Algérie : grand remue-méninges syndical
Sit-in en série, débrayages à la chaîne, grèves dans tous les secteurs… En Algérie, ce sont les syndicats qui sont aux avant-postes d’une mobilisation sociale inédite. Beaucoup ont été associés à la démarche consultative engagée par l’État depuis avril. Ils y voient une nouvelle reconnaissance. Leurs propositions pèseront-elles pour autant sur les réformes ?
L’été social algérien est brûlant. Très médiatisée, la grève du personnel navigant commercial d’Air Algérie, qui a retenu vingt-trois mille passagers dans les aéroports étrangers de la compagnie entre le 11 et le 14 juillet, a été le temps fort d’une mobilisation des travailleurs qui dure depuis des mois.
La publication des listes d’attribution de logements sociaux tourne régulièrement à l’émeute. À l’Assemblée populaire communale (APN) de Sidi M’hamed, à Alger, l’affichage se fait désormais à 3 heures du matin et la sécurité du bâtiment a été renforcée. Du côté des travailleurs, on a l’impression que le pays tout entier manifeste et débraye. À commencer par le secteur public. Tandis que les médecins résidents ont suspendu temporairement, le 17 juillet, une grève de cent onze jours, celle des transporteurs de la wilaya de Tizi-Ouzou était relayée dans d’autres wilayas du centre.
Sur les cinquante-quatre corps de métier de la fonction publique, sept attendent, depuis septembre 2007, la publication de leur statut particulier, qui définit les postes et les rémunérations. C’est le cas des travailleurs communaux, encadrés notamment par le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap). Le nouveau délai pour la publication de leur statut a expiré le 30 juin. Le 23 juillet, ils ont annoncé le gel de la grève cyclique de deux jours (les mardis et mercredis), qu’ils reconduisaient chaque semaine depuis le printemps, et du mouvement qu’ils avaient prévu du 27 au 29 juillet, « jusqu’à la relance des actions de protestation prévue dès la rentrée sociale, en septembre ».
Le secteur privé n’est pas en reste, à l’image des centaines d’employés de Lind Gaz Algérie, qui, le 13 juillet, ont organisé un sit-in devant le siège de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), dans le quartier Belouizdad, à Alger.
Au menu des revendications de toutes ces actions : la hausse des salaires, l’amélioration des conditions de travail, mais aussi la levée des sanctions prises contre des syndicalistes lors de précédents mouvements.
La centrale et les Autres
Les syndicats, justement, jouent un rôle important. L’UGTA, la grande centrale, jouit toujours d’une légitimité historique – depuis sa fondation en 1956 et son ralliement au Front de libération nationale (FLN) – et républicaine – grâce à son opposition vigoureuse au syndicalisme islamiste dans les années 1990. D’un poids écrasant (plus de 4 millions d’adhérents), elle est toujours perçue comme le syndicat du pouvoir.
Cependant, de plus en plus de membres s’expriment indépendamment de la hiérarchie. Ainsi, le 29 juin, Takdjout Amar, secrétaire général de la fédération UGTA des travailleurs du textile et du cuir, a mobilisé quelque deux mille salariés de sa filière pour protester contre la décision de l’Assemblée populaire nationale (APN) d’autoriser à nouveau l’importation de friperie. « Je porte la voix des travailleurs. Et quand il y a une bulle d’autisme, je secoue là où il faut », a-t-il précisé, menaçant de mobiliser les dix-huit mille travailleurs du secteur devant les portes de l’APN à l’ouverture de la session d’automne.
Si l’UGTA est numériquement la plus puissante, aujourd’hui, ce sont les cinquante-huit syndicats autonomes reconnus depuis 1990 qui sont les plus visibles dans la rue. Dotés de moins de moyens financiers, soutenus (verbalement) par le seul Parti des travailleurs, ils portent pourtant les contestations les plus exigeantes. « C’est un devoir d’être disciplinés dans la rue, rappelle Lyes Merabet, secrétaire général du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), mais l’idéal serait que l’on soit écoutés avant par la direction et le ministère, pour ne pas avoir à y aller. »
Les autonomes souffrent cependant du manque de représentativité de beaucoup d’entre eux et de leur difficulté à s’unir. De leur côté, les autorités ont laissé sans réponse leurs demandes (déposées en 1998 et en 2002) de création d’une large confédération syndicale.
Enfin, depuis quelque temps, le vrai phénomène, c’est la multiplication des actions hors syndicats. La grève des personnels navigants commerciaux d’Air Algérie, mi-juillet, ou celle des salariés d’Algérie Poste, en juin, n’ont été encadrées ni par une section UGTA ni par un syndicat autonome. Pourtant, le dialogue social a besoin de partenaires identifiés.
Représentativité
Ce sont donc une vingtaine de syndicats considérés comme les plus représentatifs qui ont été reçus par l’Instance des consultations sur les réformes politiques (du 21 mai au 21 juin), dirigée par Abdelkader Bensalah, et ont participé aux Assises de la société civile (du 14 au 16 juin), dans le cadre du processus de dialogue lancé le 15 avril par le président, Abdelaziz Bouteflika.
Pour les autonomes, c’est une vraie reconnaissance, eux qui n’ont jamais participé aux négociations régulières de la tripartite associant le gouvernement, le patronat et les syndicats… encore représentés, lors de celle du 28 mai dernier, par la seule UGTA.
Face au climat social extrêmement agité et ayant à l’esprit le souvenir des manifestations de janvier, les autorités ont jugé urgent d’écouter un éventail plus large de représentants des travailleurs. « Leur participation à cet exercice démocratique [consultations sur les réformes politiques et assises de la société civile, NDLR] a été enrichissante », commente un haut fonctionnaire qui a suivi de près le processus. Les revendications des syndicats ont été de défendre les intérêts des travailleurs, mais aussi de protéger le libre exercice du syndicalisme, alors que les licenciements de grévistes, les ponctions immédiates sur salaires et les procédures judiciaires contre les activistes se sont multipliés. Décuplant souvent, du même coup, la détermination des syndicalistes. Les membres du SNPSP ont ainsi obtenu par la force, le 10 juillet, la réintégration de deux déléguées suspendues. Pourtant, « changer la loi syndicale n’est pas une priorité, rappelle le haut fonctionnaire. C’est plus l’application des textes législatifs, par ailleurs complets, qui pose un problème ».
Crédibilité
Au-delà de ces revendications, les syndicats ont eu leur mot à dire sur le champ, plus large, des réformes politiques. Et c’est une Algérie démocratique qu’ils réclament. Beaucoup ont demandé un retour à la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux. Le Snapap a par ailleurs fait une proposition pour la révision de la loi électorale, prioritaire pour le gouvernement : afin d’assurer une meilleure représentation des territoires à l’APN, la circonscription retenue pour l’élection des députés devrait être la daïra (sous-préfecture) et non plus la wilaya (préfecture).
Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a quant à lui appelé à la vigilance lors de la réforme du code de l’information, qui sera réexaminé à la rentrée. Sur l’ensemble des propositions, « nous avons été écoutés avec sincérité », estime Kamel Amarni, secrétaire général du SNJ et journaliste au quotidien Le Soir d’Algérie. « C’était important, aussi, de répondre présent aux assises de la société civile pour leur donner de la crédibilité », tient à préciser Lyes Merabet, médecin généraliste et membre du SNPSP.
Pour l’heure, les syndicats attendent, optimistes mais vigilants. Dans le petit bureau du siège national du Snapap (382 000 adhérents), dans la banlieue algéroise de Bab Ezzouar, son secrétaire général, Felfoul Belkacem, ose : « Nous avons bon espoir d’être invités pour la première fois à la tripartite de septembre », laquelle doit porter sur le volet social et la question de l’emploi. Le président, Abdelaziz Bouteflika, s’est engagé dans un processus courageux et assez transparent pour que ses partenaires soient exigeants. L’élargissement de la tripartite pourrait être un test quant à la réalité du dialogue et à sa pérennité. Pour beaucoup, si le pouvoir se dérobe, citoyens et travailleurs réinvestiront massivement la rue. Avec ou sans syndicats pour les encadrer.
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