme aux cheveux gris surgit. Il est nu.

« Oh ! mon dieu, excusez-moi, s’effarouche la femme de chambre, qui fait demi-tour et tente de gagner la sortie.

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– Ne vous excusez pas, répond l’homme, qui, comme un fou, se jette sur elle, lui prend les seins et claque derrière lui la porte de la suite.

– Arrêtez, monsieur, je ne veux pas perdre mon boulot.

– Tu ne le perdras pas ! »

L’homme retrousse jusqu’aux hanches l’uniforme de la femme de chambre, l’empoigne entre les jambes, la pousse contre un mur et lui impose une fellation.

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« Il faisait “ouh, ouh, ouh”. Il m’a dit : suce mon… non, je ne peux pas le dire. Je me suis relevée, j’ai craché, j’ai couru sans me retourner. »

Non, il ne s’agit pas d’un « livre érotique sans orthographe », comme disait Rimbaud.

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Ce n’est que le triste récit, ici sensiblement abrégé, que Nafissatou Diallo, la désormais célèbre femme de chambre guinéenne du Sofitel de Manhattan, a fait dans l’hebdomadaire Newsweek, puis à la chaîne de télévision ABC, de sa rencontre impromptue, le 14 mai, avec Dominique Strauss-Kahn, ci-devant directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et favori de l’élection présidentielle française de 2012.

On ne sait pas encore si ce récit est vrai – le saura-t-on jamais ? Mais il ne fait aucun doute que Kenneth Thompson, l’avocat de la plaignante, se donne un mal de chien pour qu’il paraisse vraisemblable (l’entretien avec Newsweek a eu lieu à son cabinet, Thompson-Wigdor LLP, 85 Fifth Avenue). C’est assurément un « coup » médiatique un peu limite – où va-t-on si les protagonistes d’une affaire criminelle se mettent à multiplier les interviews dans la presse avant la tenue du procès ? –, mais, somme toute, plutôt habile. Et tant pis si le procureur Cyrus Vance Jr en prend ombrage : dans le douteux combat judiciaire en cours, l’essentiel est de s’assurer le soutien de l’opinion. Alors, tous les moyens sont bons.

Ponctués de sanglots que Newsweek juge parfois « forcés » (de même, sur ABC, face à la journaliste Robin Roberts, elle mime la scène fatale avec de grands gestes, sort un mouchoir pour essuyer ses larmes et donne imperceptiblement l’impression de surjouer), les propos tenus par Nafissatou Diallo pèchent sur plusieurs points, notamment la période précédant son exil aux États-Unis, par une fâcheuse imprécision. Son père, imam dans la région de Labé, en Guinée ? Il « dirigeait une école coranique » – so what ? Son mari ? Mort « de maladie ». Sa fille ? Morte, elle aussi, vers l’âge « de trois ou quatre mois ». Son viol présumé par deux soldats guinéens, une nuit de couvre-feu à Conakry ? Elle n’est plus très sûre de la date, en 2001, peut-être… Tout cela trop laconique et vaporeux pour ne point être suspect, mais comment s’en étonner : il est établi que la jeune femme a menti sous serment pour bénéficier de l’asile politique. Une « erreur », reconnaît-elle.

"Just friends"

De même, on n’en sait guère plus sur les relations de Nafissatou avec Amara Tarawally, un dealer d’origine sierra-léonaise incarcéré dans l’Arizona. Il n’était ni son fiancé ni son petit ami, jure-t-elle, juste « un ami ». Un ami à qui elle a quand même permis d’accéder à son compte bancaire – par où des sommes suspectes ont transité – en échange de « six ou sept sacs à main griffés », faux de surcroît. Fieffée menteuse ? Peut-être. Innocente godiche flouée par un voyou – qui n’en était apparemment pas à son coup d’essai ? Pourquoi pas.

La conversation téléphonique enregistrée par la police dans laquelle Nafissatou signale à son « ami » Amara que « ce type [DSK] est plein d’argent » et qu’elle « sait ce qu’elle fait » a, un temps, suggéré l’existence d’une arnaque visant l’ancien directeur du FMI. Or plus rien n’est sûr. Le dialogue, en peul, aurait été mal traduit, tronqué, abusivement extrait de son contexte… Mais sur ce point, au moins, on devrait finir par découvrir la vérité.

Un peu paumée

La jeune Guinéenne est assurément plus crédible quand elle raconte la scène dont la suite 2806 du Sofitel a été le théâtre. À l’évidence, sa version a convaincu Christopher Dickey, l’un de ses interviewers, qui n’est pas un perdreau de l’année (il est chef du bureau parisien de Newsweek et rédacteur en chef pour le Moyen-Orient) et a parlé avec elle pendant plus de trois heures. Certes, les différents récits qu’elle en a faits au fil des semaines diffèrent sur des détails qui pourraient se révéler importants. Mais le portrait qu’elle dresse d’un Dominique Strauss-Kahn impérieux, farouche et livré à d’obscures pulsions n’est pas sans évoquer le personnage dont les frasques, ou leur écho déformé, amusent depuis des lustres le Tout-Paris politico-médiatique. On l’écoutant, on songe à la tirade de Sganarelle dans le Dom Juan de Molière : « Un grand seigneur méchant homme est une terrible chose… » Ou encore : « C’est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui… »

Nafissatou Diallo n’a rien pour déchaîner d’irrépressibles passions. Grande (1,78 m) et fortement charpentée, elle a le visage grêlé et les cheveux imparfaitement défrisés. Elle donne l’impression d’une brave fille un peu paumée, en tout cas très isolée dans son pays d’adoption, où elle ne compte que peu d’amis. Elle parle anglais mieux qu’on ne l’aurait imaginé, quoiqu’avec un accent marqué, mais ne lit ni n’écrit aucune langue. Longtemps, elle a navigué à vue, de jobs précaires en menues fraudes aux prestations sociales. De là à en faire une prostituée, comme un tabloïd new-yorkais s’y est risqué… Il est vrai qu’en ce domaine mieux vaut rester circonspect.

Fleur du destin

Un jour, on ne sait pourquoi, le destin s’est résolu à lui faire une fleur. Son background professionnel étant ce qu’il est, décrocher un job de femme de chambre au Sofitel à 25 dollars de l’heure, pourboires non inclus, était inespéré. Elle en parle avec des accents de sincérité attendrissants : « Nous formons une équipe. J’adore ce travail, j’aime mes collègues. Nous sommes américains, africains ou chinois, mais ici, nous sommes tous pareils. » Son travail donnant toute satisfaction, elle avait même obtenu une promotion. Pour pallier l’absence d’une collègue, elle avait été chargée de l’entretien de tout le 28e étage de l’hôtel. Oui, oui, là où se trouve la suite 2806… Finalement, la fleur du destin était empoisonnée.

La jeune femme est peut-être moins convaincante lorsqu’elle invective DSK : « Je veux que justice soit faite, s’emporte-t-elle, je veux qu’il aille en prison, je veux qu’il sache que, lorsqu’on fait des trucs pareils, il existe des endroits où votre fric et votre pouvoir ne servent plus à rien. » Là, on sent un peu trop le réquisitoire longuement répété avec son avocat, le retors Kenneth Thompson. Sachant le procès pénal mal engagé, à supposer qu’il se tienne un jour – on devrait être fixé sur ce point le 23 août –, ce dernier s’efforce sans doute de faire monter les enchères dans la perspective d’un éventuel procès civil (lire ci-dessous). 

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